En matière d'instruction des demandes d'asile permettant d'obtenir le statut de réfugié, le règlement DUBLIN est particulièrement strict.
En effet, et de façon très simplement résumé, ce dernier impose quasiment à l'autorité administrative saisie d'une demande de protection internationale de renvoyer l'étranger demandeur au premier Etat signataire traversé après avoir quitté son pays d'origine.
Pour autant, il est erroné de considérer que le représentant de l'Etat en France ne disposerait d'aucune latitude pour instruire une demande d'asile.
En ce sens, l’article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride :
« 1. Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers (…), même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ».
Néanmoins, au visa de ces dispositions, le Juge Administratif contrôle les décisions prises par l'autorité administrative, dans le cadre d'un office restreint limité à celui de l'erreur manifeste d'appréciation.
C'est ainsi que par deux décisions courageuses, n°2205500 et n°2205503 en date du 13 juillet 2022, le Tribunal Administratif de MARSEILLE a jugé que :
"6. Il est constant que Mme Mavungu Mujinga, née le 15 avril 2003, a donné naissance à son enfant en Grèce le 1er septembre 2021. Il n’est pas contredit que la mère du nourrisson, âgé de moins d’un an à la date de la décision attaquée, a fait l’objet avec cet enfant, mais sans le père qu’elle aurait rencontré en Grèce, d’un transport de la Grèce vers le Portugal dès novembre 2021. Eu égard à cette situation, la mère et l’enfant constituent des personnes vulnérables au sens des normes qui régissent l’accueil des personnes demandant la protection internationale. A l’audience, l’intéressée, qui avait déclaré avoir quitté le Congo à l’automne 2020 et était présente en Grèce en mars 2021, précise sans être contestée qu’un tel transport a été effectué par avion sans avoir été volontaire. Il ressort encore des pièces du dossier que la mère s’exprime dans une langue française parfaitement maîtrisée mais ne parle ni ne comprend le portugais. Si le préfet des Bouches-du-Rhône fait valoir en défense que Mme Mavungu Mujinga aurait été mise en possession d’un document l’invitant à formuler ses observations quant à un éventuel transfert au Portugal mais qu’elle ne l’aurait pas renseigné, il ne l’établit pas par les pièces versées au débat. Au surplus, le préfet ne démontre pas davantage s’agissant de la demande de reprise en charge qu’il aurait avisé les autorités portugaises de la présence d’un nourrisson aux côtés de Mme Mavungu Mujinga. Dans ces conditions, le préfet des Bouches-du-Rhône ne peut être regardé comme ayant disposé, à la date de l’arrêté attaqué, d’éléments suffisants lui permettant de s’assurer qu’en cas de transfert vers le Portugal, la mère et son enfant, séparés du père, bénéficieraient d’une reprise en charge adaptée à celle que leur situation particulière requiert. Dans les circonstances de l’espèce, le préfet des Bouches-du-Rhône a dès lors commis une erreur manifeste d’appréciation en décidant de remettre l’intéressée aux autorités portugaises en vue de l’examen de sa demande d’asile, sans mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par l’article 17 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013." (TA MARSEILLE, 13 juillet 2022, n°2205500),
Mais également que :
"6. Il est constant que Mme Bakayoko a donné naissance le 12 mai 2022 à un enfant. Il ressort des pièces du dossier que la mère du nourrisson âgé de moins de deux mois fait l’objet d’un suivi ne pouvant être interrompu sans conséquence à la date des décisions attaquées. Eu égard à cette situation, la mère et l’enfant constituent des personnes vulnérables au sens des normes qui régissent l’accueil des personnes demandant la protection internationale. Il ressort encore des pièces du dossier que la mère, avant de quitter cet Etat au terme de sept mois de grossesse, n’a pas fait l’objet d’un suivi complet en Italie, qui peine toujours à répondre à la pression considérable qui pèse sur son régime d’asile, tout particulièrement s’agissant des personnes en situation de vulnérabilité. Au surplus, le préfet des Bouches-du-Rhône n’établit pas par les pièces versées au dossier s’agissant de la dernière demande de reprise en charge qu’il aurait avisé les autorités italiennes de la présence d’un nourrisson aux côtés de Mme Bakayoko. Au demeurant, la décision est insuffisamment motivée en ce qu’elle indique que l’intéressée aurait sollicité la protection internationale de la part des autorités italiennes le 11 mai 2022, soit le jour même où Mme Bakayoko entrait à l’hôpital de la Conception à Marseille en vue de son accouchement, qui a eu lieu le lendemain. Dans ces conditions, le préfet des Bouches-du-Rhône ne peut être regardé comme ayant disposé, à la date de l’arrêté attaqué, d’éléments suffisants lui permettant de s’assurer qu’en cas de transfert vers l’Italie, la mère et son enfant bénéficieraient d’une prise en charge adaptée à celle que leur situation particulière requiert. Dans les circonstances de l’espèce, le préfet des Bouches-du-Rhône a dès lors commis une erreur manifeste d’appréciation en décidant de remettre l’intéressée aux autorités italiennes en vue de l’examen de sa demande d’asile, sans mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par l’article 17 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013."(TA MARSEILLE, 13 juillet 2022, n°2205503).
Ainsi, l'autorité Administrative saisie d'une demande d'asile qui envisage de mettre en oeuvre la procédure DUBLIN est tenue de vérifier qu'en cas de transfert effectif vers le pays de renvoi, le demandeur pourra bénéficier d'une prise en charge conforme aux exigences en la matière.
A n'en pas douter dans ces affaires pour lesquels est intervenu le Cabinet A&P Associés, Avocats à MARSEILLE, le Juge Administratif n'est fort heureusement resté insensible à l'intérêt supérieur de l'enfant, puisque les deux requérantes ayant comparu lors de l'audience étaient toutes deux mères d'enfants en très bas âge.
Ces décisions particulièrement satisfaisantes ont le mérite de rendre un peu d'humanité à la très mécanique procédure de transfert fixée par le règlement DUBLIN.
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