Un refus de travailler le dimanche peut coûter très cher aux salariés désireux de voir solliciter leur accord en cas de modification du contrat de travail : deux salariés d’un supermarché Cora de Saint-Malo (35) en faisaient les frais à la fin du mois d’avril, et se voyaient notifier une lettre de licenciement pour faute grave après avoir manifesté leur refus de travailler le dimanche.
La règle de base est que l’employeur doit accorder un jour de repos par semaine à ses salariés, en l’occurrence, le dimanche (article L3132-3 du code du travail).
Toutefois, des évolutions législatives récentes, notamment par le biais de la désormais célébrissime loi n°2015-990 du 6 août 2015 dite Macron, ont élargi les possibilités d’ouverture des commerces le dimanche.
Fin août 2018, le dossier revenait sur la table lorsqu’une vingtaine de députés de La République en Marche publiait une tribune au terme de laquelle ils exhortaient Mr le Ministre Le Maire à saisir l’opportunité de "donner plus de libertés aux commerces d’ouvrir ou non le dimanche, et ainsi redynamiser nos coeurs de ville”. En vain puisque ce dernier n’intégrait pas le chantier de l’extension de l’ouverture des commerces le dimanche dans la loi PACTE et refusait (pour un temps ?) de réformer le principe du repos dominical.
Ces quelques précisions étant faites, rétrospective sur l’état du droit.
I – Qui peut recourir au travail dominical des salariés ?
A – le principe : le repos dominical.
Selon les dispositions légales de l’article L3132-1 du Code du travail, « Il est interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine ».
Le corollaire de cette règle est que l’entreprise doit accorder au salarié, chaque semaine, au moins un jour de repos, en principe le dimanche.
B – les dérogations : un travail dominical strictement encadré.
Plusieurs types de dérogations existent au principe du repos dominical :
Les dérogations de droit.
Selon l’article L3132-12 du code du travail, certains types d’établissements, dont la liste figure à l’article R3132-5 du code du travail et dont le fonctionnement ou l’ouverture est rendu nécessaire par les contraintes de la production, de l’activité ou les besoins du public, peuvent de droit déroger à la règle du repos dominical en attribuant le repos hebdomadaire par roulement, ce qui implique qu’aucune autorisation n’est donc nécessaire pour l’ouverture le dimanche.
Les dérogations sur un fondement géographique.
La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques donne la possibilité aux commerces de détail situés dans les zones touristiques internationales, les zones touristiques, les zones commerciales et les gares de déroger à la règle du repos dominical sous réserve qu’ils soient couverts par un accord collectif fixant les contreparties accordées aux salariés privés de repos dominical et que les salariés aient donné à leur employeur leur accord écrit pour travailler le dimanche (articles L3132-25-3 et L3132-25-4 du code du travail).
A noter : Les 12 zones touristiques internationales (« ZTI ») créées par les arrêtés interministériels du 25 septembre 2015 [1] viennent d’être récemment modifiées. Ainsi, ne sont plus visées la ZTI « Olympiades » depuis le 13 juin 2018, et ne concernera plus les ZTI « Saint-Emilion Bibliothèque » et « Maillot-Ternes » à compter du 20 août 2018, ces zones ayant été jugées trop ternes touristiquement par le Tribunal administratif de Paris, aux termes de jugements respectivement prononcés le 13 février 2018 et le 19 avril 2018.
Les dérogations préfectorales.
Selon l’article L3132-20 du code du travail, le préfet peut autoriser des établissements à déroger à la règle du repos dominical pour éviter un préjudice au public ou une atteinte au fonctionnement normal de l’établissement, ces dérogations pouvant être ponctuelles ou permanentes.
Les dérogations collectives accordées par le maire en application de l’article L3132-26 du code du travail.
Dans les établissements de commerce de détail où le repos hebdomadaire a lieu normalement le dimanche, ce repos peut dans certaines conditions être supprimé les dimanches désignés, pour chaque commerce de détail, par décision du maire prise après avis du conseil municipal.
C – L’exception aux dérogations : les arrêtés de fermeture hebdomadaire.
En application de l’article L3132-29 du code du travail, le préfet peut prescrire la fermeture au public des établissements d’une profession donnée à la demande des syndicats d’employeurs et de salariés intéressés et sur la base d’un accord relatif au repos hebdomadaire.
Au grand dam des consommateurs, 11 professions sont aujourd’hui concernées à Paris par une fermeture hebdomadaire obligatoire : boucheries, boulangeries, salons de coiffure, merceries, huîtres en gros, poissonneries, quincailleries, machines à coudre, cordonneries, volaillers, auto-écoles.
A noter : L’ouverture des boulangeries 7 jours sur 7 faisait toutefois l’objet d’une question écrite le 14 décembre 2017 [2] au terme de laquelle il était pointé du doigt la disparition de 1.200 commerces chaque année depuis dix ans, notamment en milieu rural.
Le 1er mars 2018, Mme la Ministre du Travail apportait une réponse circonstanciée et rappelait qu’il appartenait à la majorité des membres de la profession en cause de s’accorder sur une éventuelle abrogation de la réglementation litigieuse, cette dernière n’ayant pour objectif que celui d’éviter une concurrence déloyale dommageable.
II – Qui peut refuser de travailler le dimanche ?
Seuls certains salariés des entreprises de commerce de détail non alimentaire peuvent refuser de travailler le dimanche sans risquer la sanction, voire le licenciement.
Cela concerne :
- les employés de commerces situés dans une zone touristique, internationale ou non (ZT et ZTI), dans une zone commerciale (ZC), dans une gare "connaissant une affluence exceptionnelle",
- les employés des établissement bénéficiant d’une dérogation préfectorale ou communale.
Conséquence ? Le travail dominical intervient, dans ces commerces, sur la base du volontariat. Le refus du salarié ne pourra en aucun cas donner lieu à sanction quelle qu’elle soit (sanction disciplinaire, licenciement...).
Alors, les salariés des autres secteurs sont-ils obligés de travailler le dimanche à la demande de l’entreprise ?
La Cour de Cassation a d’ores et déjà répondu à la question dans un arrêt déjà ancien (et depuis, confirmé) du 2 mars 2011 [3] :
« Attendu que pour dire le licenciement de M. X... fondé sur une cause réelle et sérieuse, la cour d’appel retient que le salarié ne se prévalait pas d’une clause contractuelle excluant le travail les samedi et dimanche et que la modification des jours et horaires de travail décidée par l’employeur était justifiée par des impératifs de fonctionnement ;
Qu’en statuant ainsi, alors que la nouvelle répartition de l’horaire de travail avait pour effet de priver le salarié du repos dominical, ce qui constituait une modification de son contrat de travail qu’il était en droit de refuser, la cour d’appel a violé le texte susvisé (….) »
Faut-il pour autant en déduire que les licenciements des deux salariés Cora seront automatiquement jugés sans cause réelle et sérieuse ?
On peut très légitimement en douter au regard des récentes évolutions législatives et au souhait affiché par le Gouvernement de « répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi », en matière d’aménagement du temps de travail, d’aménagement de la rémunération et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.
Si la direction du groupe de grande distribution, visiblement soucieuse de préserver son image de marque, a fait un pas vers les syndicats après le tollé médiatique suscité par les licenciements litigieux, reste que l’article L3132-13 du code du travail donne la possibilité à l’hypermarché, en l’occurrence, à prédominance alimentaire, lui permettait d’ouvrir de plein droit jusqu’à 13 heures, cela sans autorisation préalable.
Le Conseil de Prud’hommes devra donc se prononcer afin de savoir si les salariés étaient, ou non, liés juridiquement par les clauses de leur contrat de travail, plus favorables en ce qu’elles ne contenaient aucune mention quant au travail dominical.
S’il n’y a guère de doute que les conseillers saisis du litige ne devraient pas considérer que le degré de gravité de la faute reprochée aux salariés justifie un licenciement les privant de leurs droits les plus élémentaires et cela nonobstant de longues années de bons et loyaux services, la question de la constitution d’un motif personnel de licenciement est certainement plus discutable.
Conclusion :
Si l’issue de la bataille juridique entre les partisans de la liberté d’entreprendre et les détracteurs du travail dominical est donc loin d’être certaine, reste qu’il est nécessaire de tenir compte des impératifs liés à la vie personnelle et familiale du salarié lors de la définition d’une nouvelle répartition des horaires par l’entreprise.
En effet, si le bouleversement complet des horaires de travail du salarié peut légitimement et sous certaines conditions justifier un refus de travailler le dimanche, l’irrespect des dispositions applicables en matière de temps de travail et de repos hebdomadaires expose l’entreprise à des sanctions judiciaires, et peut même conduire à sa fermeture administrative.
Il n’y a donc pas de solution idoine ce qui veut dire qu’employés comme employeurs doivent donc réfléchir à deux fois avant de prendre une décision, quelle qu’elle soit, concernant le travail dominical.
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