Expertise judiciaire médicale et secret professionnel:

Le secret médical connait certes des atténuations légales, mais il n’est toujours pas possible d’aller au-delà. Le secret médical se trouve  sacralisé, ce qui est classique en la matière, et au demeurant, heureux.

Voici ce qu’il est possible de retenir de cet arrêt des première et quatrième chambres réunies du  Conseil d’État du 15 novembre 2022, [n° 441387 ] annulant une décision de la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins.

En l’espèce, un accident de la circulation incluait deux véhicules couverts par deux compagnies d’assurance différentes.

Classiquement ce litige connaissait un premier temps d'expertise amiable devant un médecin conseil missionné par l'assureur du véhicule impliqué puis, à défaut de solution amiable, le juge des référés était saisi aux fins de mise en place d'une expertise judiciaire contradictoire.

Cet expert, au terme de sa mission, pouvait se faire communiquer:" tous documents utiles dont le dossier médical et plus généralement tous documents médicaux relatifs au fait dommageable dont la partie demanderesse a été victime (…). « Il était néanmoins précisé que la communication de toute pièce médicale à un tiers était subordonnée à l’accord de la personne concernée ».

Etonnamment, le médecin conseil de la compagnie d’assurance du conducteur en défense  communiquait à l’expert judiciaire le rapport d’expertise établi en phase amiable concernant la victime, sans avoir recueilli au préalable son consentement, méconnaissant ainsi très directement les dispositions de l’article L 1110-4 du CSP dispose également que : «  (…) le partage, entre professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins, d’informations nécessaires à la prise en charge d’une personne requiert son consentement préalable, recueilli par tous moyens(…) ».

La victime portait plainte auprès de la chambre disciplinaire de première instance du Rhône-Alpes de l’Ordre des médecins, laquelle a sanctionné le médecin conseil en cause par un blâme.

Ce médecin conseil interjetait appel de cette décision devant la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins qui a conclu à l’annulation de la décision de la chambre disciplinaire de première instance.

C’est alors que la victime de l’accident s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’État.

Le Conseil d’État va se montrer ferme avec la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, en indiquant qu’il n’était pas possible de passer outre le consentement de la victime dans le cadre d’un partage d’informations médicales la concernant.

Il y a lieu ici de rappeler l'attendu de principes posé par le Conseil d'État qui ne souffre pas la moindre ambiguïté :

" En statuant ainsi, alors qu'il résulte de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique cité au point 2 que le partage d'informations couvertes par le secret médical et nécessaires à la prise en charge d'une personne, entre professionnels de santé ne faisant pas partie de la même équipe de soins, requiert le consentement préalable de cette personne, ce à quoi l'article 275 du code de procédure civile ne permet pas, en tout état de cause, de déroger, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a entaché sa décision d'erreur de droit."

Il n’est donc pas possible d’arguer du fait que les deux sont médecins : (médecin conseil d’une part et expert judiciaire médecin d’autre part) pour pouvoir en déduire que le premier serait libéré de l’obligation de consentement préalable de la victime à la communication du rapport à l’expert.

Et le moyen tiré de la bonne administration de la justice ne résiste pas plus à l’analyse, les dispositions de l’article L-1110-4 du CSP primant sur celles issues de l’article 275 du code de procédure civile.

Le secret médical conserve donc une primauté absolue, sauf quelques rares exceptions, sur les autres dispositions légales.

 

Commentaire établi en collaboration avec Manon Pilorge, étudiante, M2 Droit de la santé, UFR RENNES 1