Parmi toutes ses missions, l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) a la charge de sanctionner financièrement les employeurs qui embauchent illégalement des étrangers. La sanction est double : la contribution dite « spéciale » (qui n’est pas contributive et n’a rien de spécial), ainsi que la contribution forfaitaire (censée couvrir les coûts de réacheminement, ce qui est notoirement faux lorsqu’on sait qu’un nombre extrêmement limité d’étrangers sont effectivement réacheminés dans leur pays d’origine).

Ces deux amendes administratives sont d’un montant astronomique (env. 22 000 euros par salarié étranger) et peuvent véritablement mettre en péril l’activité de l’entreprise visée, surtout lorsque l’établissement subit au même moment une fermeture administrative ainsi qu’un passage en correctionnel.

Ces amendes peuvent toutefois être contestées et annulées par une juridiction administrative. Pour cette démarche, l’employeur portera une attention particulière au procès-verbal de constat, pièce centrale dans la procédure de sanction.

 

Le procès-verbal de constat, seul document à prouver l’existence d’un contrat de travail

Le constat d’une situation de travail illégal devra nécessairement être fait par voie de procès-verbal, qui fait foi jusqu’à preuve du contraire.

En 2020, l’OFII rapporte que 1113 procès-verbaux lui ont été transmis, dont 68% ont été dressés par les services de police, 17 % par l’inspection du travail et 15 % par les services de gendarmerie.

L’article R. 8253-3 du code du travail prévoit ensuite que :

« Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours ».

Bien entendu et même si les textes en la matière ne le précisent pas expressément, l’existence d’une situation de travail repose sur la réunion des classiques éléments du contrat de travail dégagés par la Cour de cassation dans son arrêt du 22 juillet 1954, à savoir, un travail, un lien de subordination et une rémunération [Cass. Soc., 22 juillet 1954 ; Bull. civ. 1954, IV, n° 476.].

En ce sens, les juridictions administratives énoncent avec constance que :

« La qualification de contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont entendu donner à la convention qui les lie mais des seules conditions de fait dans lesquelles le travailleur exerce son activité. A cet égard, la qualité de salarié suppose nécessairement l'existence d'un lien juridique, fût-il indirect, de subordination du travailleur à la personne qui l'emploie, le contrat de travail ayant pour objet et pour effet de placer le travailleur sous la direction, la surveillance et l'autorité de son cocontractant. Dès lors, pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l'autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d'établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu'il emploie » (Ex : CAA de Bordeaux, 21 mars 2023, n° 21BX01020 ; CAA de Toulouse, 6 décembre 2022, n° 20TL04662 ; CAA de Nancy, 9 juillet 2020, n° 19NC00235).

Et ces « indices objectifs de subordination » ne sont contenus que dans le procès-verbal.

Bien que son contrôle se limite à celui de l’erreur manifeste d’appréciation, le juge administratif, comme le juge judiciaire, contrôle l’existence de ces éléments du contrat de travail.

Et si l’OFII a souvent tendance à voir des contrats de travail partout, l’analyse de la jurisprudence montre que les erreurs en la matière sont légion (Ex récents : CAA Bordeaux, 4 octobre 2022, n° 20BX00265 ; CAA Marseille, 8 avril 2022, n° 19MA05570 ; CAA Bordeaux, 30 mai 2022, n° 19BX04476 ; CAA Toulouse, 7 mars 2023, n° 21TL20252 ; CAA Marseille, 24 janvier 2020, n° 18MA01575), notamment lorsque sont en cause des membres de la famille de l’employeur (CAA Lyon, 22 octobre 2018, n° 17LY03628 ; CAA Marseille, 4 novembre 2019, n° 18MA01358 ; CAA Versailles, 18 juin 2019, n° 17VE02346 ; CAA Lyon, 11 juillet 2019, n° 18LY04391 ; CAA Marseille, 22 février 2019, n° 17MA03732 ; CAA Bordeaux, 30 mai 2022, n° 19BX04476).

 

Le droit d’obtenir la copie du procès-verbal de constat

Dés lors, on comprend mieux l’importance de ce document et surtout, l’importance, pour l’employeur d’avoir accès à ce document, y compris en cours de procédure contradictoire.

Le droit en la matière a énormément évolué depuis quelques années, grâce au Conseil d’État il faut bien le dire.

En effet, si communication du procès-verbal n’avait rien d’obligatoire, par un arrêt du 29 juin 2016, la Haute Juridiction administrative a considéré que :

« si ni les articles L. 8253-1 et suivants du code du travail, ni l'article L. 8271-17 du même code ne prévoient expressément que le procès-verbal constatant l'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler en France, et fondant le versement de la contribution spéciale, soit communiqué au contrevenant, le silence de ces dispositions sur ce point ne saurait faire obstacle à cette communication, en particulier lorsque la personne visée en fait la demande, afin d'assurer le respect de la procédure contradictoire préalable à la liquidation de la contribution spéciale, qui revêt le caractère d'une sanction administrative » (CE, EURL DLM Sécurité, 29 juin 2016, N° 398398, B).

En clair, lorsqu’il en fait la demande en cours de procédure contradictoire, l’employeur doit avoir communication du procès-verbal, faute de quoi la sanction est entachée d’un vice de procédure.

Avancée supplémentaire, depuis une décision du 30 décembre 2021, le Conseil d’Etat exige désormais que : « la personne en cause soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et mise à même de demander la communication des pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus » (CE, 30 décembre 2021, N° 437653, B).

En clair, désormais, la lettre de l’OFII ne peut donc se contenter de mentionner la possibilité qu’a l’employeur de présenter ses observations. Elle doit aussi mentionner son droit d’obtenir la communication du procès-verbal de constat.

Ces deux avancées permettent aujourd’hui à l’employeur d’être proactif dans sa défense.

 

La nullité du procès-verbal entraine automatiquement l’annulation de l’amende

Le procès-verbal est la seule pièce du dossier en possession de l’OFII permettant de prouver la commission de l’infraction de travail illégal. Dés lors, se pose la question des liens entre procédure pénale et procédure administrative.

En effet, l’employeur est souvent surpris du principe selon lequel :

« l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose à l'administration comme au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité ».

Il arrive donc très fréquemment que le parquet ne poursuive pas l’employeur, ce qui n’est en revanche pas le cas de l’OFII, et les juridictions administratives ne trouvent donc rien à redire à cela.

En revanche, la situation est tout à fait différente lorsque :

« la légalité de la décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale, l'autorité de la chose jugée s'étendant alors exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal ».

La situation la plus régulière est alors que le Tribunal correctionnel prononce la nullité du procès-verbal et de la procédure de contrôle (pour des causes diverses). Dans ce cas précis (certes, rare, avouons-le), les juridictions administratives n’ont d’autre choix que d’annuler l’amende de l’OFII, celle-ci ne reposant plus sur rien (Ex récent : CAA Versailles, 12 septembre 2023, n° 21VE00575 ; CAA Marseille, 27 octobre 2017, n° 16MA01747 ; CAA Bordeaux, 13 mars 2019, n° 17BX01985).

Ainsi, l’engagement d’une procédure pénale constitue alors non plus une fatalité, mais bel et bien une opportunité pour tenter de contester l’amende administrative. Le problème étant que les juridictions pénales proposent de plus en plus souvent des compositions pénales qui mettent alors l’employeur face à un dilemme … accepter pour tenter de s'en sortir au mieux ou passer en correctionnel pour hypothétiquement pouvoir tout faire annuler. Bref, quitte ou double.