Le renvoi après cassation : avis pratiques et jurisprudence
Les modifications apportées par le décret
Le décret n°2017-891 du 6 mai 2017, applicable depuis le 1er septembre 2017, a profondément modifié la procédure de saisine de la Cour d’Appel, sur renvoi après cassation.
Ainsi, en application de l’art 1034 du Code de procédure Civile, le délai de saisine est ramené de 4 mois à 2 mois à compter de la signification de l’arrêt de la Cour de Cassation (qui est rarement signifié). Mais attention : le délai de distance pour la partie qui demeure à l’étranger n’est pas applicable. Ainsi, la déclaration de saisine doit, pour le client demeurant à l’étranger, comme pour le client demeurant en France, être faite dans le délai de deux mois.
Mais surtout, l’article 1037-1 du code procédure civile fait obligation :
- Au demandeur à la saisine de signifier la déclaration de saisine dans les 10 jours du bulletin de fixation et de conclure dans un délai de deux mois à compter de la réception du bulletin,
- Au défendeur à la saisine de conclure en réponse dans un délai de deux mois à compter de la réception des conclusions de l’appelant.
Ces délais, eux, peuvent être augmentés des délais de distance puisque l’article 1037-1 alinéa 5 fait expressément référence à l’article 911-2 relatif aux délais de distance.
Les questions en suspens :
La pratique a vu apparaitre de nombreuses questions :
- La déclaration de saisine après cassation doit-elle indiquer les chefs du jugement critiqué ?
- A qui doit-elle être signifiée ?
- Quel document doit être signifié ?
- Quel est le régime applicable : l’ancienne procédure avant cassation, ou la nouvelle procédure après cassation des articles 1037 et suivants ?
Après deux ans d’application, la jurisprudence commence à apporter des réponses à ces questions.
- Quelles mentions sur la déclaration de saisine ?
La déclaration de saisine est formée par déclaration au greffe. Elle doit contenir les mentions exigées pour l’acte introductif d’instance devant cette juridiction, en vertu des articles 1032 et 1033 du Code de Procédure civile.
Puisque l’article 901 du code de Procédure civile fait obligation de mentionner les chefs du jugement critiqué, la déclaration de saisine doit-elle les mentionner ?
La déclaration de saisine n’est pas une déclaration d’appel : ce n’est pas un recours, mais la poursuite de l’instance antérieure à l’arrêt cassé. Dès lors, elle peut ne faire référence qu’à l’étendue de la cassation et a vocation à saisir la Cour de renvoi de l’intégralité du litige cassé. La mention des chefs du jugement critiqué ne parait donc pas nécessaire. Deux arrêts motivés de la Cour d’Appel de Poitiers et de la Cour d’Appel de Vrsailles méritnt d’être cités :
« La Cour relève que si la déclaration de saisine contient les mentions exigées par l’acte introductif d’instance devant la juridiction de renvoi, il ne s’agit pas pour autant d’une déclaration d’appel : la déclaration de saisine n’est pas un acte de recours, mais ne fait que poursuivre la procédure ayant débouché sur la décision cassée. Dès lors les mentions exigées ne peuvent être que l’indication de l’arrêt de cassation (…) Il en va de même s’agissant des chefs de jugement expressément critiqués, la déclaration de saisine après renvoi de cassation ne peut faire référence qu’à l’étendue de la cassation (…) La Cour d’appel a vocation à connaître de l’intégralité du litige, puisque la cassation de l’arrêt est totale. Par conséquent, à l’inverse de la déclaration d’appel qui doit désormais circonscrire l’appel aux chefs du jugement expressément critiqués, la déclaration de saisine après cassation a vocation à saisir la Cour d’appel de l’intégralité du litige si les parties ne concluent pas, puisqu’elles sont alors réputées s’en tenir aux moyens et prétentions qu’elles avaient soumises à la Cour d’Appel, conformément aux dispositions de l’article 1037-1 »[1]
« Considérant qu'aux termes de l'article 625 du code de procédure civile, sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt cassé ; qu'il s'ensuit que la procédure se trouve alors en l'état d'un appel déjà interjeté qui fixait déjà les limites du litige au second degré ;Considérant que l'arrêt de cassation joint à l'acte de saisine de la cour de renvoi détermine les points sur lesquels porte la cassation et par conséquent ceux restant à juger parmi ceux déterminés par l'acte d'appel devant la première cour saisie, sauf à l'auteur de la saisine à y renoncer pour limiter les effets de la décision de la cour suprême ; qu'il s'ensuit que la mention des chefs de jugement expressément critiqués est sans objet, s'agissant du renvoi de cassation. »;[2]
Bien sûr, l’avocat scrupuleux ne prendra aucun risque et mentionnera, sur la déclaration de saisine, l’étendue de la saisine de la Cour, suite à la cassation intervenue, d’autant que la jurisprudence n’est pas unanime :
« Selon l'article 1033 du de procédure civile, la déclaration de saisine de la cour d'appel de renvoi contient les mentions exigées pour l'acte introductif d'instance devant cette juridiction. Une copie de l'arrêt de cassation y est annexée. L'indication, dans la déclaration d'appel, des chefs de jugement expressément critiqués a été ajoutée aux mentions prévues à peine de nullité par l'article 901 du de procédure civile, par décret du 6 mai 2017. Ces dispositions sont applicables aux instances consécutives à un renvoi après cassation lorsque la juridiction est saisie après le 1er septembre 2017 et tel est le cas en l'espèce, de la déclaration au greffe de la société CTM en date du 9 juillet 2018. »[3]
2. A qui doit-elle être signifiée ?
Elle doit être signifiée « aux autres parties à l’instance ayant donné lieu à la cassation »(article 1037-1 alinéa 2), ce qui signifie que, si on ne forme la déclaration de saisine que contre certaines des parties dans la cause, on doit tout de même signifier cette déclaration de saisine aux parties non mises en cause devant la Cour de renvoi.
Par ailleurs, l’article 1037-1 ne reprend pas les termes de l’article 905-1 en cas de constitution préalable de l’avocat du défendeur à la saisine (signification de l’appel à l’avocat constitué, et non pas à la partie). Si le défendeur à la saisine a constitué avocat avant l’avis de fixation, peut-on signifier la déclaration de saisine à l’avocat constitué ? La jurisprudence semble interpréter ces dispositions avec bon sens et juge que la constitution antérieure à l’avis de fixation fait perdre à l’avis du greffe son objet. Il ne serait donc pas nécessaire de signifier la déclaration de saisine si le défendeur à la saisine a préalablement constitué avocat.[4]
« Ainsi que le font justement observer M. et Mme YZ, bien que l'article 1037-1 ne le précise pas, au contraire de l'article 905-1 en ce qui concerne la déclaration d'appel, la signification de la déclaration de saisine aux autres parties à l'instance ne se conçoit que si celles-ci n'ont pas déjà constitué avocat dans le délai de 10 jours de la notification de l'avis de fixation par le greffe.
En effet, le but poursuivi par le législateur, à savoir : favoriser un traitement accéléré de la procédure tout en assurant le respect du principe de la contradiction, est atteint lorsque l'ensemble des parties à l'instance ayant donné lieu à la cassation a constitué avocat dans ledit délai, de sorte qu'il devient inutile de procéder à la notification de la déclaration de saisine par acte d'huissier.
Adopter la position inverse reviendrait à imposer un formalisme excessif constitutif d'une atteinte disproportionnée au droit à un recours effectif, consacré par l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. » [5]
3. Quel document doit-être signifié ?
Pour la déclaration d’appel, c’est sans conteste l’acte enregistré par le greffe, mentionnant la date de l’appel, celle de son enregistrement, le n° de la déclaration d’appel, la chambre et le RG, ainsi que les chefs du jugement critiqué qui doit être signifié, puisque seul cet acte fournit les renseignements nécessaires pour se constituer.
Pour la déclaration de saisine, la difficulté consiste dans le fait que la Cour ne renvoie souvent au demandeur à la saisine qu’un « avis de saisine » qui ne comporte pas toujours les états civils complets, ni les chefs du jugement critiqué.
La prudence recommande donc :
- soit de rédiger une « déclaration de saisine » papier qui sera annexée à la saisine par RPVA et signifiée avec l’avis de saisine reçu le moment venu,
- soit de signifier non seulement l’ »avis de saisine » reçu du greffe, mais également une « copie écran » de l’avis de saisine comportant les chefs du jugement critiqué.
4. Quel est le régime applicable ?
L’ancienne procédure devant la Cour avant que n’intervienne la cassation, ou la nouvelle procédure après cassation des articles 1037 et suivants ?
L’article 53 II bis du décret n°2017-891 du 6 mai 2017 paraissait clair : les dispositions de l’article 1037-1 du code de procédure civile s’appliquent aux instances consécutives à un renvoi après cassation lorsque la juridiction de renvoi est saisie à compter du 1er septembre 2017.Donc pour toute saisine depuis le 1er septembre 2017, ces nouvelles dispositions semblaient applicables.
C’était faire abstraction d’un adjectif important : « ordinaire ».
L’article 1037-1 1er alinéa dispose en effet : « En cas de renvoi devant la Cour d’Appel, lorsque l’affaire relevait de la procédure ordinaire, celle-ci est fixée à bref délai dans les conditions de l’article 905. »
La procédure ordinaire, c’est la procédure avec représentation obligatoire.
Puisqu’en matière sociale, on est passé, au 1er août 2016, d’une procédure sans représentation obligatoire à une procédure avec représentation obligatoire, s’est alors posée la question de savoir quel était le régime applicable au renvoi après cassation quand l’instance d’appel avant cassation relevait de la procédure sans représentation obligatoire.
Ce sont naturellement les chambres sociales de la Cour qui ont inauguré sur cette question.
Il a ainsi été jugé, sur renvoi après cassation :
« En l'espèce, la procédure relève des dispositions applicables au jour où la voie de recours a été exercée pour contester le jugement du 28 août 2015 qui a statué uniquement sur la compétence »[6]
« Ainsi que l'a relevé à juste titre la CPAM de Paris tant dans ses écritures qu'oralement, l'article nouveau 1037-1 du code de procédure civile, issu d'un Décret du 6 mai 2017, n'est pas applicable à la présente procédure. En effet, cette disposition qui prévoit l'encadrement par des délais d'échanges des conclusions des procédures de renvoi devant la cour d'appel concernent les affaires relevant de la procédure ordinaire, soit la procédure avec représentation obligatoire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, puisque l'instance a été introduite devant le conseil des prud'hommes le 25/06/2013 et devant la cour par appel du 22 novembre 2014. »[7]
Cette position des chambres sociales de la Cour d’Appel de Paris a été récemment confirmée par la Cour de Cassation:
« Qu'en statuant ainsi, en se fondant sur les modifications apportées par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 aux règles d'entrée en vigueur du décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009, qui ne portaient que sur les modalités d'instruction de la procédure avec représentation obligatoire, alors que l'affaire dont elle était saisie demeurait soumise à la procédure sans représentation obligatoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; »[8]
Quand la déclaration d’appel, en matière sociale, a été faite avant le 1er août 2016, sans représentation obligatoire, la procédure de renvoi après cassation suit le même régime : l’absence de représentation obligatoire. L’article 1037-1 n’est alors pas applicable.
En revanche, en matière civile et commerciale, puisque la déclaration d’appel relevait, en tout état de cause, de la procédure « ordinaire », soit avec représentation obligatoire, le renvoi après cassation est sans conteste soumis aux articles 1036 et suivants du code de procédure civile.
Véronique de La Taille Avocat associé
RECAMIERS AVOCATS ASSOCIES
RESEAU RECAMIER
[1] CA Poitiers 22 janvier 2019 RG 18/02230
[2] CA Versailles 24 janvier 2019 RG 17/04408
[3] CA Rennes 7 mars 2019 RG 18/04631
[4] Ordonnance CA Paris Pôle 5 ch 3 12 avril 2018 RG 17/19081
[5] Arrêt CA Paris Pôle 4 ch 4 27 novembre 2018 RG 18/10351
[6] Arrêt CA Paris Pôle 6 ch 2 7 mars 2019, RG 18/04981
[7] Arrêt CA Paris Pôle 6 ch 8, 29 mai 2019 RG 18/08523
[8] Cass 2ème civ 27 juin 2019 pourvoi n° 18-12615, publiée au bulletin
Pas de contribution, soyez le premier