Le 6 avril dernier, Dalila devenait la quarante-deuxième victime d’un féminicide. Une heure avant la dispute sanglante ayant donné lieu au drame, les gendarmes s’étaient pourtant rendus au domicile conjugal. Ce féminicide aurait-il pu (dû) être évité ? Cela pose la question de la prise en charge par les OPJ des femmes menacées, dans un pays qui « n’arrive pas à enrayer les féminicides », selon Mme Joly-Coz, Présidente du Tribunal de Grande Instance de Pontoise.
Pionnier dans la lutte contre les violences faites aux femmes, le département de Pontoise souhaite expérimenter le dispositif anti-rapprochement, conformément à la possibilité -non exploitée encore à ce jour- donnée, sous certaines réserves, par la loi du 9 juillet 2010 toilettée par la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique.
Cette loi a prévu l’expérimentation pour une durée de trois ans du « Dispositif Électronique de Protection Anti-Rapprochement »(DEPAR), visant à améliorer la protection des victimes de violences conjugales et à garantir le respect de l’interdiction faite à l’auteur de violences conjugales d’entrer en contact avec la victime.
Introduction : victimes de violences conjugales, la loi vous protège !
L’article 132-80 du code pénal fait du lien conjugal une circonstance aggravante lorsqu’une infraction est commise :
« Dans les cas respectivement prévus par la loi ou le règlement, les peines encourues pour un crime, un délit ou une contravention sont aggravées lorsque l’infraction est commise par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, y compris lorsqu’ils ne cohabitent pas.
La circonstance aggravante prévue au premier alinéa est également constituée lorsque les faits sont commis par l’ancien conjoint, l’ancien concubin ou l’ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. »
Les violences au sein du couple diffèrent des disputes ou conflits conjugaux où deux points de vue s’opposent dans un rapport d’égalité.
Les violences sont inégalitaires par nature puisqu’il s’agit d’un rapport de domination au terme duquel l’auteur, par ses propos et comportements, veut contrôler et détruire sa partenaire.
Les conséquences pour la victime sont désastreuses : peur, culpabilité, perte de l’estime de soi et d’autonomie, isolement, stress.
Fort heureusement conscient de la recrudescence de ce phénomène d’ampleur, le législateur français n’a eu de cesse ces dernières années de durcir les textes en vigueur.
A titre d’exemple non exhaustifs :
- Violences habituelles (en fonction de l’incapacité totale de travail) : « Les violences habituelles sur un mineur de quinze ans ou sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur sont punies : 1° De trente ans de réclusion criminelle lorsqu’elles ont entraîné la mort de la victime ; 2° De vingt ans de réclusion criminelle lorsqu’elles ont entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ; 3° De dix ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende lorsqu’elles ont entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours ; 4° De cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende lorsqu’elles n’ont pas entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours. Les peines prévues par le présent article sont également applicables aux violences habituelles commises par le conjoint ou le concubin de la victime ou par le partenaire lié à celle-ci par un pacte civil de solidarité. Les dispositions du second alinéa de l’article 132-80 sont applicables au présent alinéa. » (article 222-14 du code pénal),
- Agressions sexuelles : « L’infraction définie à l’article 222-27 est punie de sept ans d’emprisonnement et de 100.000 euros d’amende : 7° Lorsqu’elle est commise par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité (…) ». (article 222-28 du code pénal)
I – L’efficacité de la législation en question.
Au début du mois de mars, à la veille de la journée internationale des droits de la femme, Emmanuel Macron, qui a érigé l’égalité entre les femmes et les hommes grande cause du quinquennat, avait promis dans un tweet : "Il n’y aura plus de silence, plus de passe-droits, plus d’habitude sur le féminicide."
Hashtags chocs, tweets enflammés ou manifestations de grande ampleur sont autant d’actes qui contribuent à ce que la parole se libère et la honte et la culpabilité commencent à changer de camp.
Pour autant, la France est pour l’instant très loin d’avoir gagné le combat contre les violences conjugales, malgré une législation de plus en plus punitive.
Si de nombreux dispositifs sont présents pour lutter contre les violences faites aux femmes et que des lois éclosent d’années en années, cela n’est pas suffisant face aux chiffres qui ne cessent de grimper.
En France, selon les statistiques du Gouvernement, chaque année, près de 220.000 femmes subissent des violences de la part de leur compagnon ou ex-compagnon.
Nb moyen de femmes victimes sur un an | % de la population tot. | |
---|---|---|
Victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part du conjoint | 219 000 | 1,0 |
dont victimes de violences uniquement physiques | 154 000 | 0,7 |
dont victimes de violences uniquement sexuelles | 32 000 | 0,1 |
dont victimes de violences physiques et sexuelles | 33 000 | 0,3 |
Ces chiffres peu encourageants posent la question du nécessaire déploiement de dispositifs permettant d’enrayer les violences conjugales a priori.
II - La question de la protection des victimes de violences conjugales par l’expérimentation du DEPAR.
Passer d’un système exclusivement punitif à un système préventif pour tenter d’éradiquer le phénomène des violences conjugales, c’est justement le pari audacieux lancé par Mme la Présidente Joly-Coz et Mr le Procureur Courteau, Magistrats à Pontoise.
Il y a plusieurs mois, déjà, ces derniers faisaient connaître au Ministère de la justice leur volonté d’expérimenter le dispositif du DEPAR et de mettre en place un projet-pilote, permettant une réelle expérimentation de ce dispositif.
- La géolocalisation de l’auteur de l’infraction.
Ce dispositif du DEPAR, à la différence du « Téléphone Grave Danger » (TGD) prévoit la géolocalisation de l’auteur des violences.
Le « Téléphone Grave Danger » a vocation à prévenir les nouvelles violences que pourraient subir la victime de viol ou la victime de violences conjugales du fait de son conjoint ou ancien conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité.
Selon les dispositions de l’article 41-3-1 du code de procédure pénale, le dispositif peut être attribué à tous les stades de la procédure, y compris durant des phases où l’action publique n’a pas été mise en mouvement.
En cas de grave danger menaçant une personne victime de violences de la part de son conjoint, de son concubin ou de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, le procureur de la République peut attribuer à la victime, pour une durée renouvelable de six mois et si elle y consent expressément, un dispositif de téléprotection lui permettant d’alerter les autorités publiques.
Avec l’accord de la victime, ce dispositif peut, le cas échéant, permettre sa géolocalisation au moment où elle déclenche l’alerte.
Ce dispositif se constitue d’un mobile avec une touche directe pour appeler les secours et a été lancé début 2011 dans les départements du BAS RHIN et en SEINE SAINT DENIS et a été étendu à l’ensemble du territoire en 2014.
Il donnait lieu à 420 sollicitations des forces de l’ordre en 2018, contre seulement 222 en 2016 [1].
Ainsi, si le TGD permet la géolocalisation du bénéficiaire, sous réserve de son accord, tel n’est pas le cas pour l’auteur de l’infraction : le DEPAR permet de pallier cette faille en munissant à la fois la victime et l’auteur des violences d’un dispositif de géolocalisation.
Pour mémoire, dans la désormais tristement célèbre affaire « Dalila », l’auteur du meurtre était introuvable quelques heures avant les faits, ayant pris la fuite à l’arrivée des gendarmes pour ensuite revenir tuer sa victime…
- Un cadre procédural trop strict ?
L’attribution d’un DEPAR est subordonnée, outre l’existence d’une interdiction de rencontrer la victime, au placement sous surveillance électronique mobile de la personne mise en examen ou condamnée.
Dans le cadre pré-sentenciel :
L’auteur présumé d’un crime ou d’un délit commis contre son conjoint, concubin ou partenaire de PACS (ou ex) doit être mis en examen pour une infraction punissable :
- d’au moins 5 ans d’emprisonnement s’il s’agit de violences ou menaces,
- et d’au moins 7 ans dans les autres cas.
Dans le cadre post-sentenciel :
L’auteur doit faire l’objet d’un placement sous surveillance électronique mobile dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire ou d’une libération conditionnelle par le juge d’application des peines.
Ce carcan procédural pose la question des infractions punissables d’une peine d’emprisonnement inférieures à cinq ans aux titres desquelles figurent pourtant des infractions dont les auteurs de violences conjugales sont pourtant coutumiers, en l’occurrence les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à 8 jours, les actes de harcèlement, ou encore les menaces de mort.
Conclusion : le DEPAR, un nouveau départ dans la lutte contre les violences conjugales.
Le Ministère de la justice, informé du souhait de la juridiction de Pontoise de mettre en place une expérimentation du dispositif DEPAR, a d’ores et déjà reçu les magistrats porteurs du projet.
Nous ne pouvons qu’attendre avec impatience la fin de l’étude de cette proposition d’expérimentation, et nous féliciter de compter, parmi les pionniers de la lutte contre les violences conjugales, des juridictions aussi vaillantes que celle de Pontoise.
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