Au regard des déclarations incriminantes du plaignant et à défaut de confrontation, durant l'enquête, entre la partie civile et le prévenu, il appartient aux juges, d'une part, de mettre en œuvre les moyens procéduraux à leur disposition pour tenter d'assurer la comparution de la partie civile à l'audience, afin de permettre à la défense, qui en avait manifesté la volonté, de l'interroger, et d'autre part, de vérifier si l'absence de la partie civile est justifiée par une excuse légitime.

Dès lors, les juges, qui refusent d'ordonner la comparution de la partie civile, doivent rechercher s'il existe dans la procédure des éléments compensateurs permettant de pallier l'absence de toute confrontation avec le prévenu et à défaut en tirer toutes les conséquences.

Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 avril 2024 (Cass. crim., 4 avr. 2024, n° 22-82.169, FS-B).

En l'espèce, une personne âgée de 17 ans avait déposé une plainte à l'encontre d'une personne pour agression sexuelle sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à une déficience physique ou psychique, était apparente ou connue de son auteur.

La cour d'appel avait ordonné que les scellés de l'enregistrement de l'audition de la partie civile lui soient transmis afin qu'ils puissent être mis à la disposition de la défense du prévenu.

Les juges avaient également refusé d'ordonner la comparution forcée et renvoyé l'examen de l'affaire.

Pour justifier cette décision, les juges avaient rappelé que la confrontation entre les parties avait été empêchée par la très grande peur manifestée par la plaignante.

Le prévenu forma un pourvoi en cassation en faisant valoir que les poursuites intentées contre lui reposaient essentiellement sur les déclarations de la partie civile, qui avait pourtant systématiquement refusé de se confronter à lui au cours de la procédure.

Cette dernière n'avait pas participé à la confrontation organisée pendant l'enquête.

Devant les juges, elle avait refusé également de comparaître devant le tribunal correctionnel puis devant la cour d'appel, malgré la citation adressée par la défense à la plaignante et à ses parents.

La Cour de cassation casse la décision.

La chambre criminelle précise tout d'abord qu'aucune disposition du Code de procédure pénale ne permet de contraindre la partie civile à comparaître devant la juridiction correctionnelle.

Toutefois, pour la Cour de cassation, au regard des articles 6, § 3, d), de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du Code de procédure pénale, toute personne accusée d'une infraction a droit, notamment, à interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge.

Elle rappelle à cet égard la position de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle juge que le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge constitue une garantie du droit à l'équité de la procédure, en ce que, non seulement il vise l'égalité des armes entre l'accusation et la défense, mais encore il fournit à la défense et au système judiciaire un instrument essentiel de contrôle de la crédibilité et de la fiabilité des dépositions incriminantes et, par-là, du bien-fondé des chefs d'accusation ( CEDH, 14 juin 2016, Riahi c. Belgique, n° 65400/10, § 39 ).

La Cour européenne des droits de l’homme estime notamment qu'il y a violation de l'article 6, §§ 1 et 3, d), de la Convention européenne des droits de l'homme, s'il n'est pas démontré que les juges ont déployé tous les efforts que l'on pouvait raisonnablement attendre d'eux pour tenter d'assurer la comparution du témoin dont le témoignage est déterminant au sens de sa jurisprudence ( CEDH, 10 avr. 2012, Tseber c. République tchèque, n° 46203/08, § 48 ).

La Cour européenne des droits de l’homme exige qu'un contrôle minutieux des raisons données pour justifier l'incapacité du témoin à assister au procès soit effectué par les juges en tenant compte de la situation particulière de l'intéressé. Si l'absence de motif sérieux justifiant la non-comparution ne peut en soi rendre un procès inéquitable, elle constitue un élément de poids s'agissant d'apprécier l'équité globale d'un procès ( CEDH, 15 déc. 2015, Schatschaschwili c. Allemagne, n° 9154/10, §§ 111-131 ).

S'agissant particulièrement de la personne se déclarant victime d'infractions sexuelles et invoquant la peur d'assister au procès, la Cour européenne des droits de l’homme précise que le juge doit notamment vérifier si toutes les autres possibilités, telles que l'anonymat ou d'autres mesures spéciales, étaient inadaptées ou impossibles à mettre en œuvre ( CEDH, 27 févr. 2014, Lucic c. Croatie, n° 5699/11, § 75 ).

Pour justifier la cassation de l'arrêt, la chambre criminelle relève qu'aucun document médical n'a été produit, ni demandé par les juges, pour justifier cet empêchement de comparaître. Elle ajoute que les juges n'ont pas ordonné la comparution personnelle de la partie civile à l'audience, y compris par un moyen de télécommunication audiovisuelle sur le fondement de l'article 706-71, alinéa 3, du Code de procédure pénale, alors qu'ils disposaient de cette faculté sans pour autant user de la contrainte et qu'ils n'ont pas davantage ordonné une expertise pour vérifier si la comparution de la partie civile, à l'audience ou en visioconférence, se heurtait à un obstacle insurmontable.

(Source : Lexis360 du 11/01/2024)