SOCIETES IMMOBILIERES
Pas de péril, pas d’administrateur judiciaire
Résumé : la désignation d’un administrateur provisoire, même par le juge du fond, suppose des circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et qu’elle soit menacée d’un péril imminent. Il s’agit de conditions cumulatives.
SOCIÉTÉS IMMOBILIERES – SCI – fonctionnement – gérant - administrateur - mandataire
Cour de cassation, 3ème civ., 12 octobre 2022, Pourvoi nº 21-18.348, Arrêt 705 F-D
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« Pour accueillir la demande de désignation d'un administrateur provisoire, l'arrêt retient que les associés n'ont pu obtenir ni la tenue d'une assemblée générale au siège social de la SCI ni que soit inscrite à l'ordre du jour une résolution concernant la nomination d'un nouveau gérant que beaucoup appellent de leurs vœux, cette demande étant de plus fort justifiée depuis janvier 2018, date à laquelle la gérance est devenue vacante, que cette situation porte incontestablement atteinte au fonctionnement normal de la SCI, et que la désignation d'un administrateur provisoire s'impose pour gérer la SCI dans l'attente de l'organisation d'une assemblée générale.
En se déterminant ainsi, sans rechercher si les circonstances faisaient courir à la société un péril imminent, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. »
Voici un arrêt, qui n’aura pas les honneurs du bulletin, mais qui devrait néanmoins faire réfléchir les praticiens en raison de ses retentissements pratiques.
Différents associés d’une SCI demandaient qu’un administrateur provisoire soit désigné et arguaient d’une situation qui témoignait a minima que la société ne pouvait plus fonctionner normalement :
- Déjà elle était dépourvue de gérant de droit depuis janvier 2018,
- Son gérant de fait organisait des consultations écrites, plutôt que des réunions physiques et surtout – le grief précédent étant plutôt faible, d’autant qu’on ignore ce que les statuts prévoyaient sur ce point – refusait de mettre à l’ordre du jour la nomination d’un nouveau gérant demandée par plusieurs associés
Ces griefs n’étaient pas contestés, étant repris dans le pourvoi.
Ils avaient obtenu gain de cause en appel et un administrateur judiciaire avait été nommé.
L’arrêt est cassé, conformément à une jurisprudence ancienne du moins en référé, dès lors que l’existence d’un péril imminent n’était pas caractérisée.
Le recours à un administrateur judiciaire qui va se substituer aux organes sociaux est en effet une décision lourde par ses implications juridiques, et, soulignons-le, par son coût et les risques d’inertie trop souvent constatés par les praticiens.
La double exigence de l’atteinte au fonctionnement normal de la société et de l’existence d’un péril imminent n’est pas une nouveauté, puisqu’elle remonte à l’arrêt dit Fruehauf (CA Paris, 22 mai 1965, n° 9999) dont il est intéressant de citer les extraits essentiels pour ce qui nous occupe:
Considérant qu’il n’appartient pas en principe à la juridiction des référés de substituer, même temporairement, un mandataire de justice aux organes d’administration d’une société ; que cette règle ne saurait fléchir que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque, par exemple, le fonctionnement normal de la société n’est plus assuré, qu’elle est menacée de ruine ou que sa gestion est manifestement empêchée par des dissentiments graves entre les associés ; qu’ainsi l’urgence attributive de compétence à ladite juridiction est inséparable de l’examen du bien-fondé de la mesure sollicitée …
Et…
Considérant que ces incidences, dont Fruehauf-Corporation ou Fruehauf International n’ont point manifesté l’intention d’assumer la charge, seraient de nature à ruiner définitivement l’équilibre financier et le crédit moral de la Société Fruehauf-France et à provoquer sa disparition et le licenciement de plus de six cents ouvriers ; que ces circonstances établissent suffisamment l’urgence et le bien-fondé de la mesure conservatoire prévue, étant observé que pour nommer un administrateur provisoire le juge des référés doit s’inspirer des intérêts sociaux par préférence aux intérêts personnels de certains associés, fussent-ils majoritaires, et qu’il n’est nullement certain, au surplus, que cette nomination soit contraire aux intérêts réels des appelants…
Il s’agissait d’une société dont le représentant légal avait démissionné sans être remplacé.
Donc, aujourd'hui comme hier, dès lors que, même dépourvue de représentant légal de droit, la société n’est pas en péril imminent, les conditions de désignation d’un administrateur judiciaire, du moins en référé, ne sont pas réunies.
La question se pose de savoir si lorsque la désignation intervenant à l’occasion d’une procédure au fond ou accélérée au fond - on laissera de côté la désignation possible par voie d’ordonnance sur requête en l’absence de différend – la condition de péril imminent, qui se rattache aux dispositions de l'article 834 du CPC, s’impose.
Concernant l’arrêt commenté, dès lors que la décision est rendue au visa de l'article 1846 du Code civil, sans que soit visé l'article 834 du CPC, on peut en déduire qu’il s’agissait d’une décision au fond.
Il en découle que la condition du péril imminent est requise quel que soit le juge saisi.
Il faut se référer aux dispositions de l’article 1846 pour bien comprendre la portée de l’arrêt. Ce dernier – dans sa version modifiée depuis la loi n°2019-744 du 19 juillet 2019 du Code civil - comporte un alinéa 5, prévoyant que :
Si, pour quelque cause que ce soit, la société se trouve dépourvue de gérant, tout associé peut réunir les associés ou, à défaut, demander au président du tribunal statuant sur requête la désignation d'un mandataire chargé de le faire, à seule fin de nommer un ou plusieurs gérants.
C’est donc bien ceci qui est reproché, en creux, aux associés demandeurs : ne pas avoir utilisé les possibilités ouvertes aux associés par l'article suscité pour obtenir qu’un gérant de droit soit désigné.
Déjà, ne pas avoir tenté de convoquer l'assemblée générale en vue de la désignation d’un gérant et, ensuite, en cas d’échec, ne pas avoir saisi le juge des requêtes en vue de la désignation d’un mandataire ad hoc – à ne pas confondre avec l’administrateur judiciaire (voir AJDI …).
La décision est donc parfaitement logique et mettra peut-être fin à certaines dérives qui voyaient un administrateur désigné en dehors de tout péril.
Conseil pratique : en cas de défaut de gérant, comme dans toute situation de blocage, sans que cela entraîne une situation de péril pour la société, c’est la nomination d’un mandataire ad hoc qui doit être recherchée, que ce soit pour convoquer l'assemblée générale en vue de la nomination d’un gérant, si les associés n’ont pu y procéder eux-mêmes ou pour effectuer une mission limitée si un associé ne peut pas exercer normalement ses droits.
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