Alors que plusieurs communes en France ont vu leurs arrêtés « anti-expulsion » annulés ou suspendus (notamment Vénissieux en mars 2019), la ville de Grenoble a suivi leur exemple et a édicté un arrêté de ce type en mai 2019.

L'arrêté du maire de Grenoble impose qu’il soit fourni à la commune la justification d’une solution de logement effective, décente et adaptée ou le cas échéant d’hébergement à toute personne devant être expulsée de son domicile.

Saisi par le Préfet de l’Isère, le juge des référés du Tribunal Administratif de Grenoble a suspendu l’exécution dudit arrêté, par ordonnance du 28 juin 2019.

Le juge des référés a estimé qu’il existait un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté municipal, en se fondant sur deux arguments invoqués par le Préfet : celui tiré de l’incompétence du maire pour définir les conditions dans lesquelles le préfet doit accorder le concours de la force publique pour procéder à une expulsion locative et celui tiré de l’illégalité consistant à faire obstacle à l’exécution de décisions de justice.

Ces motifs ne sont pas inédits et ont déjà fondés plusieurs annulations d'arrêté du même type.

 

L’impossibilité pour un maire de faire obstacle à l’exécution d’une décision de justice

Les maires, comme toute autorité administrative, ne peuvent faire obstacle à l’exécution d’une décision de justice.

Il faut préciser que les expulsions locatives sont essentiellement ordonnées par une décision de justice (Article L. 411-1 du code des procédures civiles d'exécution).  Et si l’occupant ne libère pas spontanément les lieux, le propriétaire est fondé à solliciter le représentant de l'Etat, le Préfet, pour qu’il octroie le concours de la force publique, en vue d’obtenir la libération des lieux (article L. 153-1 du code des procédures civiles d’exécution).

Or, il résulte du principe de la séparation des pouvoirs qu’aucune autorité administrative ne peut empêcher l’exécution d’une décision de justice (Décision du Conseil constitutionnel n° 98-403 DC du 29 juillet 1998).

Le juge administratif considère ainsi que l’administration ne peut faire obstacle à l’exécution d’une décision de justice (CE, 9 octobre 1996, Commune d’Ivry-sur-Seine, n° 121323, CE, 4 mars 2010, Mme Elise A., n° 336700). Les arrêtés anti-expulsion sont ainsi régulièrement censurées sur ce fondement ( CAA Versailles, 31 mai 2007, Commune de Bagneux, n° 06VE02251, CAA Lyon, 6 novembre 2008, Commune de Vénissieux, n° 06LY01702 ; CAA Nantes, 7 juin 2013, n° 11NT02683 ; TA Melun, ord., 20 avril 2016, n° 1602939,  TA Lyon, 27 mars 2019, Commune de Vénissieux, n° 1803738).

En l’occurrence, bien que l'arrêté n'interdise pas purement et simplement les expulsions locatives, il les subordonne à la justification d’une solution de relogement. Cette nuance n'est pas suffisante, dès lors qu'une fois que le jugement ordonnant l'expulsion est rendu, toute diligence administrative préalable à l'octroi du concours de la force publique peut retarder ou rendre impossible l'exécution du jugement. La jurisprudence ne fait pas non plus de distinction (Conseil constitutionnel, décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, CAA Versailles, 16 décembre 2011, Commune de Stains, n° 11VE00428,  TA Lyon, 27 mars 2019, n° 1803738)

Le Tribunal administratif de Grenoble est allé dans le même sens.

L’impossibilité pour un maire d’empiéter sur la compétence exclusive de l’Etat en matière d’expulsion

En conditionnant les expulsions à la justification d'un relogement, le maire de Grenoble a agi dans un domaine où il n'est pas juridiquement compétent, le concours de la force publique pour l'exécution des jugements.

En effet, si l'occupant d'un logement qui a été expulsé par une décision de justice ne libère pas spontanément les lieux, le propriétaire peut demander à la force publique de lui prêter main-forte.

Or, cette prérogative est réservée à l’Etat seul (article L. 153-1 du code des procédures civiles d’exécution).

Cette exclusivité a été expressément mis en évidence par les juridictions administratives lyonnaises (cf. pour un exemple récent, TA Lyon, 27 mars 2019, Commune de Vénissieux, n° 1803738) et a été reprise en l'espèce par le juge grenoblois.

L’absence de possibilité d’intervention du maire au titre du pouvoir de police administrative du maire ou de la sauvegarde de la dignité humaine

Le maire de Grenoble, comme d'autres maires avant lui, s'est prévalu de son pouvoir de police administrative.

On rappellera que le pouvoir de police municipale a pour objet la prévention des troubles à l’ordre public, et que l’ordre public inclut la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques, mais également la dignité humaine (CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, n° 136727).

La dignité humaine constitue à la fois une composante de l'ordre public (CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, n° 136727), mais également un principe autonome, à valeur constitutionnelle (Décision Bioéthique du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994).

Or, d'une part, les juridictions n'ont pas été séduites par l'argument puisqu’elles ont constamment annulé les arrêtés, en jugeant que le pouvoir de police ne permettait pas de faire obstacle à l’exécution d’une décision de justice (cf. décisions précitées).ou d'empiéter sur l’exclusivité de la compétence attribuée au Préfet en matière d’expulsion locative.

Il en est allé de même quand la dignité humaine a été mise en avant (cf. CAA Versailles, 31 mai 2007, Commune de Bagneux, n° 06VE02251, CAA Versailles, 16 décembre  2011, Commune de Saint-Ouen, n° 11VE00432, TA Lyon, 27 mars 2019, Commune de Vénissieux, n° 1803738

Le Tribunal administratif de Grenoble a adopté la même position.

Il a ainsi suspendu les effets de l'arrêté. Il se prononcera sur l'annulation de l'arrêté dans quelques mois, mais au vu de l'état de la jurisprudence, l'issue ne fait aucun doute.