Sous-traitance et notion d'acceptation non équivoque d'une demande en paiement
Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 23-21.118
- ECLI:FR:CCASS:2025:C300354
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du jeudi 10 juillet 2025
Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, du 12 juillet 2023
Président
Mme Teiller (président)
Avocat(s)
SCP Foussard et Froger, SCP Lyon-Caen et Thiriez
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CC
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 10 juillet 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 354 F-D
Pourvoi n° E 23-21.118
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 JUILLET 2025
La société DP.r, venant aux droits de l'entreprise Petit, elle-même venant aux droits de la société Lainé Delau, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 23-21.118 contre l'arrêt rendu le 12 juillet 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 5), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Tempeol, venant aux droits de la société Cogeef industrie, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Central Sanit ouest, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Foucher-Gros, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société DP.r, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat des sociétés Tempeol, et de Central Sanit ouest, après débats en l'audience publique du 27 mai 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Foucher-Gros, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 juillet 2023), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 16 septembre 2021, pourvoi n° 20-11.060), la société Hôtel [4] a confié des travaux de rénovation et d'extension de son établissement au groupement d'entreprises constitué par la société GTM bâtiment et la société Lainé Delau, aux droits de laquelle est venue la société Petit, aux droits de laquelle vient la société DP.r (l'entreprise principale).
2. Celle-ci a confié par contrat de sous-traitance au groupement d'entreprises formé par les sociétés Cogeef industrie, aux droits de laquelle vient désormais la société Tempeol, et Central Sanit ouest (CSO) (le groupement de sous-traitants), l'exécution des lots chauffage, ventilation, climatisation, désenfumage et plomberie.
3. Après conclusion d'un protocole sur les sommes qui lui étaient dues par l'entreprise principale tant à titre indemnitaire qu'en paiement de travaux supplémentaires, le groupement de sous-traitants lui a adressé son projet de décompte général et définitif.
4. En l'absence de règlement, le groupement de sous-traitants a assigné l'entreprise principale en paiement du solde restant dû.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. L'entreprise principale fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au groupement de sous-traitants une certaine somme avec les intérêts au taux majoré à compter du 15 janvier 2015, alors :
« 1°/ qu'une acceptation tacite ne peut être caractérisée qu'en présence d'actes manifestant sans équivoque la volonté de l'acceptant ; que le silence ne vaut pas à lui seul acceptation, sauf stipulation expresse contraire des parties ; qu'en décidant que le silence de l'entrepreneur principal, la société DP.r, vaudrait acceptation des devis des sociétés CSO-Tempeol, au motif que « les usages entre le groupement et l'entreprise principale ont toujours été suivis selon lesquels les travaux supplémentaires ou modificatifs ont été, tout au long du marché et par le fait des retards importants qui ne leur sont pas imputables et en ont bouleversé l'économie, acceptés et payés sans être soumis de facto à un ordre écrit préalable de l'entrepreneur principal mais seulement sur la base des devis précisant le prix et le délai d'exécution », sans constater de stipulation expresse en ce sens ou d'actes manifestant sans équivoque la volonté de l'acceptant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe selon lequel le silence ne vaut pas acceptation ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ qu'une acceptation tacite ne peut être caractérisée qu'en présence d'actes manifestant sans équivoque la volonté de l'acceptant ; que le silence ne vaut pas à lui seul acceptation, sauf stipulation expresse contraire des parties ; qu'en décidant que le silence de l'entrepreneur principal, la société DP.r, vaudrait acceptation des devis des sociétés CSO-Tempeol, au motif inopérant que « ces devis [?] concernent des travaux de reprise de fuites des évacuations, de curage, de diagnostic des réseaux existant dont à aucun moment la société DP.r ne conteste sérieusement le caractère d'urgence et l'utilité à la perfection de la réalisation du lot plomberie », l'utilité des travaux étant impropre à caractériser l'acceptation du montant des devis, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard du principe selon lequel le silence ne vaut pas acceptation ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel, qui a constaté que le protocole conclu entre l'entreprise principale et le groupement de sous-traitants précisait que la somme forfaitaire convenue ne portait pas sur les éventuels travaux supplémentaires ou modificatifs à venir réalisés à la demande de la direction du chantier de l'entreprise principale, postérieurement à la date de sa signature, a souverainement retenu que les usages suivis entre l'entreprise principale et le groupement de sous-traitants établissaient que les travaux supplémentaires ou modificatifs, résultant, tout au long du marché, des retards importants qui n'étaient pas imputables au groupement de sous-traitants et avaient bouleversé l'économie du contrat, étaient acceptés et payés sur la base de devis précisant le prix et le délai d'exécution, sans être soumis à un ordre écrit préalable de l'entrepreneur principal.
7. Ayant relevé que les devis produits, tous postérieurs à la date de signature du protocole, concernaient des travaux de reprise dont l'entreprise principale ne contestait pas le caractère d'urgence ni l'utilité à la perfection de la réalisation du lot plomberie confié au groupement de sous-traitants, faisant ainsi ressortir que les circonstances particulières conféraient au silence de l'entreprise principale la signification d'une acceptation non équivoque, elle a pu en déduire que la demande en paiement formée par le groupement de sous-traitants devait être accueillie.
8. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. L'entreprise principale fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables, pour être présentées pour la première fois devant la cour d'appel de renvoi, les demandes relatives à la condamnation du groupement de sous-traitants au paiement de pénalités de retard et au titre de moins-values à raison de travaux que la société Petit a été contrainte de faire réaliser par des tiers, alors « que les demandes reconventionnelles sont recevables en appel, dès lors qu'elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ; qu'en déclarant irrecevables les demandes de la société DP.r qu'elle qualifiait elle-même de « reconventionnelles » aux motifs inopérants qu'elles ne sont « ne sont ni l'accessoire ni la conséquence ni le complément d'une demande initiale », la cour d'appel a violé les articles 70 et 567 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
10. Le groupement de sous-traitants conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que celui-ci est nouveau et mélangé de droit et de fait.
11. Cependant, le moyen est de pur droit.
12. Il est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 70 et 567 du code de procédure civile :
13. Il résulte de ces textes que les demandes reconventionnelles sont recevables en appel à la condition de se rattacher aux prétentions originaires par un lien suffisant.
14. Pour déclarer irrecevables les demandes reconventionnelles en paiement de pénalités et de moins-values présentées par l'entreprise principale, l'arrêt retient que ces demandes ne sont ni l'accessoire ni la conséquence ni le complément d'une demande initiale.
15. En se déterminant ainsi, par des motifs pris de l'application de l'article 566 du code de procédure civile régissant les demandes additionnelles en appel, quand elle était saisie d'une demande reconventionnelle, dont la recevabilité est appréciée au regard de son lien suffisant avec les demandes adverses, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la société DP.r à soulever pour la première fois devant la cour de renvoi des demandes relatives à la condamnation des sociétés Central Sanit ouest et Tempeol au paiement :
- des pénalités de retard dues par les sociétés Central Sanit ouest et Tempeol à la société DP.r, venant aux droits de la société Petit, à hauteur de la somme de 589 333 euros ;
- des pénalités de retard dues par les sociétés Central Sanit ouest et Tempeol à la société DP.r au titre de l'absence de réalisation des travaux de levée des réserves dans les délais contractuellement prévus à hauteur de la somme de 650 000 euros ;
- des moins-values à raison de travaux que la société Petit a été contrainte de faire réaliser par des tiers dues par les sociétés Central Sanit ouest et Tempeol à hauteur de la somme de 101 116,57 euros HT ;
- de la pénalité s'élevant à la somme de 6 369 129,19 euros au titre du retard pris par les sociétés Central Sanit ouest et Tempeol dans l'exécution de leurs obligations contractuelles,
l'arrêt rendu le 12 juillet 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne les sociétés Tempeol et Central Sanit ouest aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le dix juillet deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par M. Boyer, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de Mme Teiller, président empêché, le conseiller rapporteur et le greffier conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300354
Publié par ALBERT CASTON à 09:06
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Libellés : acceptation tacite , conditions de paiement , sous-traitance
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