Le préjudice d’angoisse de mort imminente : un préjudice autonome et spécifique qui ne se confond pas avec les souffrances endurées.

 

Par un arrêt du 25 mars 2022 (n°20-15.624), la Cour de cassation est venue reconnaître la spécificité et l’autonomie du préjudice résultant de l’angoisse de mort imminente, en ces termes :

 

 

« C’est sans indemniser deux fois le même préjudice que la cour d’appel, tenue d’assurer la réparation intégrale du dommage sans perte ni profit pour la victime, a réparé, d’une part, les souffrances endurées du fait des blessures, d’autre part, de façon autonome, l’angoisse d’une mort imminente ».

 

 

Il en résulte un véritable droit à réparation du dommage résultant de la souffrance morale éprouvée par la victime avant son décès, en raison d’une perte de chance de survie.

 

 

Il est constant que ce droit à réparation se transmet aux héritiers de la victime à son décès.

 

 

La jurisprudence administrative abonde en ce sens, et admet également que le droit à réparation du préjudice résultant pour la victime de la douleur morale qu'elle a éprouvée du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite, en raison d'une faute du service public hospitalier dans la mise en œuvre ou l'administration des soins qui lui ont été donnés, constitue un droit entré dans son patrimoine avant son décès qui peut être transmis à ses héritiers[1].

 

 

 

Certains défendeurs tentent de considérer que le préjudice d’angoisse de mort imminente serait « une composante du poste de préjudice des souffrances endurées » pour en conclure que le préjudice moral lié à l’angoisse de mort imminente ne pourrait faire l’objet d’une indemnisation distincte des souffrances endurées.

 

 

 

Pour ce faire, ils citent plusieurs arrêts :

 

 

  • Un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 11 septembre 2014
  • Un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 5 février 2015
  • Un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 26 septembre 2019
  • Un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 2 février 2017

 

 

En premier lieu, force est de constater que ces décisions s’inscrivent dans un contexte ancien de divergence de solutions entre les différentes chambres de la Cour de cassation.

 

 

Aussi, les défendeurs omettent-ils à dessein de citer les nombreuses décisions rendues par la Chambre Criminelle de la Cour de cassation en la matière, laquelle a consacré, de longue date, le préjudice d’angoisse de mort imminente comme un poste de préjudice autonome, et dont l’indemnisation devait être distincte de celle des souffrances endurées.

 

 

A titre d’illustration, la Chambre Criminelle de la Cour de cassation a pu juger que :

 

 

« Attendu qu'appelée à statuer sur les conséquences dommageables de l'accident mortel de la circulation dont Julien Y... a été victime le 20 janvier 2010, l'arrêt attaqué a notamment alloué aux parties civiles, au titre de leur action successorale, outre une indemnité à raison des souffrances physiques et morales qu'il a subies du fait de ses blessures entre le moment de l'accident et son décès, une indemnité réparant la souffrance psychique résultant d'un état de conscience suffisant pour envisager sa propre fin ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors que, sans procéder à une double indemnisation, elle a évalué séparément les préjudices distincts constitués par les souffrances endurées du fait des blessures et par l'angoisse d'une mort imminente ».[2]

 

 

En tout état de cause, la jurisprudence qu’ils citent est antérieure à l’arrêt de principe rendu par la Chambre Mixte de la Cour de cassation, le 25 mars 2022.

 

 

En effet, la Chambre mixte est venue mettre fin aux hésitations jurisprudentielles liées à l’indemnisation du préjudice d’angoisse d’une mort imminente, tantôt indemnisé de manière autonome, tantôt englobé dans les souffrances endurées.

 

 

                                                                             

 

 

 

 

 

Cet arrêt prévoit désormais que :

 

 

« C’est sans indemniser deux fois le même préjudice que la cour d’appel, tenue d’assurer la réparation intégrale du dommage sans perte ni profit pour la victime, a réparé, d’une part, les souffrances endurées du fait des blessures, d’autre part, de façon autonome, l’angoisse d’une mort imminente ».[3]

 

 

Dès lors, il est établi que le préjudice d’angoisse de mort imminente constitue un préjudice autonome et spécifique.

 

 

Il ne se confond plus avec les souffrances endurées.

 

 


[1] Voir par exemple :

  • CAA Bordeaux 12 mai 2020 N° 18BX00466, 18BX00495 : « Le droit à réparation du préjudice résultant de la douleur morale que la victime d'un dommage a éprouvée du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite en raison d'une faute du service public hospitalier dans la mise en oeuvre ou l'administration des soins qui lui ont été donnés constitue un droit entré dans son patrimoine avant son décès, lequel peut être transmis à ses héritiers ».
  • CAA Lyon 2 avril 2020 N° 17LY03127 : « C'est à bon droit que les premiers juges ont procédé également à l'indemnisation du préjudice moral subi par Mme P... en lien avec l'infection contractée, distinct du poste de préjudice " souffrances endurées ", eu égard à l'inquiétude quant à son état de santé et à la conscience d'une espérance de vie réduite alors qu'elle était jeune mère de famille ».
  • CAA Paris 3 mars 2020 N° 18PA03870 : « Le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause. Si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers. Le droit à réparation du préjudice résultant pour elle de la douleur morale qu'elle a éprouvée du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite en raison d'une faute du service public hospitalier dans la mise en oeuvre ou l'administration des soins qui lui ont été donnés, constitue un droit entré dans son patrimoine avant son décès qui peut être transmis à ses héritiers »

[2] Crim 23 octobre 2012 n°11-83.770

[3] Ch. Mixte 25 mars 2022 n° 20-15.624