En l’espace de quelques années, les réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram, Twitter sont devenus incontournables. Lieux de discussions et de partage, les réseaux sociaux constituent pour certains salariés un exutoire des difficultés qu'ils rencontrent dans leur milieu de travail. On y trouve aussi la délation de certaines pratiques de collègues, de l'entreprise ...
À coup sûr, les employeurs ont rapidement compris comment tirer parti de ces nouveaux espaces, dont ils peuvent se servir comme d’outils de surveillance leur permettant de garder un œil sur la vie personnelle de leurs salariés ou encore d'aller glaner des informations sur un candidat à l’embauche, et mieux encore déceler des comportements fautifs.
Dès lors, la question qui se pose naturellement est celle de la licéité des éléments de preuve obtenus par l’employeur sur le mur Facebook d’un salarié. Ces informations relèvent-elles ou non de la protection de la vie privée du salarié (article 9 du Code civil et article 226-1 du Code pénal), dans quelles conditions peuvent-elles être recevables en justice ?
En premier lieu, il convient de rappeler qu’en matière prud’homale la preuve peut être rapportée par tous moyens. Cela laisse penser que les réseaux sociaux pourraient donc être utilisés comme mode de preuve.
Cependant, il faut également garder à l’esprit qu’un élément de preuve n’est recevable qu’à la condition d’avoir été recueillie loyalement (article 9 du Code de procédure civile).
À titre d’exemple, sont considérés comme déloyaux les éléments de preuve recueillis en ayant recours à un stratagème pour confondre le salarié, ou encore ceux qui constituent une violation manifeste de la vie privée du salarié. Mais qu'en est-il de ces espaces de partage dans lesquels chacun étale, plus ou moins, des éléments de sa vie personnelle, les rendant ainsi accessible à un grand nombre?
Pour la première fois, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation s’est prononcée sur la question de Facebook et des moyens de preuve qui s’y rapportent, dans un arrêt du 20 décembre 2017 (n° 16-19-609).
Antérieurement à cette décision, seuls les juges du fond avaient fixé un cadre juridique de la preuve recueillie sur Facebook, plus ou moins cohérent.
Les faits :
Une salariée engagée en 2010 en qualité d’équipier puis d’assistante manager dans une société a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur en 2012 sur la base de divers manquements (notamment non-paiement d’heures supplémentaires).
Pour contester la légitimité de sa prise d’acte, l’employeur a utilisé à titre de preuve des informations recueillies sur le compte Facebook de la salariée. Plus précisément il s’agissait de captures d’écran du compte Facebook d’un autre salarié, en relation sur le réseau social avec la salariée concernée, et qui utilisait l’application Facebook sur son téléphone professionnel.
La Cour d’Appel a confirmé la prise d’acte de rupture mais surtout a condamné l’employeur à payer à la salariée des dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée au motif que l’employeur avait porté une atteinte disproportionnée et déloyale à sa vie privée en produisant les informations recueillies sur son compte Facebook. La Cour a bien évidemment considéré que la preuve était illicite.
Le pourvoi de l’employeur :
L’employeur a formé un pourvoi contre l’arrêt d’appel et fait valoir que les informations litigieuses issues du compte Facebook ont été recueillies au moyen d’un téléphone portable mis à disposition d’un autre salarié pour les besoins de ses fonctions. L’employeur soutient alors que ce téléphone était présumé avoir un caractère professionnel et constituait ainsi le support de moyens de preuves licites. Il soutient encore que les informations n’ayant pas été identifiées comme personnelles, la Société était donc autorisée à y accéder et qu’il n’y avait donc pas d’atteinte de manière disproportionnée et déloyale à la vie privée de la salariée.
La décision de la Cour de Cassation :
La Cour de Cassation rejette le pourvoi de l’employeur. Elle considère que « l’employeur ne pouvait, sans porter une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée de la salariée, accéder à des informations extraites du compte Facebook de celle-ci, obtenues à partir du téléphone portable d’un autre salarié, informations réservées aux personnes autorisées ».
Par cet arrêt, qui a le mérite d’être le premier de la Haute juridiction à traiter de la problématique de l’utilisation d’informations tirées d’un réseau social comme moyen de preuve par l’employeur, la Cour semble affirmer que l’information issue du compte Facebook est par nature privée et que ce caractère privé de l’information demeure quand bien même elle sortirait du cercle restreint des personnes qui sont autorisées à y accéder.
Ainsi, la révélation d’une information issue du mur Facebook du salarié ne suffirait pas à lui faire perdre son caractère privé, et ce peu importe que cette information ait été recueillie par le biais d’un support professionnel, en l’espèce le téléphone portable professionnel d’un autre salarié.
La Cour de Cassation semble ici considérer que les applications de réseau sociaux sont soumises au respect de la vie privée et ce peu importe le support sur lequel elles sont accessibles.
Dans le cadre de ce premier arrêt concernant Facebook, le choix de la Cour semble être de limiter fortement l’étendue de la preuve recueillie par le biais d’un réseau social. Il apparaît ainsi que la marge de manœuvre de l’employeur serait très réduite puisqu’il ne pourrait finalement utiliser des informations issues d’un réseau social de façon licite que dans deux hypothèses :
- la première est que l’employeur soit l’«ami » de son salarié sur le réseau social (ce qui demeure tout de même marginal)
- et la seconde est que le profil du salarié concerné soit totalement public (qu’il ne soit donc requis aucune autorisation pour y accéder).
Le nombre de sanctions disciplinaires se basant sur des informations extraites de réseaux sociaux tend à augmenter de manière significative. C’est pourquoi, s’il est intéressant d’avoir une première position de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation en la matière, il serait souhaitable que la Cour confirme et développe sa position dans un proche avenir, cet arrêt n’étant pas suffisamment explicite et laissant la place à nombre d’interrogations sur la possibilité pour un employeur d’utiliser des informations issues des réseaux sociaux comme moyen de preuve dans un litige prud’homal et les conditions dans lesquelles cette preuve pourrait être considérée comme licite.
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