Lorsqu’une bande dessinée est le produit d’une œuvre créée de concert par un scénariste et un dessinateur, deux questions fondamentales s’imposent. Celle relative à la qualité d’auteur – au sens qu’attache à ce terme le Code de la propriété intellectuelle – et celle relative à la qualité de propriétaire des supports de la création, notamment les planches à partir desquelles l’ouvrage est édité. Si la réponse à ces deux questions répond à des fondements juridiques distincts – le droit d’auteur et le droit de propriété –, une véritable imbrication des deux problématiques peut néanmoins demeurer dans la détermination de la qualité de propriétaire des supports. Cette particularité attachée à une œuvre de bande dessinée vient d’être rappelée par le Tribunal de grande instance de Paris dans une décision du 7 septembre 2017.
Un scénariste découvre la mise en vente de planches originales issues de différentes bandes dessinées auxquelles il avait contribué et ce, sur plusieurs sites Internet. Sur les diverses annonces, son nom n’est jamais mentionné, emportant ainsi une possible atteinte à son droit de paternité et, en tout état de cause, l’auteur n’avait jamais donné son autorisation pour que ces planches soient vendues. Les sites Internet litigieux et le dessinateur pouvaient-ils vendre sans l’autorisation du dessinateur les planches ? Cette question imposait de qualifier tout d’abord l’acte de création, puis, dans un second temps, de déterminer le propriétaire des planches.
Le tribunal rappelle alors, en se fondant sur les articles L. 113-2 et 3 du Code de la propriété intellectuelle, que l’œuvre de collaboration, qui est celle à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques, est la propriété commune des coauteurs qui doivent exercer leurs droits d’un commun accord, la juridiction civile devant trancher leurs éventuels différends. Lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l’exploitation de l’œuvre commune. La vente aurait ainsi pu constituer une exploitation séparée par le dessinateur de sa contribution personnelle à l’œuvre. Cependant, le tribunal retient que le scénariste avait donné au dessinateur des instructions précises et détaillées (composition des planches et nombre de cases, forme des cases, contenus des cases-plans, présence, allure, expression et position des personnes dont le physique est parfois décrit, éléments du décor). « Dès lors, si les planches litigieuses ont été divulguées sous le seul nom [du dessinateur], elles sont le fruit d’un travail concerté et d’une étroite collaboration entre celui-ci et [le scénariste] et sont des œuvres de collaboration. D’ailleurs, il est constant qu’à défaut d’être des planches publiées elles n’en sont pas moins celles à partir desquelles ces dernières seront fidèlement réalisées et dont la qualification d’œuvres de collaboration […] n’est pas en débat ». Il n’était donc pas possible, pour le dessinateur, de vendre seul les planches, fruit d’un travail commun.
Cette question, relative au droit d’auteur, tranchée, il convenait alors de résoudre la problématique attachée à la propriété matérielle des planches. La Cour de cassation avait retenu, le 6 mai 1997, que « la cour d’appel, après avoir relevé que [le dessinateur] avait, seul, créé matériellement les planches dessinées originales avec les moyens de son art, en a justement déduit […] qu’il en avait seul la propriété » matérielle. Selon le tribunal, « seules comptent ainsi les conditions matérielles de la réalisation des planches » pour déterminer si, bien que coauteur au sens du Code de la propriété intellectuelle, le dessinateur était seul propriétaire ou non des supports.
La décision rendue le 7 septembre 2017 rappelle, à cet égard, que le fait qu’il ait dessiné seul les planches ne suffit pas à lui conférer la propriété exclusive. Il était donc nécessaire de déterminer avec précision les conditions de la création matérielle. Or, en l’espèce, de telles conditions sont demeurées indéterminées, les parties au procès n’ayant pas su apporter les preuves indispensables pour trancher au mieux le litige. Le tribunal retient alors que faute d’élément probatoire, le principe de la règle d’une stricte égalité qui a depuis l’origine soumis les relations entre le dessinateur et le scénariste doit s’appliquer. Les deux auteurs avaient donc une propriété indivise sur les planches.
À défaut de l’existence d’un usage particulier en matière de propriété portant sur les planches de bandes dessinées, et à défaut de contrat entre les deux coauteurs, il est donc nécessaire de déterminer et de prouver avec soin les conditions d’intervention de chacun pour résoudre tout conflit de propriété.
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