SOCIETES IMMOBILIERES
Sur les pièges du remboursement du compte courant d’associé
La solution : la demande de remboursement du compte courant d’associé peut être faite à tout moment. Mais, l’action judiciaire en remboursement du compte courant est soumise aux règles gouvernant le cours des prescriptions.
Cour de cassation, 3ème chambre civile, 19 décembre 2019, Arrêt no 1104 F-D, Pourvoi no 18-20.298
SOCIETES IMMOBILIERES – associé – compte courant – remboursement – prescription – point de départ – interruption – suspension - administrateur provisoire
Observations :
Un associé réclame le remboursement des sommes avancées à une SCI par courrier recommandé du 21 mars 2001, demande renouvelée le 30 mars 2010.
Le 27 mai 2010, se plaignant de l’absence, d’une part, de réunion des assemblées générales, d'autre part, de la tenue d'une comptabilité conforme, il assigne en référé la SCI et sa gérante en désignation d'un administrateur provisoire. Une ordonnance de référé du 24 juin 2010 accueille cette demande.
Le 16 septembre 2015, il assigne la SCI afin d'obtenir le remboursement de son compte courant d’associé.
Si sa demande est accueillie sur le principe, le montant est limité aux sommes dues par la SCI depuis le 30 mars 2010, la cour d’appel déclarant prescrites les demandes portant sur le remboursement des apports en compte courant effectués antérieurement à cette date du 30 mars 2010.
Son pourvoi est rejeté au motif que l’associé ne justifiait d'aucune cause d'interruption du délai de cinq ans prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce entre le 27 mai 2010, date de l'assignation en référé, et le 16 septembre 2015, date de l'assignation au fond de la SCI pour le remboursement de son compte courant d'associé.
On rappellera que si le compte courant d’associé, qui s’analyse comme un prêt que l’associé consent à la société, est remboursable à tout moment à défaut de convention fixant des conditions de remboursement, l’action en remboursement elle-même se prescrit dans les conditions de droit commun.
D’emblée et à ce propos, une question se pose qui apparait cependant sans conséquences juridiques en l’espèce : il ne paraît pas fondé de soumettre l’action en remboursement d’un compte courant d’associé, entre une personne physique non-commerçante et une société civile, aux dispositions de l'article L. 110-4 du code de commerce qui régit les relations entre commerçants.
En principe, cette action est soumise aux dispositions de l'article 2224 du Code civil.
Cependant, quoi qu’il en soit, il est admis qu’en cette matière, le point de départ de la prescription est la demande en paiement du solde du compte et que faute de convention encadrant la demande de remboursement, celle-ci peut intervenir à tout moment.
On soulignera que la mise en œuvre d’une demande de remboursement d’un compte courant qui peut découler, par exemple, de la contribution par l’associé au remboursement d’un prêt consenti à la société, peut être une façon de contraindre le gérant de mettre en vente le bien immobilier pour rembourser ledit compte courant.
En l’espèce, c’est bien parce que le compte courant est remboursable à tout moment que le point de départ de la prescription de l’action en paiement du compte courant est fixé au 30 mars 2010, date de la dernière demande en paiement à la SCI formulée par l’associé en LRAR, la précédente remontant à l’année 2001.
Autrement dit, on constate que tant que l’associé ne formule pas de demande, son action en remboursement de son compte courant ne se prescrit pas.
Un arrêt de la Chambre commerciale du 18 octobre 2017 n° 15-21-906 est très clair à ce propos :
Mais attendu que l'arrêt énonce à bon droit que la prescription de la créance de remboursement du compte courant d'un associé ne court qu'à compter du jour où ce dernier demande le paiement du solde de son compte et non pas à compter de la décision de distribution des dividendes prise par l'assemblée générale, ni de leur mise en paiement par inscription en compte courant, ni de leur inscription à un autre compte par la société, et que tant que l'associé ne demande pas le remboursement de son compte courant, cette créance n'est pas exigible et ne peut être affectée par la prescription ; que le moyen, qui se prévaut de ce que la demande de paiement du solde du compte courant aurait été présentée pour la première fois après la délivrance de l'assignation du 9 février 2006, ce dont il résulte que la prescription de cette demande n'a en tout état de cause jamais commencé à courir, est inopérant.
(en l’espèce l'assignation du 9 février 2006 ne visait pas le remboursement des sommes inscrites en compte courant, mais le paiement des dividendes…)
Mais, quant à la suite, son action en référé ayant été introduite par assignation du 27 mai 2010, la cour d’appel - réformant la décision de première instance -, avait retenu que la demande en nomination d’un administrateur provisoire était indissociable de l’action en remboursement du compte courant d’associé, et en conséquence avait considéré que cette action avait bien interrompu le délai quinquennal de prescription qui expirait par conséquent le 28 mai 2015. Mais l’assignation au fond n’avait été délivrée que le 16 septembre 2015… pour la cour d’appel, l’action de l’associé était prescrite pour les sommes prêtées à la société antérieurement au 30 mars 2010.
La cour de cassation confirme la prescription de l’action.
Le premier apport de l’arrêt est ainsi d’admettre qu’une action en nomination d’un administrateur provisoire désigné avec une mission générale d’administration et de gestion de la SCI - dès lors qu’elle comporte l’obligation de rendre compte de la gestion de cette dernière, au moins une fois par an, par la diffusion d’un rapport écrit d’ensemble sur l’activité de la société au cours de l’année ou de l’exercice écoulé comportant l’indication des bénéfices réalisés ou prévisibles et des pertes encourues ou prévues conformément aux dispositions de l’article 1856 du code civil, le compte courant apparaissant au passif de la société -, en dépit de l’absence de mention relative aux comptes courants d’associés dans le libellé de la mission de l’administrateur provisoire, était interruptive de prescription quant au remboursement du compte courant de l’associé demandeur.
Il importe aussi de préciser que l’associé, dans son assignation en référé, arguait du refus de la gérante de procéder au remboursement du compte courant.
La solution est intéressante car en première instance, il avait été considéré que les demandes devant le juge des référés et devant le tribunal de grande instance n’avaient pas le même objet compte tenu de l’absence de mention expresse, dans la mission confiée à l’administrateur, de son rôle en matière de comptes courants d’associés. En conséquence, le premier juge avait considéré que l'assignation en référé n’avait pas interrompu la prescription applicable à la demande de remboursement du compte courant.
Mais, pour la cour d’appel, la prescription avait été interrompue par l'assignation en nomination de l’administrateur provisoire et non pas suspendue.
Pourtant, l’administrateur provisoire avait une double mission en l’espèce. D’une part, il se substituait à la gérance en tant qu’administrateur nommé par le tribunal, d’autre part, une mission d’expertise lui était confiée : celle de reconstituer la comptabilité de la société et les comptes courants d’associés.
Invoquant cette mission d’expertise, l’associé, dans son pourvoi, se fondait sur les dispositions de l'article 2239 du Code civil selon lesquelles « la prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction avant tout procès. Le délai recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée » pour soutenir que la mission d’expertise avait suspendu le délai de prescription.
On suppose que l’associé avait assigné moins de six mois après la date de dépôt du rapport de fin de mission de l’administrateur provisoire.
Le moyen était intéressant, malheureusement, il ne sera pas examiné par la Cour de cassation, au motif que l’associé n’avait pas soutenu devant la cour d’appel que la désignation, par le juge des référés, d'un administrateur provisoire avait suspendu le délai de prescription, en application de l’article 2239 du code civil.
C’est dommage. On aurait aimé pouvoir être fixé sur ce point.
Conseil pratique :
En l’état de l’arrêt commenté, on peut considérer que l’assignation en désignation d’un administrateur provisoire, dès lors que sa mission lui impose de reconstituer la comptabilité et les éventuels comptes courants d’associés, est interruptive de la prescription quinquennale de l’action en remboursement du compte courant de l’associé demandeur. Cependant, il est prudent de se rappeler qu’il n’est pas acquis que cette désignation suspende la prescription.
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