En matière de discrimination, l’article L. 1134-1 du code du travail facilite l’action en justice des victimes en aménageant le régime de la preuve. Le salarié doit présenter, et non établir, des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Il incombe ensuite à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. En ce sens, la directive n° 97/80/CE dispose à l’article 4 que : « 1. les États membres, conformément à leur système judiciaire, prennent les mesures nécessaires afin que, dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement. 2. la présente directive n’empêche pas les États membres d’imposer un régime probatoire plus favorable à la partie demanderesse. 3. les États membres peuvent ne pas appliquer le paragraphe 1 aux procédures dans lesquelles l’instruction des faits incombe à la juridiction ou à l’instance compétente ». Toutefois, en raison de la valeur normative d’un accord collectif, il restait à résoudre la question de savoir si les différences de traitement qui en résultent sont présumées justifiées de sorte que le régime probatoire s’en trouve renversé.

Une salariée occupait au sein d’une société le poste de conseiller privé et avait obtenu en 2011 la médaille d’honneur du travail pour trente-cinq années de service et en 2015 la médaille d’honneur du travail, échelon grand or, correspondant à quarante années de service. La salariée s’est estimée victime d’une discrimination fondée sur l’âge découlant des dispositions transitoires d’un accord collectif signé le 24 janvier 2011 au sein de la société et prévoyant de nouvelles modalités d’attribution des gratifications liées à l’obtention des médailles d’honneur du travail. Elle a par suite saisi la juridiction prud’homale d’une demande en paiement d’une gratification liée à l’obtention de la médaille pour trente-cinq années de service et d’une demande de dommages-intérêts pour une discrimination.

La cour d’appel a débouté la salariée au motif que, s’agissant de l’application d’un accord collectif négocié et signé par des organisations syndicales représentatives, ces différences de traitement dont elle faisait l’objet étaient étrangères à toute considération de nature professionnelle. La salariée s’est pourvue en cassation.

La Cour de cassation censure la décision d’appel au motif que le juge ne peut, pour débouter la salariée de sa demande en paiement d’une somme correspondant à la gratification liée à l’obtention de la médaille d’honneur du travail pour trente-cinq années de service, dont elle soutenait avoir été privée en raison d’une discrimination liée à son âge, retenir que, s’agissant de l’application d’un accord collectif négocié et signé par des organisations syndicales représentatives, ces différences de traitement sont présumées justifiées et que la salariée ne démontrait pas que la différence de traitement dont elle faisait l’objet était étrangère à toute considération de nature professionnelle, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les stipulations transitoires de l’accord collectif du 24 janvier 2011 ne laissaient pas supposer l’existence d’une discrimination indirecte en raison de l’âge en privant les salariés ayant entre trente-six et quarante années de service au moment de l’entrée en vigueur de l’accord et relevant d’une même classe d’âge de la gratification liée à la médaille or du travail et, dans l’affirmative, si cette différence de traitement était objectivement et raisonnablement justifiée par un but légitime et si les moyens de réaliser ce but étaient nécessaires et appropriés.

Cette décision marque une rupture avec les derniers arrêts rendus en la matière. La Cour de cassation avait en effet fait évoluer sa position dans une série d’arrêts qui s’inscrivent dans la ligne des arrêts du 27 janvier 2015, selon laquelle « les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle » (Soc. 27 janv. 2015, nos 13-22.179, 13-25.437 et 13-14.773 (3 arrêts), D. 2015. 270, obs. C. C. cass. ; ibid. 829, obs. J. Porta et P. Lokiec ; ibid. 2340, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2015. 237, étude A. Fabre ; ibid. 351, étude P.-H. Antonmattei ; RDT 2015. 339, obs. E. Peskine ; ibid. 472, obs. G. Pignarre). Depuis, la chambre sociale jugeait que la différenciation du statut des salariés en fonction de leur appartenance à un établissement est présumée justifiée lorsqu’elle est opérée par voie conventionnelle. Pour renverser la présomption, il faut que celui qui conteste la différence de traitement démontre que celle-ci est « étrangère à toute considération professionnelle » (Soc. 8 juin 2016, n° 15-18.444 ; D. 2016. 2286, obs. note explicative de la Cour de cassation ; ibid. 2017. 235, chron. F. Ducloz, P. Flores, F. Salomon, E. Wurtz et N. Sabotier ; ibid. 2270, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2017. 87, obs. P.-H. Antonmattei ; RDT 2017. 140, obs. I. Odoul-Asorey). Cette présomption s’applique que les différences résultent d’accords d’établissement différents (Soc. 8 juin 2016, préc.), ou d’un accord d’entreprise (Soc. 4 oct. 2017, n° 16-17.517,  ; D. 2017. 1981 ; ibid. 2018. 813, obs. P. Lokiec et J. Porta ; RDT 2018. 67, obs. Y. Ferkane).

La décision ici rapportée interroge. Il semblerait qu’elle s’inscrive dans une ligne jurisprudentielle antérieure aux arrêts de 2015 déjà tracée notamment par l’arrêt du 28 octobre 2009 (Soc. 28 oct. 2009, n° 08-40.457, Bull. civ. V, n° 239) dans lequel la Cour de cassation avait précisé que des différences de traitement entre salariés d’établissements différents résultant d’un accord collectif ne sont admises qu’à la condition qu’« elles reposent sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ».