Dans une décision du  Tribunal Administratif de Melun du 14 mars 2019, le Tribunal condamne une commune ayant recouru abusivement à l’emploi en CDD d’une cantinière pendant plus de 8 ans.

La décision du Tribunal Administratif accorde à la requérante une somme de plus de 7 000,00 € d’indemnisation pour recours abusif aux CDD.

Le Tribunal suit pour cela la jurisprudence du Conseil d’Etat développée dans un précédent article que je reproduis ici.

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EN BREF

Par sa décision du 20 mars 2017, n°392792, le Conseil d’Etat confirme la compatibilité entre le droit de l’Union Européenne et les dispositions de la fonction publique territoriale prévoyant les recours à des agents non titulaires (CDD) pour le remplacement de fonctionnaire absents, alors que celles-ci ne prévoient pas de durée maximale du ou des CDD.

Le Conseil d’Etat juge légale la décision de non renouvellement du CDD de l’agent non titulaire exerçant au sein de la commune depuis plus de 10 ans en remplacement de fonctionnaires absents. Il refuse en conséquence la réintégration à son poste de l’agent.

Cependant, la haute juridiction rappelle que la voie du recours indemnitaire est ouverte aux agents non titulaires ayant subi un préjudice du fait du recours abusifs aux CDD. Les critères qu’il prend en compte pour définir le  caractère abusif du recours aux CDD sont les suivants : - fonction exercées, nombre et durée des CDD, et le type d’organisme employeur.

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Dans une décision du Conseil d’Etat du 20 mars 2017, ce dernier se prononce pour la compatibilité entre le droit de l’Union Européenne et les dispositions de l’article 3-1 de la loi de 1984 prévoyant la possibilité de recourir à des CDD pour remplacer des agents titulaire absents dans la fonction publique territoriale.

C’est méconnu, mais le droit européen peut être parfois utile en matière de fonction publique territoriale.

Et pour cause, concernant le recours aux CDD la directive européenne 1999/70/CE sur le travail à durée déterminée pose le principe d'un recrutement pour une durée indéterminée et limite le recours aux CDD.

L’article 2 de la directive impose aux Etats une obligation de résultat quant à l’atteinte de l’objectif de la directive (l’absence de recours abusif au CDD) :

« les Etats membres devant prendre toute disposition nécessaire leur permettant d'être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par la présente directive. »

L’Etat et les collectivités sont concernés par cette directive, car si le recours aux CDD est particulièrement encadré en droit privé, c’est loin d’être le cas dans la fonction publique.

Combien d’agent d’entretien, d’agent de cantine, de secrétaire, d’animateur et autres corps de métiers, se sont ils vu renouveler leur CDD pendant 5, 6 7, 15 ans au motif laconique d’un « remplacement d’un agent titulaire » ?

Et pour cause, alors que le Code du travail ne permet un renouvellement du CDD quelle qu’en soit la cause (remplacement, accroissement temporaire d’activité etc), que pour une durée maximale de 18 mois : dans la fonction publique territoriale une telle durée n’est pas fixée quant il s’agit d’un CDD pour remplacement.

En effet, l’article 3-1 de la loi n°84-53 du 26 Janvier 1984 qui prévoit la possibilité du recours à un agent en CDD pour le remplaçant d’un agent titulaire ne prévoit pas de durée maximale du ou des contrats.

C’est ainsi que des agents non titulaires multiplient les CDD pendant des périodes parfois très longues au sein de la fonction publique, ce qui serait parfaitement inconcevable dans le privé (ou à tout le moins parfaitement illégal et sévèrement sanctionné).

C’est le cas de Madame B. agent au sein de la Commune de Neuilly sur Seine en qualité de rédacteur non titulaire de Janvier 1999 à décembre 2010 : soit pendant plus de 10 ans.

En 2010, la commune ne renouvelle pas le dernier CDD de Madame B. Cette dernière attaque la décision de non renouvellement du CDD et demande en conséquence sa réintégration à son poste.

Devant le Conseil d’Etat se pose donc la question de la compatibilité entre l’article 3-1 de la loi n°84-53 du 26 Janvier 1984 qui ne fixe aucune durée maximale du recours successif au CDD et la directive européenne qui fixe un objectif de recours non abusif au CDD.

Le Conseil d’Etat refuse de transmettre la question à la CJUE en jugeant que les dispositions relatives aux CDD pour le remplacement d’un agent titulaire prévu par la loi française sont compatibles avec la directive européenne.

Pourquoi ? Car la loi pose une « raison objective » de recourir aux CDD, à savoir le remplacement d’un agent titulaire absent conformément à ce qu’impose la directive.

Bref, le Conseil d’Etat ferme la porte à tout espoir de réintégration des agents non titulaire en CDD pour remplacement sur le motif de l’illégalité de la décision de non renouvellement du dernier CDD (sauf dispositions légales expresses prévoyant la titularisation).

Cependant, au passage, le Conseil d’Etat nous rappelle que l’agent non titulaire, bien qu’il ne puisse pas demander sa réintégration, peut toujours obtenir une indemnisation du préjudice subi du fait du recours abusif aux CDD (CE, 20 mars 2015, n°371664).

Le caractère abusif du recours aux CDD étant apprécié au cas par cas par les juridictions selon les critères suivants :

  • les fonctions exercées ;
  • le type d’organisme employeur ;
  • le nombre et la durée des contrats ;

Pour conclure, la voie du recours pour excès de pouvoir contre la décision de renouvellement du dernier CDD avec une demande de réintégration semble bien fermée (en dehors des cas fixés expressément par la loi). La solution juridique est opportunément cohérente avec les politiques actuelles de réduction du nombre de fonctionnaire…

Mieux vaut indemniser que titulariser !                                              

La voie du recours indemnitaire, reste, elle, à explorer, juridiction par juridiction selon les critères posés par le Conseil d’Etat.

Il faudra également se battre sur le montant de l’indemnisation : dans l’arrêt de renvoi de la Cour Administrative d’Appel de Lyon après cassation, statuant sur le recours indemnitaire d’un agent non titulaire de la fonction publique hospitalière pendant huit ans, la Cour lui octroie … 6 500, 00 € d’indemnisation.