COVID-19 : PROROGATION DES DELAIS DE PROCEDURE ET DES CLAUSES CONTRACTUELLES SANCTIONNANT L’INEXECUTION D’UNE OBLIGATION


 

 

 

Texte :            ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 (JO du 26 mars 2020)

Mise à jour :   ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 (JO du 16 avril 2020)

 

 

La crise sanitaire exceptionnelle que nous traversons a pour effet d’impacter l’ensemble des pans de notre activité et, notamment, l’activité juridictionnelle.

Les Greffes et Tribunaux sont en effet en grande partie fermés et seuls certains contentieux urgents sont actuellement traités, ce qui n’est pas sans poser des problèmes pratiques, s’agissant notamment des délais impartis dans certaines procédures pour accomplir des actes sous peine de sanctions : caducité, nullité, prescription … etc ...

Cette période pose également des difficultés pour le respect des délais prévus en matière contractuelle, notamment lorsqu’un délai d’exécution ou de livraison doit être respecté et que le contrat liant les parties prévoit un mécanisme de sanction en cas de non-respect du délai convenu : astreinte, pénalité, clause résolutoire …

La loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 du 23 mars 2020 a habilité le Gouvernement à prendre dans un délai de trois mois à compter de sa publication, toute mesure relevant du domaine de la loi pouvant entrer en vigueur à compter du 12 mars 2020, afin de faire face aux conséquences de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation.

Quatre ordonnances ont été publiées au Journal officiel du 26 mars 2020, afin de régler les questions de procédure et d’assurer une « période juridiquement protégée ».

Ces quatre ordonnances concernent l’adaptation des règles de procédure applicables aux juridictions pénales (ord. n° 2020-303), aux juridictions civiles statuant en matière non pénale (ord. n° 2020-304), aux juridictions administratives (ord. n° 2020-305) et la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire (ord. n° 2020-306).

Cette dernière ordonnance a fait l’objet d’aménagements et de compléments, par une nouvelle ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020.

 

Quels sont les délais concernés ?

L'ordonnance n° 2020-306 concerne, sauf certaines exceptions mentionnées au II de son article premier, les délais qui ont expiré ou qui vont expirer entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Pour mémoire, la loi de crise sanitaire n° 2020-290 du 23 mars 2020 a déclaré un état d’urgence sanitaire d’une durée de deux mois à compter de son entrée en vigueur, soit le 24 mars 2020, date de sa publication au Journal officiel, qui court donc jusqu’au 24 mai 2020, sous réserve d’une éventuelle prorogation, qui ne pourra toutefois intervenir que par une nouvelle loi.

Par conséquent, en l’état et sauf prorogation de l’état d’urgence sanitaire, les délais concernés par l’ordonnance du 25 mars 2020 et qui vont bénéficier d’un régime dérogatoire sont donc ceux qui ont expiré ou vont expirer entre le 12 mars 2020 et le mois suivant l’expiration de l’état d’urgence sanitaire, soit pour l’instant le 24 juin 2020.

Cette date du 24 juin 2020, qui marque l’achèvement de ce régime dérogatoire, n’a toutefois été fixée qu’à titre provisoire et sera sans doute réexaminée, ainsi que cela est d’ailleurs clairement mentionné dans le « rapport au Président de la République » qui accompagne l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 et qui prévoit que :

« La date d'achèvement de ce régime dérogatoire n'est toutefois ainsi fixée qu'à titre provisoire. En effet, elle méritera d'être réexaminée dans le cadre des mesures législatives de préparation et d'accompagnement de la fin du confinement. Vous avez annoncé dans votre allocution du 13 avril 2020, que la fin du confinement devrait s'organiser à compter du 11 mai 2020. Selon les modalités de sortie du confinement qui seront définies par le Gouvernement, il conviendra d'adapter en conséquence la fin de la « période juridiquement protégée » pour accompagner, le cas échéant plus rapidement qu'il était initialement prévu, la reprise de l'activité économique et le retour aux règles de droit commun de computation des délais. »

Sont donc exclus de ce régime dérogatoire les délais dont le terme est arrivé à échéance avant le 12 mars 2020, dont le terme n’est pas reporté, ainsi que les délais dont le terme est fixé au-delà du mois suivant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit actuellement le 24 juin, qui ne sont ni suspendus ni prorogés.

Concrètement, celui dont le délai expire le 24 juin bénéficiera donc du mécanisme dérogatoire institué par l’ordonnance du 25 mars 2020, tandis que celui dont le délai expire le 25 juin en sera privé et devra donc le respecter.

 

Quels sont les actes concernés ?

L’article 2 de l’ordonnance vise de façon extrêmement large tous les actes juridictionnels :

« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er »   

L’ordonnance du 15 avril 2020 précise que cet article ne s’applique pas :

« aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d'argent en cas d'exercice de ces droits. »

Les délais pour se rétracter ou renoncer à un contrat, par exemple en matière de vente à distance ou de contrats d'assurance ou de services financiers à distance, d'assurance-vie ou encore de vente d'immeubles à usage d'habitation relevant de l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation, sont donc exclus du champ de l'article 2 de l'ordonnance.

Les mécanismes juridiques de droit commun pourront néanmoins être invoqués, si leurs conditions sont évidemment réunies, tels que la suspension de la prescription pour impossibilité d’agir en application de l’article 2224 du Code Civil ou le jeu de la force majeure, sur le fondement de l’article 1218 du Code Civil.

Il en est de même des délais de réflexion : ces délais avant l'expiration desquels le destinataire d'une offre contractuelle ne peut manifester son acceptation sont exclus du champ de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020. En effet, il ne s'agit pas d'un acte devant être réalisé pendant un certain délai à peine de sanction, mais seulement d'un temps imposé au futur contractant pour réfléchir à son engagement.

L'exclusion concerne également les délais prévus pour le remboursement d'une somme d'argent en cas d'exercice du droit de rétractation ou de renonciation.

Enfin, le mécanisme dérogatoire ne s’applique qu’aux seuls délais prescrits par la loi ou le règlement à peine d’une sanction ou d’une déchéance d’un droit, excluant de fait les actes prévus par des stipulations contractuelles.

 

De quelle prorogation de délai ces actes vont-ils bénéficier ?

L'article 2 de l’ordonnance précise que ces actes seront réputés « avoir été fait à temps » s’ils sont accomplis « dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. ».

La période en question étant la période d’urgence sanitaire (24 mai) augmentée d’un mois (24 juin), le délai pour agir sera donc à compter de cette dernière date le délai légalement imparti (un mois par exemple pour une déclaration d’appel), mais sans que la prorogation ne puisse toutefois dépasser deux mois, soit au plus tard le 24 août 2020.

Par conséquent, si le délai légal pour agir est habituellement de trois mois, il sera ici réduit à deux mois au-delà du 24 juin.

A la lecture de l’ordonnance du 25 mars 2020, on pouvait s’interroger sur le fait de savoir si ce texte instituait une « suspension » du délai, qui serait déjà en partie consommé et reprendrait son cours à la fin de la période pour la partie du délai non encore consommée, ou s’il instituait une « interruption » du délai, qui aurait pour effet de faire courir un nouveau délai à l’issue de la période de référence.

Le rapport au Président de la République qui accompagne l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 indique que :

« L'article 2 de cette ordonnance ne constitue ni une suspension, ni une prorogation du délai initialement imparti pour agir. Le mécanisme mis en œuvre par cet article permet simplement de considérer que l'acte ou la formalité réalisé jusqu'à la fin du délai initial, calculé à compter de la fin de la période visée à l'article 1er (état d'urgence sanitaire + un mois), dans la limite de deux mois, sera réputé valablement fait. Il s'agit de permettre d'accomplir a posteriori (et comme si le délai avait été respecté) ce qu'il a été impossible de faire pendant la période d'urgence sanitaire augmentée d’un mois. »

 

Qu’en est-il des mesures d’instruction qui devaient être exécutées avant le 24 juin ?

L’article 3 de l’ordonnance prévoit que les mesures administratives ou juridictionnelles dont le terme vient à échéance au cours de la période susvisée sont prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de cette période et vise notamment les mesures d’enquête et d’instruction.

Une mesure de constat autorisée par une ordonnance juridictionnelle dont le délai d’exécution prenait fin après le 12 mars et avant le 24 juin 2020 pourra donc être réalisée jusqu’au 24 août prochain.

 

Et en matière contractuelle ?

L’ordonnance apporte plusieurs précisions quant au sort des délais prévus et sanctionnés par des dispositions contractuelles, c’est-à-dire par les conventions signées entre les parties.

Elle prévoit d’abord (article 4) que les astreintes, clauses résolutoires ou les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet. Elles ne produiront leurs effets qu’à compter de l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de cette période si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant ce terme.

L’ordonnance du 15 avril 2020 apporte toutefois la précision suivante :

« Si le débiteur n'a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d'une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée.

Cela signifie concrètement que le report n'est plus forfaitairement fixé à un mois, comme initialement prévu, mais qu’il sera égal à la durée d'exécution du contrat qui a été effectivement impactée par les mesures résultant de l'état d'urgence sanitaire.

Par exemple, si une échéance était attendue le 20 mars 2020, c'est-à-dire huit jours après le début de la période juridiquement protégée, la clause pénale sanctionnant le non-respect de cette échéance ne produira son effet, si l'obligation n'est toujours pas exécutée, que huit jours après la fin de la période juridiquement protégée.

De même, si une clause résolutoire, résultant d'une obligation née le 1er avril devait prendre effet, en cas d'inexécution, le 15 avril, ce délai de 15 jours sera reporté à la fin de la période juridiquement protégée pour que le débiteur puisse encore valablement s'acquitter de son obligation avant que la clause résolutoire ne prenne effet, soit une nouvelle période de quinze jours à compter du 24 juin.

L’ordonnance du 15 avril 2020 ajoute également un dispositif de report du cours des astreintes et de la prise d'effet des clauses pénales, résolutoires et de déchéance lorsque celles-ci sanctionnent l'inexécution d'une obligation, autre que de somme d'argent, prévue à une date postérieure à la fin de la période juridiquement protégée :

« La date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses prennent effet, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation, autre que de sommes d'argent, dans un délai déterminé expirant après la période définie au I de l'article 1er, est reportée d'une durée égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la fin de cette période. »

Le rapport au Président de la République justifie cette mesure par le fait que même après l'expiration de cette période, certains débiteurs d'une obligation de faire se trouveront, du fait des difficultés imposées par le confinement, dans l'impossibilité de respecter les échéances auxquelles ils sont engagés.

Ce report sera également calculé, après la fin de la période juridiquement protégée, en fonction de la durée d'exécution du contrat qui a été impactée par les contraintes du confinement.

Par exemple, si un contrat de travaux antérieur au 12 mars 2020 prévoit la livraison du bâtiment à une date postérieure à la fin de la période juridiquement protégée, la clause pénale sanctionnant l'éventuelle inexécution de cette obligation ne prendra effet qu'à une date reportée d'une durée égale à la durée de la période juridiquement protégée.

Les clauses et astreintes sanctionnant les obligations de sommes d'argent sont pour leur part exclues de ce second dispositif, applicable aux échéances postérieures à la fin de la période juridiquement protégée, car il est considéré que l'incidence des mesures résultant de l'état d'urgence sanitaire sur la possibilité d'exécution des obligations de somme d'argent n'est qu'indirecte et que, passé la période juridiquement protégée, les difficultés financières des débiteurs ont vocation à être prises en compte par les règles de droit commun (délais de grâce, procédure collective, surendettement).

Enfin, l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit (article 5) que lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée par tacite reconduction, en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prorogés s’ils expirent durant la période expirant le 24 juin 2020, deux mois après la fin de cette période.

L’ordonnance du 15 avril 2020 n’apporte aucune modification à cette disposition, qui reste donc inchangée.

***

En résumé, l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, complétée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 :

  • fixe une période de neutralisation des délais de procédure afférents aux actes énumérés à son article 2, qui couvre la période allant du 12 mars 2020 à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire ;
  • accorde un nouveau délai pour les accomplir qui court à compter de la fin de cette période ;
  • lequel ne peut excéder la durée du délai légalement imparti pour agir, plafonné à deux mois ;
  • règle également les conditions d’application des clauses contractuelles venant sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé.

 

Maître Stéphane ANDREO

Avocat à la Cour

s.andreo@avalon-avocats.fr