Clause de préciput : La Cour de cassation confirme son exclusion du droit de partage
Un arrêt du 5 novembre 2025 rappelle que le prélèvement préciputaire n’est pas un partage et échappe au droit de 2,50 %
Le 5 novembre 2025, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt (n° 23-19.780) qui met fin à une controverse fiscale récurrente :
Le prélèvement effectué par un conjoint survivant en vertu d’une clause de préciput ne constitue pas une opération de partage et ne saurait donc être assujetti au droit de partage de 2,50 % prévu à l’article 746 du Code général des impôts (CGI).
Cette décision, aussi technique qu’elle paraisse, est une victoire pour les époux mariés sous un régime communautaire et une clarification bienvenue pour les praticiens du droit des successions.
Contexte : Une administration fiscale trop zélée ?
L’affaire oppose Mme [W], veuve, à l’administration fiscale.
Après le décès de son époux en 2016, Mme [W] a exercé son droit de préciput, prévu dans son contrat de mariage, en prélevant des biens sur la communauté.
L’administration, estimant qu’il s’agissait d’un partage déguisé, lui a notifié une proposition de rectification en 2019, exigeant le paiement du droit de partage de 2,50 %.
Mme [W] conteste cette assimilation et obtient gain de cause devant la cour d’appel de Poitiers (4 juillet 2023), qui annule la décision fiscale.
L’administration se pourvoit alors en cassation, invoquant une violation des articles 746 du CGI et 1515 du Code civil.
La solution de la Cour de cassation : Le préciput n’est pas un partage
La Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme que le prélèvement préciputaire n’est pas une opération de partage.
Pour comprendre cette solution, il faut analyser les trois distinctions fondamentales entre préciput et partage, soulignées par la Cour :
1. Un mécanisme antérieur au partage
Le préciput s’exerce avant tout partage (art.1515C.civ.),alors que le partage intervientaprès liquidation de l’indivision.
Le préciput est un droit de prélèvement unilatéral, sans contrepartie, qui ne modifie pas la répartition des droits des héritiers.
2. Aucune imputation sur la part successorale
Contrairement au partage, qui répartit les biens entre les indivisaires à proportion de leurs droits, le préciput permet au conjoint survivant de prélever des biens sans que ceux-ci ne soient déduits de sa part dans la succession.
Il s’agit d’un avantage matrimonial, non d’une opération de partage de l’indivision.
3. Une faculté discrétionnaire
Le préciput est une option laissée au conjoint survivant, alors que le partage est une opération obligatoire pour mettre fin à l’indivision.
La Cour en conclut que le préciput n’a pas pour effet de diviser la masse indivise et ne peut donc être assimilé à un partage au sens de l’article 746 CGI.
Analyse juridique : Pourquoi cette décision est-elle importante ?
1.Le fondement légal : Art. 1515 C. civ. vs. Art. 746 CGI
* Article 1515 du Code civil :
« Il peut être convenu que le survivant des époux […] sera autorisé à prélever sur la communauté, avant tout partage, soit une certaine somme, soit certains biens en nature. »
Le texte est clair : le préciput précède le partage et n’en est pas une composante.
* Article 746 CGI :
« Les partages de biens […] sont assujettis à un droit d’enregistrement ou à une taxe de publicité foncière de 2,50 %. »
Or, le préciput ne partage pas : il prélève. La Cour rappelle que le droit de partage ne s’applique qu’aux actes divisant une indivision, ce qui n’est pas le cas ici.
Cette décision, bien que rendue par la Chambre commerciale, et non par la première Chambre civile, rappelle la définition du partage :
« Sauf cas particulier prévu par la loi, l'opération de partage, proprement dite, se définit comme celle qui, à l'issue du processus permettant de mettre fin à une indivision, contribue directement à la division de la masse indivise, préalablement liquidée, et à sa répartition entre les indivisaires à proportion de leurs droits respectifs ».
Elle confirme que les avantages matrimoniaux (comme le préciput ou la donation entre époux) échappent aux droits de partage, car ils relèvent du régime matrimonial, non de la dévolution successorale.
- Pour les notaires et avocats : Les clauses de préciput peuvent être utilisées sans crainte d’une requalification fiscale en partage, sous réserve de respecter les conditions de l’article 1515 C. civ. (ex. : prélèvement limité à l’actif net de la communauté).
- Pour les époux : Le préciput reste un outil efficace de protection du conjoint survivant, sans surcoût fiscal indu.
- Pour l’administration : Une limite claire est posée : elle ne peut étendre le droit de partage à des opérations qui, bien que modifiant la répartition des biens, ne divisent pas l’indivision.
A l’occasion d’un contentieux fiscal, la Cour de cassation rappelle les définitions de deux institutions :
- Le partage,
- Le préciput, terme qui apparaît désuet, qui fait toujours rire les étudiants en droit des régimes matrimoniaux et droit des successions
En démystifiant la frontière entre préciput et partage, la Cour de cassation évite des contentieux inutiles et rappelle que la fiscalité ne saurait ignorer les distinctions civiles, même si elle justifie la taxation, depuis la création de l’impôt sur le revenu, par le principe d’autonomie du droit fiscal, théorisé, on le sait aujourd’hui par opportunité, par le Doyen TROTABAS.
Pour les époux souhaitant protéger leur conjoint, la clause de préciput reste un outil sûr et optimisé, à condition de bien la rédiger.
Quant à l’administration, elle devra désormais se conformer à cette interprétation stricte et cesser de taxer des opérations qui n’en relèvent pas.
Références :
- Cour de cassation, chambre commerciale, 5 novembre 2025, n° 23-19.780
- Articles 1515 à 1519 du Code civil
- Article 746 du Code général des impôts

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