COVID-19 : REPORT DE LOYERS ET CHARGES LOCATIVES


 

 

 

La loi d’urgence sanitaire n° 2020-290 du 23 mars 2020 a donné l’autorisation au Gouvernement de prendre toute mesure, pouvant entrer en vigueur si nécessaire à compter du 12 mars 2020, afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de COVID-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation.

Le Gouvernement a ainsi été autorisé à prendre par voie d’ordonnances toute mesure :

« g) Permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret ° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique, dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie ; »

L’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 prise dans le cadre de cette autorisation générale prévoit quelles sont les personnes concernées et quelle est la nature exacte de la mesure finalement adoptée par le Gouvernement.

Les modalités d’application de cette mesure ont depuis lors été précisées par un Décret n° 2020-378 du 31 mars 2020.

 

Quelles sont les personnes concernées ?

1. Les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ;

Le décret du 31 mars 2020 précise qu’il s’agit des personnes physiques et personnes morales de droit privé résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique et remplissant les conditions et critères suivants :

  • Elles ont débuté leur activité avant le 1er février 2020 ;
  • Leur effectif est inférieur ou égal à dix salariés (calculé selon les modalités prévues par l'article L. 130-1 I du code de la sécurité sociale) ;
  • Le montant de leur chiffre d'affaires constaté lors du dernier exercice clos est inférieur à un million d'euros. Pour les entreprises n'ayant pas encore clos d'exercice, le chiffre d'affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l'entreprise et le 29 février 2020 doit être inférieur à 83 333 euros ;
  • Leur bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant, au titre de l'activité exercée, n'excède pas 60 000 euros au titre du dernier exercice clos. Pour les entreprises n'ayant pas encore clos un exercice, le bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant est établi, sous leur responsabilité, à la date du 29 février 2020, sur leur durée d'exploitation et ramené sur douze mois ;
  • Les personnes physiques ou, pour les personnes morales, leur dirigeant majoritaire ne sont pas titulaires, au 1er mars 2020, d'un contrat de travail à temps complet ou d'une pension de vieillesse et n'ont pas bénéficié, au cours de la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, d'indemnités journalières de sécurité sociale d'un montant supérieur à 800 euros ;
  • Elles ne sont pas contrôlées par une société commerciale au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce ;
  • Lorsqu'elles contrôlent une ou plusieurs sociétés commerciales au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, la somme des salariés, des chiffres d'affaires et des bénéfices des entités liées respectent les seuils d’effectif, de chiffre d’affaires et de bénéfice susvisés.

Ces personnes doivent en outre :

  • Avoir fait l'objet d'une interdiction d'accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ;
  • avoir subi une perte de chiffre d'affaires d'au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020,
  • par rapport à la même période de l'année précédente ;
  • ou, pour les entreprises créées après le 1er mars 2019, par rapport au chiffre d'affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l'entreprise et le 29 février 2020 ;
  • ou, pour les personnes physiques ayant bénéficié d'un congé pour maladie, accident du travail ou maternité durant la période comprise entre le 1er mars 2019 et le 31 mars 2019, ou pour les personnes morales dont le dirigeant a bénéficié d'un tel congé pendant cette période, par rapport au chiffre d'affaires mensuel moyen sur la période comprise entre le 1er avril 2019 et le 29 février 2020.

2. Celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire. Elles devront alors demander la communication d'une attestation auprès de l'un des mandataires de justice désignés par le jugement qui a ouvert cette procédure.

 

Quels sont les baux concernés ?

Il s’agit aussi bien des baux commerciaux que des baux professionnels.

 

En quoi consiste la mesure prise par le Gouvernement ?

La loi d’urgence sanitaire constituant le cadre de l’autorisation donnée au Gouvernement pour agir par voie d’ordonnances, ne visait que l’hypothèse d’un report ou d’un étalement dans le temps du paiement des sommes dues au titre d’un bail, et non d’une suspension de l’obligation de paiement le temps de la période de crise sanitaire.

Les loyers visés ne sont donc pas « effacés », mais simplement reportés ou étalés, ce qui signifie qu’ils devront donc bien être payé.

L’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit ainsi que les personnes susceptibles de bénéficier du dispositif :

« … ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce. »

L’ordonnance n’autorise donc pas expressément les locataires éligibles à suspendre le paiement de leurs loyers, mais suspend l’application des sanctions habituellement applicables en cas de défaut de défaut de paiement, ce qui revient donc à leur donner une autorisation implicite.

Par ailleurs, si la loi d’urgence sanitaire ne visait que les seuls loyers, l’ordonnance est pour sa part plus large puisqu’elle vise aussi bien les loyers que les charges locatives correspondantes.

 

Quels sont les loyers concernés ?

Il s’agit des loyers et charges dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire.

Pour mémoire, la loi de crise sanitaire du 23 mars 2020 a déclaré un état d’urgence sanitaire d’une durée de deux mois à compter de son entrée en vigueur, soit le 24 mars 2020, date de sa publication au Journal officiel, qui court donc jusqu’au 24 mai 2020, sous réserve d’une éventuelle prorogation, qui ne pourra toutefois intervenir que par une nouvelle loi.

Par conséquent, en l’état et sauf prorogation de l’état d’urgence sanitaire, la période au cours de laquelle un loyer devient exigible et est donc concerné par le dispositif de gel des sanctions et pénalités mis en place par l’ordonnance du 25 mars 2020 court du 12 mars 2020 au 24 juillet 2020.

Par exemple, pour des loyers exigibles mensuellement le 1er de chaque mois, les loyers des mois d’avril, mai, juin et juillet pourront ne pas être réglés à leur date d’échéance sans qu’aucune sanction ne soit encourue, étant encore rappelé qu’ils devront néanmoins être ultérieurement réglés.

Pour des loyers exigibles trimestriellement, les termes des 1er avril et 1er juillet 2020 seront donc concernés, soit deux trimestres de loyers et charges locatives.

 

Quelles conditions respecter ?

Les locataires éligibles au dispositif de report ou d’étalement de loyers doivent :

  • Produire une attestation sur l’honneur déclarant respecter les conditions d’obtention du fonds de solidarité, précédemment énumérées, et de l’exactitude des informations déclarées ;
  • Présenter en outre l’accusé-réception du dépôt de leur demande d’éligibilité au fonds de solidarité ou, lorsqu’elles ont déposé une déclaration de cessation des paiements, une copie de dépôt de la déclaration de cessation des paiements ou du jugement d’ouverture d’une procédure collective.

Il ne suffit donc pas que le locataire soit éligible au fonds de solidarité, encore faut-il qu’il en ait fait la demande et soit en mesure d’en justifier, étant rappelé que cette demande doit être formée au plus tard le 30 avril 2020 par voie dématérialisée.

 

Quels dispositifs pour les locataires qui ne remplissent pas les critères du dispositif gouvernemental ou pour ceux qui voudraient obtenir plus qu’un simple report de paiement ?

Pour les locataires qui ne remplissent pas ces conditions et ne peuvent donc pas prétendre à la suspension des pénalités et sanction habituellement applicables en cas de défaut de paiement des loyers et charges, ou pour ceux qui voudraient obtenir plus qu’un simple report de paiement, seules les dispositions issues du Code Civil pourront alors être invoquées.

La force majeure

Tout d’abord, le cas de force majeure, traditionnellement considéré comme une circonstance permettant d’excuser l’inexécution d’une obligation contractuelle, à la condition que l’événement invoqué soit extérieur aux parties, imprévisible et irrésistible, pourra être invoqué sur le fondement de l’article 1148 du Code Civil, pour les baux conclus ou renouvelés avant le 1er octobre 2016, et sur le fondement du nouvel article 1218 pour les baux conclus ou renouvelés après cette date.

Plusieurs conditions doivent néanmoins être remplies de façon cumulative :

1. Il faut que l’événement soit « extérieur » aux parties, en ce qu’il échappe à leur contrôle, ce qui est évidemment le cas de la survenance d’une épidémie ;

2. Cet événement doit être « imprévisible », condition qui sera remplie dès lors que le bail a été signé avant le début de l’épidémie, car ses conséquences inédites ne pouvaient pas être raisonnablement anticipées ;

3. Ensuite, l’événement doit être « irrésistible », c’est-à-dire que ses effets ne doivent pas pouvoir être évités par des mesures appropriées, ce qui sera vraisemblablement le cas s’agissant des commerces faisant partie des catégories visées par l’arrêté d’une interdiction d’ouverture, qu’il n’est pas possible de contourner par des « mesures appropriées ».

Pour autant, et quand bien même l’événement remplirait les trois conditions évoquées, encore faut-il qu’il ait pour effet d’empêcher l’exécution de son obligation par le débiteur.

Or, pour le locataire, l’impossibilité d’accéder au local ne lui empêchera pas automatiquement et pas nécessairement de respecter son obligation de paiement du loyer. Si l’entreprise a une trésorerie suffisante, la perte temporaire de chiffre d’affaires liée à l’inexploitation de son activité au sein du local loué ne l’empêchera pas forcément de payer le loyer dû à son bailleur.

D’autant que le bailleur pourra également soutenir, pour contester l’applicabilité de la force majeure, que son locataire avait parfaitement la possibilité de solliciter un prêt de trésorerie ou une autorisation de découvert, afin de lui permettre de faire face à ses échéances.

Il faudra donc que le locataire qui souhaite invoquer la force majeure pour suspendre ses paiements, sur le fondement de son impossibilité d’exécuter son obligation, soit en mesure de justifier de son impossibilité totale de payer le loyer.

Le recours à la notion de force majeure devra donc être fait avec prudence, réservé aux commerces les plus impactés, et bien documenté.

L’exception d’inexécution

Il pourrait également être envisagé d’invoquer l’exception d’inexécution, dans la mesure où locataire subit une privation totale de jouissance du local.

La doctrine considère en effet que le débiteur qui est empêché d'exécuter pour cause de force majeure n'est pas tenu de réparer le dommage éventuellement subi par le créancier, mais, à l'inverse, il ne peut exiger de celui-ci qu'il continue à exécuter ses propres obligations.

L’article 1220 du Code Civil prévoit en toutes hypothèses que la mise en œuvre de l’exception d’inexécution doit être notifiée.

Il appartiendra par conséquent au locataire qui souhaite suspendre ses paiements du fait d’une impossibilité d’exploiter le local de notifier son intention au bailleur, par lettre recommandée avec avis de réception, en invoquant tout aussi bien la force majeure que l’exception d’inexécution, mais en ayant également conscience que des contentieux risquent d’être générés par une telle situation.

L’imprévision

Enfin, une autre piste de réflexion pourrait résulter du nouvel article 1195 du Code Civil qui prévoit que « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. ».

Cet article ne règlera pas la situation immédiate du locataire, puisqu’il prévoit que la partie qui demande cette renégociation doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation et qu’ « En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. ».

Qui plus est, cet article ne peut s’appliquer qu’à des baux conclus ou renouvelés à compter du 1er octobre 2016 et la condition d’une exécution devenue « excessivement onéreuse » pour le preneur est appréciée strictement.

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Dans tous les cas de figure, il faudra néanmoins prendre soin de bien consulter au préalable, et au cas par cas, les clauses du bail spécifiques à chaque relation contractuelle.

 

Maître Stéphane ANDREO

Avocat à la Cour