SOCIETES IMMOBILIERES
L’associé dont le retrait est validé ne peut plus céder ses parts
La solution : une procédure de retrait doit être poursuivie jusqu’au bout par le retrayant qui ne peut plus céder ses parts à un tiers.
Cour de cassation, Troisième chambre civile, 25 mai 2023, arrêt 354 FS-B, Pourvoi 22-17.246
SOCIETES IMMOBILIERES – associés – retrait - cession de parts
Observations :
Voici un arrêt de la Troisième qui laisse songeur – bien qu’il soit destiné à être publié au bulletin - et qui consacre, en tout cas, une divergence majeure avec la jurisprudence de la Chambre commerciale.
Une SCI est formée par trois associés, chacun étant titulaire pour un tiers des parts sociales.
Il s’agit d’une SCI dont l’arrêt d’appel révèle qu’elle est constituée dans un but familial « notamment pour conserver en commun une maison ». En conséquence, la procédure d’agrément de nouveaux associés est renforcée, considérations dont on pourrait penser qu’elles auraient pu peser dans la décision. Mais comme l’arrêt de la Troisième chambre ne rappelle pas ces éléments, il faut considérer que sa solution s’appliquera à tous les retrayants quel que soit l’objet social de la société civile, SCI, SCP, SCCV et autres…
L’un des associés obtient une décision à l’unanimité des associés validant sa demande de retrait (après un jugement d’irrecevabilité motivé par l’absence de décision de la société sur ce point).
C’est très bien pour lui, ces décisions n’étant pas simples à obtenir d’autant que les statuts dérogent rarement à la règle de l’unanimité.
Mais ce succès n’est qu’apparent et n’est qu’une étape sur le chemin de croix judiciaire imposé à l’associé retrayant.
En effet, dès lors que les associés ne sont pas d’accord sur la valeur des parts, le retrayant doit mettre en œuvre la procédure d’expertise de l'article 1843-4.
En l’espèce, l’expert rend son rapport et valorise les parts au-dessus de la proposition des autres associés qui était de 92.994 €, pour 177.333 €.
4 ans après, aucun règlement n’étant intervenu, le retrayant demande l’agrément de la SCI pour céder ses parts à un tiers pour …266.000 €.
Il notifie le projet de cession, demande l’agrément du cessionnaire et essuie un refus.
Il met alors en demeure le gérant es qualité d’avoir à lui régler le montant de la valeur de ses parts, telle qu’évaluée par l’expert, soit 177.333 € (ce qu’il aurait surement dû faire avant de notifier le projet de cession à la société, mais personne n’est parfait et d’ailleurs il est loin d’être certain que cela aurait changé quoi que soit).
Plus de six mois s’étant écoulés depuis la notification du projet de cession et la demande d’agrément, la cession est formalisée et enregistrée au RCS.
La société attaque la cession en nullité.
Après que le premier juge ait validé la cession, la cour d’appel l’annule et cette décision est confirmée par la troisième chambre de la cour de cassation.
La motivation de cet arrêt est la suivante :
La cour d'appel a retenu que M. [C] [T] s'était engagé dans une procédure de retrait avec rachat de ses parts, acceptée par la SCI, dont l'échec n'avait pas été constaté et qu'il lui incombait de mener à son terme.
Elle en a déduit, à bon droit, que la procédure de cession desdites parts à un tiers, initiée par M. [C] [T] en méconnaissance de la procédure de retrait en cours acceptée par la SCI, devait être annulée.
Il convient de relever qu’aucun texte, aucun principe n’est visé par cet arrêt.
Le pourvoi invoquait les articles 1134 devenu 1103 du Code civil ainsi que l’ancien article 1108 du même Code, c'est-à-dire les règles contractuelles générales.
Le problème se situe peut-être là, mais la Cour de cassation a la possibilité de substituer un moyen de pur droit à ceux visés au pourvoi et si la solution découle d’une insuffisance de motivation, cet arrêt aurait dû rester un arrêt d’espèce et ne pas être destiné au Bulletin.
Car des textes existent, dont la Chambre commerciale a dégagé un principe aux termes de deux arrêts de 2008, abondamment commentés à l’époque, qui s’oppose frontalement l’annulation de la cessation des parts d’un associé qui bien que retrayant, n’a pas encore perçu le remboursement de la valeur de ses parts.
De l'article 1860 du Code civil qui prévoit que seul le remboursement des droits sociaux fait perdre à l’associé en déconfiture la qualité d’associé combiné avec l'article 1869 du même code qui affirme en son second alinéa que l’associé qui se retire a droit au remboursement de ses droits sociaux, la chambre commerciale a tiré le principe ainsi énoncé :
« …la perte de la qualité d’associé ne pouvant, en cas de retrait, être antérieure au remboursement de ses droits sociaux » arrêt 716 FS-P+B+R, chambre commerciale, 17 juin 2008, n° 07-14.965 et « l’associé qui est autorisé à se retirer d’une société civile pour juste motif par une décision de justice, sur le fondement de l'article 1869 du Code civil, ne perd sa qualité d’associé qu’après remboursement de ses droits d’associés » arrêt 718 FS-P+B+R, 17 juin 2008, pourvoi 06-15.045, étant précisé que dans cette seconde décision, la Chambre commerciale avait procédé par substitution de motifs.
Pour bien saisir la portée de ces deux décisions, il convient de préciser qu’au nom du principe selon lequel l’associé retrayant ne perd ses droits d’associés qu’au remboursement de ses droits sociaux, dans le premier cas, la Chambre commerciale avait validé l’action d’un associé retrayant en dissolution d’un GFA et que par la seconde, elle confirmait la recevabilité de l’action d’un associé retrayant en nullité d’une assemblée générale pour abus de majorité.
Donc, pour énoncer une évidence, dès lors que l’associé qui se retire ne perd sa qualité d’associé qu’au remboursement de ses droits sociaux, tant qu’il n’a pas été remboursé, il reste associé.
Or, de la qualité d’associé découle un certain nombre d’obligations, comme la responsabilité indéfinie au passif social, et un certain nombre de droits, comme de demander la dissolution de la société, attaquer en nullité des décisions d'assemblée générale et… céder ses parts.
La décision ici commentée est donc sidérante. Dans sa logique, la Troisième chambre pourrait-elle être amenée à considérer que l’associé retrayant non remboursé n’est plus tenu au passif, par exemple ?
Ensuite, cette décision revient à consolider la stratégie des associés non retrayants qui peuvent retarder à leur gré le remboursement des droits sociaux, dont au demeurant la valeur peut avoir été estimée des années auparavant, alors que la valeur du bien s’est largement accrue, ce qui semble bien avoir été le cas d’espèce.
C’est gagnant-perdant car pendant ce temps, le retrayant devient un cadavre juridique qui ne peut plus exercer ses droits d’associés.
Pourquoi se presser ?
Que reste-t-il à faire dans ce cas au retrayant ? assigner la société en paiement, ce qui peut être long et même obliger ensuite à une assignation en liquidation judiciaire.
La solution pratique, quand c’était possible, pouvait être, effectivement, une cession de parts, solution qui était au demeurant avantageuse au plan fiscal, pour la société car la réduction de capital découlant d’un retrait peut générer de la plus value imposable qui sera due par la société, outre les droits d’enregistrement.
Ce ne sera plus possible.
Non seulement la décision commentée est en contradiction flagrante avec la jurisprudence de la chambre commerciale, mais elle marque également un revirement de la propre jurisprudence de la Troisième chambre : un arrêt de cette chambre du 9 décembre 1998 avait jugé que la perte de la qualité d’associé ne saurait être préalable au remboursement des droits d’associés et un autre arrêt de même chambre du 12 juin 2002 approuvait l’arrêt d’appel considérant que la date à laquelle le retrayant perd sa qualité d’associé est déterminée par le remboursement effectif de son apport (arrêt 00-14.409).
Nuançons : cette décision pourrait se comprendre dans le strict champ d’une SCI strictement familiale à objet social restreint dans laquelle les autres associés avaient donné leur accord à la demande de retrait. En effet, la cession des parts du retrayant aboutit à faire entrer un tiers dans la société alors que la demande de retrait devait déboucher sur une réduction de capital et du nombre s’associés.
Mais en l’état de l’arrêt commenté, rien ne dit que la portée de l’arrêt se limite à la situation en cause.
Conseil pratique : la plus grande prudence est désormais de mise quant à la conduite à tenir après qu’un retrayant aura fait fixer la valeur de ses parts. Il devra agir en paiement à l’encontre de la société sans tarder dès lors que la société ne procèdera pas au remboursement et à l’annulation de ses parts immédiatement.
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