mercredi 18 août 2010

Les correspondants locaux de la presse régionale ne sont théoriquement pas des journalistes, ni même des salariés, mais des travailleurs indépendants payés à la tâche.

De ce fait, lorsque sa collaboration avec une Société de presse s'arrête, le correspondant local de presse, sous réserve d'un préavis suffisant, ne peut prétendre à aucune indemnité de la part de cette Société, ni aux indemnités chômage versées par l'ASSEDIC.

Ce statut de travailleur indépendant n'est pas pour autant totalement intangible et les Tribunaux peuvent être amenés à reconnaître le statut de journaliste salarié à un correspondant local de presse.

C'est ce qu'a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 14 mai 1997 en approuvant une Cour d'appel qui, après avoir relevé "que Mme X... avait pour occupation principale, quotidienne et rétribuée, une activité rédactionnelle et de remise en forme des informations à raison de plusieurs articles et photos occupant la totalité ou la majorité d'une page du journal, selon l'actualité locale, et qu'en contrepartie elle percevait une rémunération dont elle tirait le principal de ses ressources" avait retenu que cette "Mme X..."" était, non pas une correspondante locale de presse, mais une journaliste professionelle.

De même, la lecture de plusieurs décisions récemment rendues par des Cours d'appel démontre que, sous certaines conditions, un correspondant local de presse peut faire qualifier de salariée sa relation contractuelle avec la Société de presse.

Dans un arrêt du 26 juin 2008, la Cour d'appel de Dijon, saisie par un correspondant local de presse régionale, rappelle que selon la loi du 27 janvier 1987 (modifiée) : "le correspondant local de la presse régionale ou départementale contribue, selon le déroulement de l'actualité, à la collecte de toute information de proximité relative à une zone géographique déterminée ou à une activité sociale particulière pour le compte d'une entreprise éditrice. Cette contribution consiste en l'apport d'informations soumises avant une éventuelle publication à la vérification ou à la mise en forme préalable par un journaliste professionnel"

Cette Cour d'appel constate ensuite :

- que ce correspondant local de presse a travaillé pour le compte de la Société de presse de façon régulière (pendant 15 mois consécutifs) et rétribuée ;

- que son activité ne pouvait, eu égard à son importance, être qualifiée d'accessoire ;

- qu'il n'était pas établi que son travail ait été soumis, avant publication, à une vérification ou à une mise en forme préalable par un journaliste professionnel ;

- que ce correspondant, en commentant les différents événements et manifestations, sujets de ses articles, n'a pas fait qu'apporter des informations ou relater des faits ;

et elle en déduit que les conditions prévues à l'article L.761-2 du Code du travail (devenu depuis l'article L.7111-3) pour bénéficier du statut de journaliste étaient réunies.

La Cour d'appel reconnaît donc ce statut de journaliste salarié au correspondant local de presse et condamne en conséquence la Société de presse à lui payer un rappel de salaire, majoré de la prime de 13ème mois.

En outre, la rupture de la collaboration ne pouvant, dans ces conditions, que s'analyser comme un licenciement sans cause réelle ni sérieuse, l'entreprise de presse, devenue employeur, est condamnée à payer au correspondant local de presse, devenu salarié, une indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité de préavis, ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement abusif.

Plus à l'ouest, la Cour d'appel de Rennes, dans un arrêt du 10 janvier 2008, a également jugé qu'un correspondant local de presse peut prétendre au statut de journaliste salarié dès lors qu'il est établi, d'une part, que son travail ne se limitait pas à la collecte des informations locales mais qu'il concevait et élaborait lui-même des articles de différents genres et, d'autre part, qu'il tirait de cette activité l'essentiel de ses revenus.

La Cour d'appel estime que l'arrêt de la collaboration doit être qualifiée de licenciement abusif et la Société de presse est condamnée à payer diverses sommes.

Une solution identique est retenue dans le sud par la Cour d'appel de Toulouse qui, dans un arrêt 9 mai 2007, retient qu'une correspondante locale de la presse régionale qui avait pour activité principale, régulière et rétribuée, une activité rédactionnelle et de mise en en forme des informations à raison de plusieurs articles et photos occupant, selon l'actualité locale, la totalité ou la majorité d'une page du journal et qui percevait, en contrepartie de cette activité, une rémunération dont elle tirait le principal de ses revenus, est en droit de prétendre à la reconnaissance de la qualité de journaliste salariée.

Il est intéressant d'observer que, dans ces trois arrêts, avant de requalifier la relation contractuelle en un contrat de travail, les juges se livrent à une analyse précise du travail effectivement réalisé par le correspondant local de presse et le compare à celui normalement effectué par un journaliste.

La Cour de Toulouse relève par exemple : "qu'il n'est pas permis de considérer que les articles rédigés par le correspondant local de presse n'étaient pas de ceux susceptibles d'être confiés à des journalistes professionnel".

La Cour d'appel de Rennes constate elle, que le correspondant local de presse rédigeait une rubrique qui était auparavant confiée à des journalistes professionnels.

Enfin, la Cour d'appel de Dijon après avoir, comme rapporté ci-dessus, très clairement relevé que les articles rédigés par le correspondant local de presse n'étaient pas vérifiés ou mis en forme par un journaliste professionnel avant publication, estime que ce correspondant apportait une contribution intellectuelle au journal concerné.

En procédant à de telles requalifications, les juridictions sanctionnent une pratique parfois dénoncée qui consiste à demander à un correspondant local de presse d'accomplir des tâches qui incomberaient normalement à un journaliste professionnel salarié. Le but recherché par la Société de presse est évident : il s'agit de bénéficier des avantages liés au statut de travailleur indépendant du correspondant local de presse (absence de charges patronales, souplesse dans la rémunération et rupture quasi discrétionnaire de la relation contractuelle).

Les 3 décisions ci-dessus rapportées montrent que ces bénéfices peuvent n'être que de courte durée, les Tribunaux ayant le pouvoir de redonner à une relation contractuelle sa véritable nature juridique (et ce même après la rupture de cette relation), puisque, selon l'expression de la Cour de cassation, la seule volonté d'une partie est impuissante à soustraire une personne au statut social qui découle des conditions d'accomplissement de son travail.

Vianney FERAUD 

Avocat au barreau de Paris