L’eau, source de vie, devient parfois le vecteur d’une inquiétude silencieuse. Depuis plusieurs années, une menace insidieuse plane sur nos ressources hydriques : les PFAS, ces « polluants éternels », capables de résister à l’épreuve du temps et des traitements, tout en s’invitant dans les nappes phréatiques, les rivières et l’eau potable qui alimente nos foyers. Invisibles, mais omniprésents, ces composés chimiques suscitent des interrogations légitimes : quels dangers réels représentent-ils pour la santé humaine et l’environnement ? Les seuils réglementaires européens suffisent-ils à contenir leurs effets délétères ? Enfin, face à leur persistance et leur toxicité suspectée, que peuvent les citoyens, les collectivités et les associations pour obtenir justice ?

Cet article explore les multiples facettes de cette problématique, où le juridique se mêle au scientifique, et où les enjeux locaux s’inscrivent dans un débat global. En rappelant les fondements législatifs européens, en analysant les premières actions judiciaires et en interrogeant les limites actuelles des recours contentieux, nous tenterons de comprendre les outils à disposition pour lutter contre la contamination par les PFAS, mais aussi les failles qu’il reste à combler.

I - Le cadre réglementaire applicable en Europe

Le droit européen encadre progressivement la gestion des PFAS à travers plusieurs instruments juridiques :

  1. Directive relative à l’eau potable (Directive (UE) 2020/2184) :

    • Cette directive introduit des seuils pour les PFAS dans l’eau potable : 0,1 µg/L pour la somme de 20 PFAS spécifiques et 0,5 µg/L pour l’ensemble des PFAS détectés.
    • Ces seuils, obligatoires pour les États membres à partir de 2026, visent à renforcer la protection des consommateurs contre les risques sanitaires.
  2. Règlement REACH (CE) n° 1907/2006 :

    • Ce règlement établit une procédure de restriction des substances dangereuses dans l’Union européenne. En janvier 2023, une proposition de restriction globale des PFAS a été soumise, incluant leur interdiction progressive dans divers produits et applications industrielles.
  3. Directive cadre sur l’eau (2000/60/CE) :

    • Les PFAS figurent sur la liste des substances prioritaires surveillées en raison de leurs impacts environnementaux. Les États membres doivent en garantir la réduction progressive, notamment dans les nappes phréatiques et les eaux superficielles.
  4. Cadre sur la responsabilité environnementale (Directive 2004/35/CE) :

    • Cette directive impose aux entreprises responsables d’une pollution de financer les mesures de prévention, de limitation ou de réparation des dommages environnementaux, sur la base du principe du pollueur-payeur.
  5. Plans nationaux de surveillance :

    • Plusieurs États membres, dont la France, ont intégré des PFAS dans leurs plans nationaux de surveillance de la qualité de l’eau, anticipant l’entrée en vigueur des nouvelles obligations européennes.

Malgré un cadre réglementaire européen en constante évolution, les outils juridiques déployés pour limiter la pollution par les PFAS se heurtent à des défis considérables. Ces lacunes expliquent en partie l’émergence de contentieux, portés par des collectivités, des citoyens et des associations. Ces derniers, souvent en quête de réparation ou de reconnaissance des préjudices subis, s’appuient sur des bases légales variées, révélant ainsi la complexité d’une lutte contre un ennemi invisible et omniprésent.

II - Aspects contentieux en France et en Europe : fondements juridiques des plaintes

Qu’il s’agisse de plaintes déposées par des collectivités locales pour protéger l’eau de leurs territoires, ou d’actions de consommateurs cherchant à garantir leur droit à une eau potable sûre, les recours judiciaires autour des PFAS prennent de multiples formes. Ces initiatives, portées par des acteurs aux intérêts convergents, témoignent d’une mobilisation croissante pour responsabiliser les industriels et renforcer la protection de l’environnement.

1. Actions en justice des collectivités territoriales

Certaines collectivités locales, en France et ailleurs, intentent des recours judiciaires contre les pollueurs sur la base de responsabilités environnementales et sanitaires.

  • Base légale :

    • Article L. 541-1 du code de l’environnement : principe du pollueur-payeur, imposant aux entreprises responsables de financer la dépollution.
    • Directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale : fondement européen applicable.
  • Exemples :

    • À Grenoble, des recours ciblent les plateformes chimiques de Jarrie et de Pont-de-Claix pour contamination des nappes phréatiques. Les collectivités demandent la réparation des dommages environnementaux et le financement des traitements de l’eau.
    • Au niveau européen, des actions similaires ont été intentées aux Pays-Bas contre des industriels producteurs de PFAS, obtenant des condamnations pour financement de mesures correctives.

2. Actions des associations de consommateurs

Les associations de consommateurs, comme UFC-Que Choisir, jouent un rôle essentiel dans la mise en lumière de la contamination des ressources en eau et l’assistance des citoyens.

  • Base légale :

    • Article L. 421-1 du code de la consommation : permet aux associations agréées de représenter les consommateurs en justice.
    • Directive 2009/22/CE sur les actions représentatives en matière de protection des intérêts collectifs des consommateurs (abrogée et remplacée par la directive 2020/1828 à compter de 2023).
  • Exemples de plaintes :

    • UFC-Que Choisir a révélé en 2023 des concentrations significatives de PFAS dans l’eau potable dans plusieurs communes françaises. Ces relevés pourraient justifier des actions collectives pour exiger une mise en conformité des seuils de qualité.
    • En Belgique, l’association Test-Achats a participé à des recours collectifs liés à la pollution autour de l’usine 3M à Zwijndrecht.

3. Actions citoyennes et référés environnementaux

Des citoyens et collectifs locaux intentent également des actions pour protéger leur environnement et leur santé.

  • Base légale :

    • Article 1240 du code civil : fondement de la responsabilité civile pour faute, permettant aux particuliers d’obtenir réparation pour un préjudice subi.
    • Article L. 110-1 du code de l’environnement : reconnaissance du droit de chacun à vivre dans un environnement sain.
    • Directive cadre sur l’eau (2000/60/CE) et sa transposition en droit français (articles L. 211-1 et suivants du code de l’environnement).
  • Exemples de procédures :

    • En région lyonnaise, un collectif de citoyens a engagé un référé environnemental pour limiter les rejets de PFAS par Arkema. Le tribunal a ordonné une surveillance accrue des émissions polluantes.

4. Actions pénales contre les pollueurs

Les autorités ou les citoyens peuvent engager des poursuites pénales à l’encontre des pollueurs en cas de manquements graves aux réglementations environnementales.

  • Base légale :

    • Articles L. 216-6 et L. 432-2 du code de l’environnement : incriminations pour rejet polluant dans l’eau.
    • Articles 1382 et suivants du code civil : réparation du préjudice.
  • Exemple notable :

    • En Belgique, des plaintes pénales ont été déposées contre 3M pour pollution volontaire, entraînant des amendes et une enquête judiciaire encore en cours.

Toutefois, la multiplication des actions judiciaires ne suffit pas à masquer les limites des mécanismes de réparation existants. La difficulté à prouver les dommages liés aux PFAS, la lenteur des procédures ou encore la complexité des normes européennes soulignent la nécessité d’un encadrement plus ambitieux. À l’heure où l’urgence environnementale ne peut plus être ignorée, ces contentieux soulèvent des questions essentielles : le droit est-il suffisamment armé pour affronter les défis posés par ces « polluants éternels » ?

III - Les limites des recours juridiques actuels

Malgré les avancées, plusieurs obstacles subsistent :

  • Difficulté à prouver le lien de causalité entre la pollution par les PFAS et les dommages subis.
  • Lenteur des procédures judiciaires, notamment en matière de responsabilité environnementale.
  • Insuffisance des seuils réglementaires : bien que conformes aux normes européennes, ces seuils sont souvent contestés pour leur incapacité à prévenir les risques sanitaires.

Conclusion

La contamination des eaux par les PFAS s’impose comme une problématique complexe, mêlant enjeux de santé publique, droit de l’environnement et responsabilité civile ou pénale. Si le cadre réglementaire européen progresse, les actions contentieuses montrent l’importance de l’application du principe du pollueur-payeur. Les litiges à venir contribueront à faire évoluer les normes et à renforcer les obligations des industriels, mais également à responsabiliser les collectivités dans la surveillance des ressources en eau. Les associations de consommateurs et les collectifs citoyens continueront à jouer un rôle clé dans ces évolutions, posant les jalons d’une jurisprudence européenne en matière de "polluants éternels".