Le droit de propriété et le droit d’auteur se confrontent parfois, lorsque l’œuvre n’est plus la propriété de l’artiste. Les prérogatives attachées à ces deux droits doivent néanmoins être menées de concert afin de préserver chacun des titulaires. Les exemples d’atteintes portées à une œuvre appartenant à des propriétaires privés sont nombreux et leur résonnance judiciaire parfois célèbre, à l’image de la décision de la Cour de cassation de 1965 concernant une œuvre redécoupée de Bernard Buffet. Les exemples judiciaires concernant des propriétaires publics sont en revanche plus rares, bien que la réalité des atteintes aux œuvres acquises et placées dans l’espace public est indéniable. Le jugement du TGI de Paris du 1er février 2018 en offre, ici, une illustration et opère des rappels bienvenus.

En 2014, les héritiers de François Stahly découvrent que l’œuvre « Patinoire », commandée par la commune de Vitry-sur-Seine en 1976, ne figure plus à son emplacement d’origine. Sollicitée, la commune leur répondit que malgré les travaux d’entretien réalisés et compte tenu de la matière composant l’œuvre (du bois), celle-ci s’était progressivement détériorée jusqu’à présenter un danger pour les usagers de la voie publique imposant alors sa dépose en 2003. Faute d’arrangement amiable entre les parties et au regard de la gravité de l’atteinte portée à l’œuvre, celle-ci ayant été définitivement détruite après sa dépose, les héritiers ont saisi la juridiction judiciaire, seule compétente afin de réparer l’atteinte au droit moral.

Tentant d’opposer aux héritiers de l’artiste le bénéfice de la prescription, la commune soutenait que les demandeurs auraient dû agir dans les cinq années suivant la dépose de l’œuvre ou sa destruction. Mais le tribunal rappelle ici judicieusement qu’il appartient au propriétaire du support matériel de l’œuvre, de prendre contact avec l’auteur ou ses ayants droit antérieurement à son enlèvement afin de leur permettre d’exercer le droit moral qu’ils détenaient toujours. Dès lors, la commune « ne peut, sans une mauvaise foi certaine, se prévaloir de l’ignorance dans laquelle ils sont restés de son fait pour leur opposer la prescription, laquelle n’a pu commencer à courir avant que ces derniers aient eu connaissance de cette disparition, soit avant début 2014 ». L’action des héritiers ne pouvait donc être prescrite, puisque ceux-ci ont assigné la commune en 2017, soit trois ans après la connaissance certaine de la destruction de l’œuvre.

Cet argument écarté, il convenait alors de s’intéresser à la réparation du préjudice subi du fait de la destruction. Ici, le tribunal résume parfaitement l’articulation entre le droit d’auteur et le droit de propriété, notamment pour les œuvres in situ ou placées dans l’espace public. Ainsi, « si le droit moral de l’auteur d’une œuvre installée dans l’espace public ou de ses héritiers doit être concilié avec le droit que détient le propriétaire du support, en application de l’article 544 du code civil, qui comporte le pouvoir de disposer de la chose et de la détruire lorsque des impératifs, esthétiques, techniques ou de sécurité le justifient, il importe néanmoins, pour préserver l’équilibre entre les prérogatives de l’auteur et celles du propriétaire, d’apprécier la légitimité des travaux entrepris et de vérifier la suffisance des mesures prises en vue de sauvegarder la création, lorsqu’une telle sauvegarde est techniquement possible ». L’équilibre des droits en présence impose donc de s’assurer de la légitimité des travaux entrepris par le propriétaire.

Or, la Commune n’est pas parvenue à démontre pas que la sculpture avait, malgré un entretien régulier, subi des dégradations telles qu’il n’était plus possible ni de la restaurer, ni, pour des impératifs de sécurité publique, de la maintenir sur le site de son installation. Par ailleurs, le tribunal rappelle qu’il appartenait à la commune de prendre contact avec l’auteur ou ses ayants droit pour les associer à la décision relative à la destination de l’œuvre postérieurement à sa dépose. En s’en abstenant et en décidant unilatéralement d’enlever l’œuvre sans s’assurer de sa conservation, la commune a donc commis une faute constitutive d’une atteinte au droit au respect de l’œuvre « de la manière la plus grave qui soit puisqu’elle est désormais détruite » en conclut le tribunal. Quant à la réparation du préjudice subi, le tribunal retient une somme de 30.000 euros au regard tant de la notoriété de l’auteur et que de la gravité de l’atteinte portée à son droit moral.