Les interactions entre la vie professionnelle et la vie personnelle du salarié ont fait couler beaucoup d'encre et donné lieu à une jurisprudence abondante.

En la matière, une thématique revient de façon récurrente devant les juridictions prud'homales au regard notamment du développement galopant des nouvelles technologies, lesquelles favorisent l'imbrication des vies personnelle et professionnelle du salarié : il s'agit de la question relative aux règles applicables aux correspondances personnelles du salarié qui ont transité par un outil informatique professionnel. 

Un arrêt de la Chambre Sociale du 26 janvier 2016 vient apporter un éclairage intéressant (que certains commentateurs ont pu même considérer comme curieux) à la question de la recevabilité comme éléments de preuve dans le cadre d'une instance judiciaire de messages électroniques provenant de la messagerie personnelle du salarié mais échangés par le biais d'un ordinateur mis à sa disposition par son employeur pour l'exercice de son activité professionnelle. 

Avant de s'intéresser à la portée de cet arrêt récent de la Chambre Sociale (II), un bref rappel s'impose s'agissant du régime applicable aux messages et/ou fichiers personnels du salarié présents sur son ordinateur professionnel (I) :

I/ Rappels

Dans son arrêt Nikon de 2001, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation avait consacré pour le salarié un droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée, cette intimité impliquant notamment le respect du secret des correspondances. 

La Chambre Sociale avait ainsi considéré que l'employeur ne pouvait, sans violation de cette liberté fondamentale, prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié ou reçus par lui grâce à l'outil informatique mis à sa disposition pour le travail, et ceci même si l'employeur avait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur. 

Par la suite, la Chambre Sociale a fait évoluer sa position, en transposant aux nouvelles technologies la règle qu'elle avait édictée pour la fouille des vestiaires, à savoir que l'employeur ne peut, sauf risque ou évènement particulier, ouvrir les messages identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition qu'en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé (arrêt de la Chambre Sociale du 17 juin 2009 n°08-40.274). 

Elle est ensuite allée plus loin en érigeant une véritable présomption du caractère professionnel des mails adressés ou reçus par le salarié sur son ordinateur professionnel en jugeant : «les courriels adressés ou reçus par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé, sauf s’ils sont identifiés comme personnels » (voir par exemple un arrêt du 16 mai 2013 n°12-11.866)

INFO : La Chambre Sociale a étendu cette présomption de caractère professionnel à d’autre utilisation faites par le salarié de l’outil informatique professionnel : connexions internet sur l’ordinateur professionnel, connexion d’une clé USB personnelle sur l’ordinateur professionnel, SMS envoyés ou reçus par le salarié sur le téléphone portable professionnel …

Cependant, la présomption du caractère professionnel des mails présents sur l’ordinateur professionnel n’autorise pas l’employeur à l’utiliser lorsque ceux-ci s’avèrent être des correspondances personnelles, et ce même dans le cas où les mails ne porteraient pas de mention les identifiant comme tétant personnels.

En ce sens, il a déjà été jugé que l’employeur ne pouvait valablement produire justice un mail personnel du salarié bien que ce mail ait été présent sur l’ordinateur professionnel et non identifié de manière explicite comme étant une correspondance personnelle (Arrêt du 18 octobre 201), pas plus que l’employeur ne pouvait utiliser les mails personnels du salarié pour le sanctionner (Arrêt du 5 juillet 2011).

 

II/ L’arrêt du 26 janvier 2016 : la question de la recevabilité en justice des mails  provenant de la messagerie électronique personnelle du salarié présents sur l'ordinateur mis à sa disposition par l'employeur.

Jusqu’alors, il était établi que le salarié pouvait obtenir l’inopposabilité des mails trouvés sur son ordinateur professionnel principalement dans deux hypothèses :

  • Lorsque le mail était clairement identifié comme étant personnel (par exemple mention « personnel » dans la rubrique « objet »),
  • Lorsqu’aucune mention explicite n’identifiait le mail comme étant personnel mais que son contenu attestait bien qu’il s’agissait d’une correspondance privée.

L’arrêt du 26 janvier 2016 auquel nous nous intéressons identifie un troisième cas dans lequel l’employeur ne peut utiliser comme élément probatoire les mails du salarié présents sur l’outil informatique professionnel: lorsque le mail trouvé sur l’ordinateur professionnel provient de la messagerie personnelle du salarié.

Les faits :

Dans cette affaire une salariée avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de sa prise d’acte de rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au cours de l’instance, l’employeur avait produit une pièce constituée de deux mails trouvés sur l’ordinateur professionnel de la salariée.

Les arguments des parties :

La salariée avait sollicité que cette pièce soit écartée des débats en faisant valoir qu’elle portait atteinte au secret des correspondances au motif qu’il s’agissait d’un échange de mails reçus et envoyés depuis son adresse de messagerie personnelle.

La Cour d’Appel a donné raison à la salariée et écarté la pièce produite par l’employeur au motif que bien que provenant de l’ordinateur professionnel, il s’agissait d’un échange de mails reçus par la salariée sur sa boite de messagerie personnelle et émanant d’adresses privées et non professionnelles.  

 

L’employeur a formé un pourvoi en cassation contre cette décision en reprenant deux arguments tirés de deux arrêts de la Chambre Sociale de 2009 et 2013, pensant ainsi avoir gain de cause :

  • Le 1er argument était de dire que les dossiers ou fichiers créés par le salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour l’exécution de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel (position retenue par la Chambre Sociale dans un arrêt du 18 octobre 2006 par exemple),
  • Le 2nd argument était dire que les mails et fichiers intégrés dans le disque dur de l’ordinateur professionnel ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu’ils émanent initialement de la messagerie électronique personnelle du salarié. (Position de la Chambre Sociale dans un arrêt du 19 juin 2013)

L’employeur pensait donc pouvoir librement consulter et utiliser les mails émis par la salariée car ils n’étaient pas identifiés comme personnels.

La position de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation :

La Chambre Sociale a cependant rejeté cette argumentation de l’employeur, confirmant ainsi l’arrêt d’appel, ce qui n’a pas manqué de surprendre :

« (…)qu’ayant constaté que les messages électroniques litigieux provenaient de la messagerie personnelle de la salariée distincte de la messagerie professionnelle dont celle-ci disposait pour les besoins de son activité, la cour d’appel en a exactement déduit que ces messages électroniques devaient être écartés des débats en ce que leur production en justice portait atteinte au secret des correspondances »

Premier point:  dans cette affaire, la Chambre Sociale ne prend pas en considération le fait que l’ordinateur utilisé par la salariée pour émettre les mails litigieux soit la propriété de l’entreprise.

Le raisonnement des magistrats n’est en effet basé que sur le caractère personnel de la messagerie utilisée par la salariée pour écrire ce mail. Ainsi, le caractère purement privé de cette correspondance est déduit du fait qu’il a été émis d’une adresse de messagerie électronique personnelle.

Il en résulte donc que ce que le salarié envoie depuis sa messagerie personnelle doit être considéré comme personnel et donc protégé par le secret des correspondances, quand bien même il aurait utilisé l’ordinateur appartenant à l’entreprise pour le rédiger.

Un second point peut expliquer la solution retenue dans ce cas d’espèce : il semblerait que les mails litigieux n’aient pas été stockés sur le disque dur de l’ordinateur de l’entreprise mais que l’employeur ait pu y accéder par le biais du Webmail.

Or, dans l’arrêt du 19 juin 2013 dont l’employeur avait repris les termes à l’appui de son pourvoi, les mails étaient bien stockés sur le disque dur de l’ordinateur professionnel. Dans cette affaire la Cour avait alors statué en ce sens :

« (…) des courriels et fichiers intégrés dans le disque dur de l’ordinateur mis à disposition du salarié par l’employeur ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu’ils émanent initialement de la messagerie électronique personnelle du salarié » (Arrêt du 19 juin 2013 n° 12-12.138)

Toutefois, dans cet arrêt de 2016, la Cour passe complètement sous silence la question du stockage ou de l’absence de stockage des mails litigieux sur le disque dur de l’ordinateur de l’entreprise pour se concentrer uniquement sur l'origine du mail litigueux : ce mail ayant été émis d’une adresse de messagerie électronique personnelle, il a nécessairement le caractère d’une correspondance privée protégée à ce titre par le secret des correspondances.

Dès lors, l’arrêt du 26 janvier 2016 pourrait constituer un revirement de jurisprudence en la matière.

Il convient cependant de rester prudent, et de surveiller attentivement les prochaines décisions de la Chambre Sociale sur cette thématique.

 

En tout état de cause, cet arrêt ouvre des perspectives nouvelles aux salariés qui, au cours de l’instance prud’homale, souhaitent voir écarter des débats des mails produits par l’employeur et qu’ils auraient rédigés depuis leur messagerie électronique personnelle ou encore contester une sanction qui aurait pour fondement un mail émis ou reçu par le biais de leur messagerie électronique personnelle en invoquant la violation du secret des correspondances.