La fin de l’année 2018 aura été marquée par des jugements inédits aux termes desquels les plafonds de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail semblent se fissurer.

Le dispositif phare des ordonnances dites « Macron » introduisant un plafond des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse à l’article L 1235-1 du Code du Travail a été jugé inconventionnel par le Conseil de Prud’hommes de Troyes le 13 décembre 2018. A peine quelques jours après, les Conseils de Prud’hommes d’Amiens et de Lyon suivaient son impulsion par jugements des 19 et 21 décembre 2018.

Simple brèche ou véritable effondrement ? Retour sur une trilogie qui a déjà fait couler beaucoup d’encre.

Préambule : le SAF à l’assaut des ordonnances Macron.

Poursuivant le rassemblement du Syndicat des Avocats de France (SAF) contre les ordonnances Macron du 22 septembre 2017, les avocats de la commission de droit social du SAF ont mis en ligne l’argumentaire élaboré collectivement afin de solliciter du juge prud’homal l’inconventionnalité des plafonds.

L’article 10 de la convention 158 de l’OIT ratifié par la France le 16 mars 1989 précise que : « si les tribunaux arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié et si compte tenu de la législation et de la pratique nationale, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estimeraient pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils doivent être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. »

L’article 24 de la Charte Sociale Européenne du 3 mai 1996, ratifiée par la France le 7 mai 1999 indique qu’en « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

Le Comité européen des droits sociaux, organe en charge de l’interprétation de la Charte, s’est prononcé sur le sens de cette formule dans une décision du 8 septembre 2016 n°106/2014 [1] : « (…) dans certains cas de licenciements abusifs, l’octroi d’une indemnisation à hauteur de 24 mois prévue par la loi relative au contrat de travail peut ne pas suffire pour compenser les pertes et le préjudice subis (…) Le Comité considère que le plafonnement de l’indemnisation prévue par la loi relative au contrat de travail peut laisser subsister des situations dans lesquelles l’indemnisation accordée ne couvre pas le préjudice subi. »

Pour mémoire, le Conseil d’État, puis la Cour de Cassation, reconnaissent expressément la Charte Sociale Européenne comme étant d’applicabilité directe en France.

Les barèmes Macron ne sauraient être considérés comme garantissant une indemnité adéquate comme le stipule la Charte Sociale Européenne en son article 24 et sont donc inapplicables en droit français.

A- Acte 1 : une inconventionnalité largement justifiée.

Dans son jugement du 13 décembre 2018, le Conseil de Prud’hommes de Troyes innove en étant le premier à avoir le courage d’outrepasser les barèmes Macron [2].

Dans cette affaire, un salarié était employé à durée indéterminée par la société FSE Envent, et se trouvait également être co-propriétaire avec son épouse de la société AS De La Fête, société elle-même été cédée au nouveau président de la société FSE Envent. En dépit de l’engagement du président de conserver le salarié et son épouse au sein de ses effectifs, ces derniers en étaient évincés sans autre forme de procès.

S’estimant à juste titre lésé, le salarié a contesté le motif économique de son licenciement, et a demandé au Conseil de Prud’hommes de juger que les barèmes prévus à l’article L 1235-3 du code du travail sont contraires à la Charte Sociale Européenne et la Convention n°158 de l’OIT.

Faisant sien l’argumentaire du SAF, le Conseil de Prud’hommes a reconnu l’inconventionnalité des barèmes instaurés par l’article L 1235-3 du Code du travail.

On ne peut que louer l’acte de bravoure de la juridiction troyenne, qui, en reprenant, dans sa motivation une partie de l’argumentaire du conseil du demandeur, a permis de lever le voile sur les arguments juridiques des détracteurs de la barémisation Macron.

Il aurait peut-être été judicieux de s’arrêter là.

Or, tel n’est pas le choix du Conseil de Prud’hommes de Troyes :

« (…) ces barèmes ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié. Ces barèmes sécurisent d’avantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables. »

Une telle précision apparaît critiquable en ce qu’elle victimise inutilement le salarié licencié, et n’est pas sans témoigner d’une vision qui peut sembler manichéiste du contentieux prud’homal.

En outre, il s’agissait d’un cas d’espèce particulier dans lequel la société avait rompu son accord de principe avec le salarié. Pour reprendre les termes du Conseil de Prud’hommes, il s’agit plus de sanctionner la « grande malhonnêteté » de l’employeur que de réparer le préjudice subi…

Cela aura valu au Conseil de Prud’hommes de Troyes de s’attirer les foudres de Mme la Ministre du Travail, ce à quoi, fort de sa nouvelle notoriété, il n’a d’ailleurs pas tardé à répliquer dans un communiqué cinglant du 20 décembre 2018 [3]

B – Acte 2 : une inconventionnalité in fine constatée.

Le Conseil de Prud’hommes d’Amiens, sous présidence employeur, jugeait le 19 décembre 2018 [4] que l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ne pouvait être considérée comme étant appropriée et réparatrice du licenciement sans case réelle et sérieuse et ce dans le respect de la convention 158 de l’OIT mais aussi de la législation française et de la jurisprudence applicable en la matière.

Dans une espèce somme toute assez classique, un salarié, bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, sollicitait la requalification des contrats à durée déterminée et avenants en contrat à durée indéterminée, ainsi que la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Il s’estimait visiblement particulièrement lésé par la rupture de son contrat de travail, puisqu’il estimait son préjudice à 12 mois de salaire, alors même qu’il comptait 3 mois d’ancienneté.

L’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 fixe, pour une telle ancienneté, le plafond à un mois de salaire.

Pour le Conseil de Prud’hommes, une telle indemnité n’aurait apporté au salarié une réparation adéquate, ce qui justifie la condamnation de l’association défenderesse à … 1,5 mois de salaire !

In cauda venenum, l’estimation du « juste prix » du licenciement du salarié est quasiment celle qui est faite par les barèmes. Quant à celle réalisée par le Conseil du demandeur, force est de constater qu’elle est bien loin, non seulement des ordonnances, mais surtout du montant alloué au salarié par le Conseil de Prud’hommes.

C – Acte 3 : une inconventionnalité non jugée ?

La motivation du Conseil de Prud’hommes de Lyon en son jugement du 21 décembre 2018 [5] pour justifier la non-application de l’article L1235-3 ne suscitera sans nul doute pas grand engouement.

Pour écarter les barèmes et, conséquence qui devrait être logique, justifier le préjudice, le jugement retient, d’une part, que « la multiplicité des CDD de la salariée démontrent au contraire la satisfaction de son employeur », et d’autre part, que « (...) les manquements de l’association dans l’exécution du dernier contrat de travail sont, préjudiciables puisqu’elle n’a pas pu bénéficier de l’entretien préalable et de la période de préavis ».

Ainsi, le Conseil de Prud’hommes de Lyon se fonde sur le préjudice subi lors de l’exécution du contrat de travail pour fabriquer un préjudice qui serait subi du fait de la rupture du contrat de travail….

C’est faire fi du fait que le préjudice né des manquements de l’employeur dans l’exécution du contrat de travail est déjà sanctionné sur le fondement de l’article L 1222-1 du code du travail.

Ce n’est pas sans être dommageable pour le salarié lui-même. Effectivement, la rédaction du jugement pourrait donner l’impression de gonfler artificiellement, à tort ou à raison, le préjudice du demandeur. Alors même que le jugement ne donne aucune indication du préjudice subi.

En invalidant les barèmes sans pour autant exciper de leur inconventionnalité, le Conseil de Prud’hommes de Lyon sème une certaine confusion dont les défenseurs des ordonnances vont certainement tirer profit pour amoindrir la portée du jugement.

Conclusion :

Malgré des zones d’ombre certaines dans le tableau de la lutte contre le plafonnement, reste que l’ inconventionnalité de la barémisation apparaît comme une lumière au bout du tunnel, qui devra naturellement passer l’étape de l’appel puis éventuellement de la cassation, pour rester sous le feu des projecteurs.