Attendue avec ferveur depuis plusieurs semaines, la réforme du système d’assurance chômage a été présentée ce 18 juin par Mr le Premier Ministre E. Philippe et Mme le Ministre du Travail M. Penicaud.
Parmi les objectifs affichés de la réforme figure l’un des engagements phare d’E. Macron pendant la campagne présidentielle, à savoir offrir des droits à l’assurance chômage aux salariés démissionnaires.
Ainsi, la réforme prévoit qu’à partir du 1er novembre 2019, les salariés démissionnaires pourront être indemnisés mais sous condition. Il sera notamment nécessaire d’avoir au moins cinq ans d’ancienneté dans son entreprise et présenter un véritable projet professionnel, le tout sous le contrôle d’une commission.
Est-ce pour autant réellement révolutionnaire ? Pas à la lueur de la législation déjà en vigueur, puisqu’il est déjà possible de se voir indemniser par POLE EMPLOI après avoir présenté sa démission à son employeur.
Quelques chiffres.
Démissionner est-il devenu la nouvelle tendance chez les salariés français ? Cadremploi, spécialiste des offres d’emploi et du recrutement de cadres s’est attelé à répondre à la question dans une étude réalisée par l’IFOP à la fin de l’année 2018 portant sur un échantillon de cadres et dirigeants.
Contre toute attente, 6 cadres sur 10 envisagent de démissionner, cette idée leur venant « souvent » (16 %) ou seulement « de temps en temps » (46 %), ce pourcentage étant plus élevé chez les jeunes cadres et diplômés (18-34 ans) puisqu’il s’élève tout de même à 74 % [1].
Rêve fantasmé ou réalité travestie, la démission est de très loin le mode de rupture favori en France : en 2018, les démissions représentaient environ 40% des fins de contrats.
Suivaient ensuite, avec respectivement un peu moins de 20%, les fins de période d’essai et les licenciements pour motif personnel.
Les ruptures conventionnelles, bien qu’en très nettes augmentation, et titulaires d’un nouveau record en 2018 avec 437.700 homologations par la DIRECCTE [2] représentent quant à elles 10 % des ruptures anticipées de contrat.
Peu importe le secteur d’activité, la démission est le motif de fin de contrat le plus fréquent.
Toutefois, les établissements de l’industrie connaissent moins de démission (32% des fins de contrat en 2017) que ceux de la construction (44%) ou du tertiaire (41%).
Au-delà du soulagement que cela procure bien souvent, démissionner est-il un acte si audacieux qu’il y paraît ?
Le point sur les conditions d’ouverture des droits aujourd’hui :
I – Une exclusion de principe en cas de privation volontaire de l’emploi.
Selon l’article L 5422-1 du code du travail, Pôle emploi verse, pendant une durée déterminée, un revenu de remplacement dénommé « allocation d’aide au retour à l’emploi » (ARE) aux salariés involontairement privés d’emploi qui remplissent certaines conditions d’activité, d’âge et d’aptitude physique ainsi que des conditions d’inscription comme demandeurs d’emploi et de recherche d’emploi.
Pour bénéficier de l’ARE, les demandeurs d’emploi doivent résider sur le territoire relevant du champ d’application du régime d’assurance chômage.
Ceci posé, ont notamment droit aux allocations de chômage les salariés involontairement privés d’emploi (ou assimilés) dont la cessation du contrat résulte :
- d’un licenciement (même pour faute grave ou lourde),
- d’une rupture conventionnelle à condition qu’elle ait été homologuée [3],
- d’une rupture d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif portant congé de mobilité ou rupture conventionnelle collective,
- d’une fin de CDD, ou de contrat de mission, ainsi que d’une rupture anticipée à l’initiative de l’employeur,
- d’une démission considérée comme légitime (…)
II – Une inclusion subordonnée à la légitimité de la démission et à la viabilité du projet professionnel.
A – La légitimité de la démission en question.
A toutes fins utiles, les principaux cas de démissions légitimes sont les suivants :
- démission du salarié âgé de moins de 18 ans pour suivre ses ascendants ou la personne qui exerce l’autorité parentale,
- démission du salarié placé sous sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle pour suivre son parent désigné mandataire spécial, curateur ou tuteur,
- démission du salarié suivant son conjoint ou son concubin qui déménage pour exercer un nouvel emploi (mutation, changement d’employeur, création ou reprise d’entreprise),
- démission du salarié dont le mariage ou le Pacs a entraîné un déménagement dès lors que moins de 2 mois se sont écoulés entre la fin de l’emploi et le mariage ou le Pacs, quel que soit l’ordre de ces événements [4],
- démission pour suivre son enfant handicapé admis dans une structure d’accueil dont l’éloignement entraîne un changement de résidence,
- démission pour cause de non-paiement des salaires à condition que l’intéressé justifie d’une ordonnance de référé lui allouant une provision de sommes pour des arriérés de salaires,
- démission d’un salarié victime d’actes délictueux au sein de l’entreprise s’il justifie avoir déposé plainte auprès du procureur de la République (violences, harcèlement…),
- démission pour cause de changement de résidence d’un salarié victime de violences conjugales s’il justifie avoir déposé plainte auprès du procureur de la République,
- démission du salarié au cours ou au terme d’une période d’essai n’excédant pas 65 jours travaillés d’un emploi repris postérieurement à un licenciement, une rupture conventionnelle ou une fin de CDD,
- démission du salarié pour reprendre un nouvel emploi à durée indéterminée auquel l’employeur met fin au cours ou au terme d’une période de 65 jours travaillés, si le salarié justifie de 3 ans d’affiliation continue dans une ou plusieurs entreprises,
- démission du salarié pour créer ou reprendre une entreprise dont l’activité, qui doit avoir donné lieu aux formalités de publicité requises par la loi, cesse pour des raisons indépendantes de la volonté du créateur ou du repreneur.
B – Le caractère sérieux du projet professionnel question depuis le 1er janvier 2019.
La loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 (entrée en vigueur le 1er janvier 2019) « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », dont le titre 2 est (pompeusement il faut bien l’avouer) baptisé « une indemnisation du chômage plus universelle et plus juste », pose le principe de l’extension de l’indemnisation chômage aux salariés démissionnaires et aux travailleurs indépendants.
Ainsi, les salariés sont désormais éligibles à l’assurance chômage sous réserve du respect :
- d’une part, d’une condition d’activité antérieure spécifique,
- d’autre, part, de la poursuite d’un projet de reconversion professionnelle nécessitant le suivi d’une formation ou d’un projet de création ou de reprise d’une entreprise.
Ce projet devra présenter un caractère réel et sérieux attesté par une commission paritaire interprofessionnelle régionale.
Selon l’article L5422-1-1 du code du travail, le salarié démissionnaire doit également avoir demandé, préalablement à sa démission, un conseil en évolution professionnelle afin d’établir son projet de reconversion professionnelle.
Conclusion.
Manifestement, la légitimité de la démission anesthésierait le caractère involontaire de la rupture pour déjouer le jeu de l’article L5422-1 du code du travail. Cela malgré le fait que démissionner est un acte délibéré.
Est-ce à dire qu’il est sans risque de démissionner en France ? Il faut naturellement éviter de céder à un tel raccourci d’esprit qui serait biaisé.
Il n’en demeure pas moins que les nombreuses exceptions à l’exclusion des démissionnaires à l’ARE ne peuvent qu’être très légitimement perçues comme un accélérateur à démissions.
Assurément, au regard des textes déjà en vigueur et de la casuistique jurisprudentielle, la réforme de l’assurance chômage n’aura certainement pas l’effet escompté par Mr le Président Macron.
L’accompagnement par un professionnel du droit est toutefois judicieux, ceci afin d’éviter les mauvaises surprises dues aux aléas d’interprétation de règles d’indemnisation de plus en plus complexes à saisir, y compris pour Pôle Emploi lui-même, qui croule sous les plaintes concernant ces mêmes règles.i
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