Depuis le 1er octobre 2018, certains marchés publics doivent obligatoirement être dématérialisés. Même lorsqu'elle n’est pas obligatoire, elle est de plus en plus privilégiée par les acheteurs, a fortiori dans le contexte sanitaire actuel.

Cette dématérialisation pose la question des obligations pesant respectivement sur l’acheteur public, et les candidats à l’attribution du contrat, ainsi que des modalités de preuve :

  • l’acheteur a l’obligation de proposer une plateforme de dépôt fonctionnelle, la défaillance de son prestataire informatique étant considérée comme un manquement de sa part à ses obligations de mise en concurrence (1.).

  • en contrepartie, le candidat a l’obligation d’anticiper suffisamment le dépôt de son offre, et de s’assurer qu’il a bien respecté les conditions de signature posées dans le règlement de la consultation (2.).

  • en cas de recours, les moyens de preuve acceptés par le juge administratif sont multiples (3.).

1. Les obligations pesant sur l’acheteur

Prévues aux articles L. 2132-2, et R. 2132-1 et s. du code de la commande publique ("CCP"), ainsi que par un arrêté du 22 mars 2019 annexé audit code, l'acheteur se voit imposer plusieurs obligations générales: intégrité des données, horodatage qualifié, accès sécurisé, traçabilité des documents déposés, interdiction d’utiliser des pseudonymes dans les échanges, notamment.

Pour les marchés publics dont la valeur estimée est inférieure à 25 000 euros HT, les moyens de communication électronique utilisés et les niveaux de sécurité afférents sont librement déterminé par l’acheteur (article 2 IV de l’arrêté du 22 mars 2019).

Si la dématérialisation est la règle, elle comporte de nombreuses exceptions, prévues aux articles R. 2132-11 à R. 2132-13 du CCP, qui contiennent en réalité une grande part de la commande publique.

Outre ces obligations générales, la jurisprudence a dégagé une obligation de résultat pesant sur l'acheteur quant au bon fonctionnement de la plateforme de dépôt des plis: l’acheteur doit mettre les candidats en mesure de déposer leur pli sans obstacle technique ; il doit également être précis dans ses instructions de dépôt.

Dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’Etat du 17 octobre 2016 (n°400791, 400794), le rapporteur public Gilles Pélissier rattache ces obligations aux grands principes existants quant à la conduite des procédures de passation :

" Il n’en demeure pas moins que l’acheteur est responsable de la conduite de la procédure de sélection et qu’il doit, à ce titre, définir les modalités de la mise en concurrence en garantissant aux candidats un traitement égal. (…) Le bon fonctionnement (...) [de la plateforme] incombe au pouvoir adjudicateur qui l’a conçu et mis à disposition des candidats. (…) ».

Il propose également de ne pas faire peser sur le candidat évincé la charge d’une preuve impossible à apporter, dès lors que seul l’acheteur a la connaissance interne, via le gestionnaire informatique de la plateforme qui est son prestataire, des éventuels dysfonctionnements, indisponibilités et erreurs rencontrées par chaque candidat pour le dépôt :

« Par conséquent, le juge des référés doit rechercher, en cas de contestation du rejet d’une offre pour défaut de signature ou impossibilité de la vérifier, quelle est la cause du problème et à qui il est imputable. Et si l’instruction ne permet pas de le déterminer, ce qui implique qu’il soit établi que le candidat s’est bien conformé à ses obligations lors du dépôt de son offre, celle-ci ne peut être regardée comme irrégulière. Toute autre solution conduirait à notre avis à faire peser sur le candidat la charge d’une preuve positive de ce que l’absence de signature est due à un dysfonctionnement du système qu’il n’est pas en mesure d’apporter, le système relevant du pouvoir adjudicateur et, en définitive, à lui faire supporter les conséquences du dysfonctionnement d’un système dont il n’est pas responsable. (…) Pour les pouvoirs adjudicateurs, la solution que nous proposons implique qu’ils assument les aléas inhérents à ces dispositifs informatisés (…) ».

Cette obligation de résultat est reprise par les juridictions (cf ordonnance TA de Limoges du 12 mai 2011 (n°1100668)) :

« Considérant que l’adhésion du candidat à l’attribution d’un marché public aux conditions générales d’utilisation de la plateforme de dématérialisation n’est de nature ni à faire obstacle à ce que ce candidat puisse invoquer devant le juge administratif le mauvais fonctionnement de la plateforme, ni à dégager le pouvoir adjudicateur de toute responsabilité quant aux conséquences d’un tel mauvais fonctionnement ».

Par ailleurs, l'acheteur ne peut modifier les prérequis techniques de la plateforme, sans en informer les utilisateurs suffisamment à l’avance.

Ainsi, si le gestionnaire de la plateforme « pouvait en fonction des nécessités modifier les prérequis techniques, c’est à la condition d’en avoir informé les utilisateurs en temps utile et de manière appropriée en sorte qu’un candidat normalement diligent et de bonne foi, quand bien même il aurait entrepris de déposer son offre e à la dernière minute, ne s’exposerait pas à un rejet qui serait imputable à une modification imprévue des modalités d’utilisation de la plateforme de téléchargement » (Ord., TA Paris, 29 oct. 2013, n°1314372).

2. Les obligations pesant sur le candidat à l’attribution du marché

a. Anticiper le dépôt de son pli

Le juge administratif retient qu'« il appartient toutefois à l’entreprise candidate de prévoir, avant l’heure limite de réception, un laps de temps minimum de sécurité permettant de garantir son envoi dématérialisé en lui laissant les moyens de remédier à un éventuel problème technique qui pourrait survenir au cours du dépôt électronique de son offre » (TA Caen, 20 janv. 2012, n°1200012).

Cette jurisprudence est désormais constante (Cf TA Lyon 20 mai 2014, n°1402929 ; ég. TA Caen, 28 juil. 2016 n°1601353 ; TA Montreuil, 10 janv. 2013 n°1210490).

De même, il appartient au candidat d’anticiper un éventuel dysfonctionnement de ses propres équipements informatiques, ou de sa connexion internet (TA Lille, 12 mai 2014, req. n°1402451 ; TA Besançon, 11 janv. 2012, n°1101787 ; TA Paris, 10 juillet 2008, req. n°0811155).

Si la plateforme est fonctionnelle, mais que le candidat n’a pas anticipé le temps nécessaire au dépôt de fichiers volumineux, et l’inévitable aléa informatique, il n'obtiendra pas l’annulation de la procédure de passation.

b. S’assurer de la signature électronique de chaque document qui doit l'être

Lorsque la signature électronique des documents composant la candidature et l’offre sont exigées de l’acheteur, le candidat doit vérifier qu’il a effectivement apposé un jeton électronique sur chaque document devant être signé.

En l’absence de signature d’électronique de l’un des documents, alors qu’elle était requise, l’acheteur est en droit de considérer l’offre comme irrégulière, sans qu’il lui soit fait obligation d’inviter le candidat à régulariser son offre (TA Nantes, 23 avril 2015, req. n°1503039).

En particulier, aucun texte ne fait obligation au pouvoir adjudicateur de recourir à une plateforme qui détecte et signale aux candidats le défaut de signature d’un ou plusieurs documents de leur pli : cette vérification est une obligation qui pèse sur chaque candidat (CE, 7 nov. 2014, n°383587 ; TA Lille, 9 août 2013, n°1304480).

Le candidat doit donc être vigilant à ce que le jeton de signature figure bien, après dépôt, à côté de chaque document devant être signé : ainsi, la signature du seul dossier .zip n’est pas admise (TA Bordeaux, 16 mai 2012, n°1201581).

Enfin, le candidat peut utiliser un autre jeton de signature que celui imposé par l’acheteur, dès lors que celui-ci présente des garanties équivalentes à celles fixées par l’arrêté ministériel, notamment pour authentifier le signataire de l’offre, garantir son horodatage, etc. (TA Melun, 2 mai 2014, n°1403501).

3. La question de la preuve informatique

La dématérialisation des procédures donne lieu à un contentieux fourni, qui pose la question des moyens de preuve.

Dans ce cadre, les attestations ou documents émanant des propres services informatiques du candidat ne sont pas considérés comme suffisamment probants, que ce soit en raison « de leurs conditions d’élaboration », comme de leurs éventuelles « imprécisions » (TA Lille, 19 février 2013, n°1300797).

De même, des captures d’écran émanant du candidat évincé, comportant des messages d’erreur, ne suffisent pas à établir un dysfonctionnement de la plateforme, s'il est par ailleurs établi qu’aucune panne n’a affecté le serveur (TA Dijon, 30 juin 2011, n°1101387).

En revanche, le registre informatique de la plateforme, et les éventuels rapports techniques émanant du gestionnaire informatique de la plateforme, sont des moyens de preuve généralement admis (TA Lille, 19 février 2013, op. cit. ; TA Melun 14 janv. 2013, n°1210659 ; TA Paris, 18 nov. 2014, n°1424115).

Il peut s’agir des rapports relatifs à une consultation donnée, ou des rapports de qualité relatifs à la disponibilité du service pris plus largement, de l’historique des connexions sur une journée donnée, du recours ou non à la « hotline » du gestionnaire informatique, des éventuels échanges téléphoniques avec le candidat (TA Melun 14 janv. 2013, n°1210659).

Si d’autres candidat ont pu déposer sans difficulté leur pli au même moment, le juge administratif le prend également en compte, comme un élément de preuve de l’absence de dysfonctionnement de la plateforme.

Comme pour d’autres contentieux, il appartient donc au candidat évincé qui conteste la régularité de la procédure de passation d’apporter un commencement de preuve, qui soit suffisamment sérieux pour conduire le juge à exiger du pouvoir adjudicateur qu’il apporte la preuve contraire de l’absence de dysfonctionnement de la plateforme de dépôt des plis.

Et dans tous les cas, le candidat devra établir qu’il a été, lui-même, irréprochable dans l’accomplissement des obligations lui incombant.