Décision commentée : Conseil des Prud’hommes de Melun, 16 décembre 2020, n°20/00023

La présente décision vient illustrer un des axes de défense pour obtenir gain de cause dans le cas particulier du licenciement d’un salarié incarcéré.

La jurisprudence s’est plusieurs fois prononcée pour encadrer les possibilités de licenciement par l’employeur d’un salarié absent en raison de son incarcération.

Et pour cause, le salarié est absent malgré lui et, souvent, les faits qui ont mené à sa condamnation sont sans lien avec son travail. Cela relève donc de sa vie privée.

De plus, le fait que le salarié ne perde pas son emploi malgré son incarcération sera un gage pour obtenir une liberté conditionnelle. Il est donc très important pour lui de pouvoir conserver son emploi.

Ainsi, la jurisprudence a distingué l’incarcération en fonction de ce que le salarié est en détention provisoire (1) ou du fait d’une incarcération portant exécution d’une peine pénale (2).

Le conseil des prud’hommes propose, dans la décision commentée, une troisième voie en annulant le licenciement du salarié incarcéré en raison de l’atteinte portée au respect du droit à la vie privée (3).

 

1.Le licenciement du salarié en détention provisoire

En détention provisoire, le contrat de travail est considéré comme suspendu.

L’employeur ne peut pas rompre le contrat en raison de l’absence du salarié cette dernière étant justifiée par une décision de justice et le salarié étant présumé innocent.

Le salarié ne peut donc pas être licencié pour abandon de poste.

Cependant, la jurisprudence permet à l’employeur de licencier le salarié en détention provisoire si l’absence du salarié a entrainé une désorganisation du fonctionnement de l’entreprise (Pour une application ou l’employeur n’a pas démontré la désorganisation du fonctionnement de l’entreprise : CCass, 16 septembre 2009, n°08-42816, Pour une application ou l’employeur avait justifié de la désorganisation : CCass, 20 Mai 2015, n°14-19270).

 

2. Le licenciement du salarié incarcéré en exécution d’une peine d’emprisonnement

Dans ce cas, le salarié n’est plus considéré comme présumé innocent puisqu’il a été condamné.

Dès lors, le salarié peut être licencié en raison de son absence prolongée si l’employeur démontre le trouble dans le fonctionnement normal de l’entreprise et /ou en raison de l’atteinte portée à l’image de l’entreprise du fait de son incarcération ou des motifs ayant menés à son incarcération.

Encore faut-il que l’employeur démontre la réalité de ces motifs, à défaut, le licenciement est considéré comme étant sans cause réelle ni sérieuse (Cour de Cassation, 22 septembre 2015, n°14-15293).

 

3.La nullité du licenciement du salarié incarcéré en raison de l’atteinte portée à sa vie privée

Dans la décision jointe, le conseil des prud’hommes de Melun va plus loin en annulant pour atteinte au droit fondamental à la vie privée le licenciement d’un salarié incarcéré en exécution d’une peine d’emprisonnement.

Le cas d’espèce était le suivant, le salarié est incarcéré en raison d’une peine définitive : il en informe son employeur. Son employeur suspend le contrat de travail. Lorsqu’en fin de peine, le salarié écrit de nouveau à son employeur en lui indiquant sa date approximative de sortie de prison, ce dernier prononce son licenciement pour deux motifs :

  1. Pour désorganisation du service du fait de son absence prolongée ;
  2. Du fait de l’atteinte portée à l’image de l’entreprise en raison des faits ayant menés à l’incarcération ;

Précisons que les faits ayant menés à l’incarcération n’avaient fait l’objet d’aucune publicité et avait été indiqués par le salarié à la demande de l’employeur qui insistait pour les connaître.

L’employeur indiquait ensuite que les autres salariés, et les membres du conseil d’administration, informés par lui-même des faits ayant menés à la condamnation, ne souhaitaient plus travailler avec le salarié en cause.

Nous soulevions en conséquence, la nullité du licenciement en raison d’une atteinte au droit à la vie privée.

En effet, c’est l’employeur lui-même qui avait divulgué un fait de la vie privée du salarié - les motifs de son incarcération - aux autres salariés ainsi qu’aux membres du conseil d’administration.

Il entendait ensuite se prévaloir de leur réaction (négative) à la découverte de ce fait relevant de la vie privée du salarié pour licencier le salarié.

Rappelons que le Code du Travail sanctionne de nullité le licenciement prononcé en raison d’une atteinte aux droits fondamentaux du salarié (L. 1235-3-1 Code du Travail).

Le droit fondamental à la vie privée est protégé par la CEDH et le Code Civil (Article 9 du Code Civil).

Or, il existe peu, sinon pas, d’exemple jurisprudentiel de sanction de nullité de licenciement pour atteinte au droit à la vie privée et familiale.

Pour autant, par une décision audacieuse, le conseil des prud’hommes de Melun annulera le licenciement prononcé en raison de l’atteinte à la vie privée du salarié.

Le prononcé de cette nullité est très favorable au salarié dans le cas d’espèce, permettant d’écarter l’indemnisation pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse prévu au barème MACRON, pour obtenir une indemnisation minimale de 6 mois de salaire en cas de nullité du licenciement.