La loi d'urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 du 23 mars 2020 a habilité le Gouvernement à prendre dans un délai de trois mois à compter de sa publication toutes mesures par voie d’ordonnances, afin de faire face aux conséquences de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation.

Par une ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire, qui a fait l’objet d’aménagements et de compléments par une nouvelle ordonnance du 15 avril 2020, le Gouvernement a souhaité instituer une « période  juridiquement protégée » prévoyant un mécanisme de prorogation des délais.

Cette prorogation était alors calculée par rapport à la date de cessation de la période d’état d’urgence sanitaire instituée par la loi du 23 mars 2020, qui était initialement fixée à deux mois et qui a été prolongée jusqu’au 10 juillet 2020 inclus.

Le Gouvernement a toutefois décidé, par une ordonnance du 13 mai 2020, de déconnecter la fin de la « période juridiquement protégée » de la fin de la « période d’urgence sanitaire », dont elle ne dépend désormais plus.


Quels sont les délais concernés ?

Le mécanisme de prorogation s’applique désormais aux délais qui ont expiré ou qui vont expirer entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus.

Sont donc exclus de ce régime dérogatoire les délais dont le terme est arrivé à échéance avant le 12 mars 2020, dont le terme n’est pas reporté, ainsi que les délais dont le terme est fixé au-delà du 23 juin, qui ne sont ni suspendus ni prorogés.

Concrètement, celui dont le délai expire le 23 juin bénéficiera donc du mécanisme dérogatoire  de prorogation institué par l’ordonnance du 25 mars 2020, tandis que celui dont le délai expire le 24 juin en sera privé et devra donc le respecter.


Quels actes vont bénéficier d’une prorogation de délai ?

Le mécanisme de prorogation vise de façon extrêmement large « Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période » courant du 12 mars au 23 juin 2020 inclus.

Il ne s’applique pas toutefois « aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d'argent en cas d'exercice de ces droits. ».

Les délais pour se rétracter ou renoncer à un contrat, par exemple en matière de vente à distance ou de contrats d'assurance ou de services financiers à distance, d'assurance-vie ou encore de vente d'immeubles à usage d'habitation relevant de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation, sont donc exclus du champ d’application du dispositif.

Les mécanismes juridiques de droit commun pourront néanmoins être invoqués, si leurs conditions sont évidemment réunies, tels que la suspension de la prescription pour impossibilité d’agir en application de l’article 2224 du Code Civil ou encore le jeu de la force majeure, sur le fondement de l’article 1218 du Code Civil.

Il en est de même des délais de réflexion : ces délais avant l'expiration desquels le destinataire d'une offre contractuelle ne peut manifester son acceptation sont exclus. En effet, il ne s'agit pas d'un acte devant être réalisé pendant un certain délai à peine de sanction, mais seulement d'un temps imposé au futur contractant pour réfléchir à son engagement.

Le mécanisme dérogatoire ainsi institué ne s’applique qu’aux seuls délais prescrits par la loi ou le règlement à peine d’une sanction ou d’une déchéance d’un droit, excluant de fait les actes prévus par des stipulations contractuelles.

Enfin, les mesures administratives ou juridictionnelles dont le terme vient à échéance au cours de cette période sont également prorogées de plein droit, ce qui vise notamment les mesures d’enquête, d’expertise et d’instruction, jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois suivant le 23 juin 2020, soit jusqu’au 23 septembre 2020.


Quelle prorogation va s’appliquer ?

Ces actes seront réputés « avoir été fait à temps » s’ils sont accomplis « dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. ».

La fin de la période en question étant désormais fixée au 23 juin 2020 inclus, le délai légalement imparti pour agir sera donc calculé à compter de cette date, mais sans que la prorogation ne puisse toutefois dépasser deux mois, soit au plus tard jusqu’au 23 août 2020.

Par exemple, si le délai pour interjeter appel d’une ordonnance de référé qui est de quinze jours expirait entre le 12 mars et le 23 juin 2020, un nouveau délai de quinze jours commencera à courir à compter du 23 juin, soit jusqu’au 8 juillet 2020.

A l’inverse, si le délai légal pour agir est habituellement de trois mois, comme pour le dépôt de conclusions d’appel, il sera ici réduit à deux mois au-delà du 23 juin, soit jusqu’au 23 août 2020. Mais comme le 23 août est un dimanche, le délai sera prorogé au lundi 24 août 2020.

De même, si un jugement est signifié le 25 mai, le délai d’appel d’un mois expirera donc le 25 juin, soit après la fin de la période juridiquement protégée, de sorte que ce délai ne bénéficiera d’aucune prorogation et expirera effectivement le 25 juin.


Le sort des contrats en cours

L’état d’urgence sanitaire n’a pas pour effet de suspendre l’exécution des contrats en cours, quelle qu’en soit la nature et l’objet.

Le dispositif mis en place comporte toutefois un certain nombre de dispositions aménageant l’application des clauses que l’on rencontre fréquemment dans tous types de contrats, qui ont pour objet de sanctionner le non-respect d’une obligation dans les délais convenus.

Ainsi, les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ou les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet si ce délai expire pendant la période courant du 12 mars au 23 juin 2020.

Si le débiteur n'a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d'une durée, calculée après le 23 juin 2020, égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée.

La date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses prennent effet, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation, autre que de sommes d'argent, dans un délai déterminé expirant après la période juridiquement protégée, est reportée d'une durée égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la fin de cette période.

Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus jusqu’au 23 juin 2020.

Par exemple, si une échéance était attendue le 20 mars 2020, c'est-à-dire huit jours après le début de la période juridiquement protégée, la clause pénale sanctionnant le non-respect de cette échéance ne produira son effet, si l'obligation n'est toujours pas exécutée, que huit jours après la fin de la période juridiquement protégée.

De même, si une clause résolutoire résultant d'une obligation née le 1er avril devait prendre effet, en cas d'inexécution, le 15 avril, ce délai de 15 jours sera reporté à la fin de la période juridiquement protégée pour que le débiteur puisse encore valablement s'acquitter de son obligation avant que la clause résolutoire ne prenne effet.

Ensuite, lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée par tacite reconduction, en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prorogés s’ils expirent durant la période juridiquement protégée, soit entre le 12 mars et le 23 juin 2020, deux mois après la fin de cette période.

Enfin, au-delà de la seule question des délais et de la sanction de leur non-respect abordé par cette ordonnance, la mise en oeuvre de mécanismes classiques du droit civil peut être envisagée pour justifier l’inexécution d’une obligation ou pour justifier la suspension de l’exécution des obligations contractuelles, à savoir :

La force majeure

Tout d’abord, le cas de force majeure, traditionnellement considéré comme une circonstance permettant d’excuser l’inexécution d’une obligation contractuelle, à la condition que l’événement invoqué soit extérieur aux parties, imprévisible et irrésistible, pourra être invoqué sur le fondement de l’article 1148 du Code Civil, pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016, et sur le fondement du nouvel article 1218 pour ceux conclus après cette date.

Plusieurs conditions doivent néanmoins être remplies de façon cumulative :

1. Il faut que l’événement soit « extérieur » aux parties, en ce qu’il échappe à leur contrôle, ce qui est évidemment le cas de la survenance d’une épidémie ;
2. Cet événement doit être « imprévisible », condition qui sera remplie dès lors que le contrat a été signé avant le début de l’épidémie, car ses conséquences inédites ne pouvaient pas être raisonnablement anticipées ;
3. Ensuite, l’événement doit être « irrésistible », c’est-à-dire que ses effets ne doivent pas pouvoir être évités par des mesures appropriées, ce qui sera la condition la moins évidentes à justifier, car il faudra pouvoir démontrer une incapacité totale d’exécuter ses obligations.

Le recours à la notion de force majeure devra donc être fait avec prudence et être bien documenté.

L’exception d’inexécution

La force majeure est une cause d’exonération de la responsabilité contractuelle, mais elle ne fait pas obstacle à l’exception d’inexécution. Le débiteur de l’obligation qui est empêché d’exécuter pour cause de force majeure n’est pas tenu de réparer le dommage éventuellement subi par le créancier mais, à l’inverse, il ne peut exiger de celui-ci qu’il continue à exécuter ses propres obligations.

L’article 1220 du Code Civil prévoit en toutes hypothèses que la mise en œuvre de l’exception d’inexécution doit être notifiée.

Il appartiendra par conséquent à celui qui souhaite suspendre l’exécution de ses obligations de notifier son intention à son cocontractant, par lettre recommandée avec avis de réception, mais en ayant également conscience que des contentieux risquent d’être générés par une telle situation.

L’imprévision

Enfin, une autre piste de réflexion pourrait résulter du nouvel article 1195 du Code Civil qui prévoit que « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. ».

Cet article ne permettra pas toutefois de geler l’exécution du contrat puisqu’il prévoit que la partie qui demande cette renégociation doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation et qu’en cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe.

Qui plus est, cet article ne peut s’appliquer qu’à des contrats conclus à compter du 1er octobre 2016 et la condition d’une exécution devenue « excessivement onéreuse » pour le preneur est appréciée strictement.

En résumé

Le mécanisme de prorogation des délais institué par le Gouvernement par voie d’ordonnances, dans le cadre de l’autorisation qui lui a été donnée par la loi d’urgence sanitaire :

  • neutralise les actes de procédure qui aurait dû être accomplis pendant une période allant du 12 mars 2020 jusqu’au 23 juin 2020 inclus ;
  • accorde un nouveau délai pour les accomplir qui court à compter de la fin de cette période,  d’une durée égale au délai légalement imparti pour les accomplir, mais sans pouvoir excéder deux mois maximum, soit au plus tard le 24 août 2020 ;
  • comporte différentes dispositions concernant les relations contractuelles et règle notamment les conditions d’application des clauses contractuelles venant sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé.

Je reste évidemment à votre disposition pour envisager la mise en oeuvre de ces dispositions au regard de situations individuelles.