Si vous avez aimé la fraude au statut de freelance, vous adorerez la fraude au portage salarial !
La « start-up nation » n’a pas fini de nous surprendre par son ingéniosité à tenter de contourner à tout prix le statut de salarié et les droits afférents.
Par une décision en date du 30 Juin 2022 du Conseil des Prud’hommes de Paris obtenu par le cabinet, ce dernier est venu rappeler à bon droit que le Code du Travail ne pouvait pas être écarté aussi facilement (Décision jointe, décision non définitive appel en cours).
1. Le subterfuge
Le cas d’espèce était le suivant : la « start-up » postait des annonces de recrutement en CDI pour des postes de commerciaux. Précisons que ces postes sont des postes essentiels et constituent le cœur même du business de l’entreprise. Une fois la personne attirée par un salaire alléchant malgré une promesse d’embauche signée, la « start-up » prétextait soudainement de sa situation d’entreprise naissante pour indiquer que, dans un premier temps, le salarié serait en contrat de portage salarial.
Ce statut étant assez méconnu par les salariés : après une brève explication lui indiquant qu’il toucherait un salaire et aurait des fiches de paye comme dans le cadre d’un emploi normal : le salarié signe le tas de papier qu’on lui présente (convention de portage salarial, contrat de travail avec l’entreprise de portage, contrat de mission avec l’entreprise utilisatrice) et commence à toucher son salaire.
L’ensemble des postes de la « start-up » sont ainsi occupés par des salariés portés par une autre entreprise. La « start-up » qui fonctionne pourtant à plein régime n’a aucun salarié déclaré.
Officiellement, elle ne compte qu’un stagiaire…
2. Le système du portage salarial
Le système du portage salarial consiste à ce que la somme facturée par la personne qui travaille ne lui soit pas directement reversée mais passe par une entreprise de portage salarial qui -moyennement une commission préalablement définie - lui reverse cette somme sous forme de salaire.
Cela permet au salarié porté de bénéficier des avantages sociaux du statut de salarié dont il ne bénéficierait pas en qualité de freelance.
Le portage salarial est en soit légal et encadré par la convention collective de branche des salariés en portage salarial du 22 mars 2017.
Dans le cadre d’un usage non frauduleux du portage salarial : la personne freelance a plusieurs entreprises clientes et travaille sur des missions brèves et précises sur des compétences non mobilisables en interne de l’entreprise. Si elle touche 1000,00 € de l’entreprise X sur une mission, 1000,00 € de l’entreprise Y et 1000,00 € de l’entreprise Z, son entreprise de portage salarial A récupère cet argent et lui reverse - après paiement des cotisations sociales - environ 1 500,00 € nets.
3. La fraude au portage salarial
Cependant, tout comme le statut de freelance, l’emploi occupé ne doit pas être un emploi permanent de l’entreprise et la personne ne doit pas être subordonnée à l’entreprise utilisatrice par un lien de subordination.
Dans notre cas d’espèce, il s’agissait manifestement d’une fraude au portage salarial dans la mesure où tous les salariés de l’entreprise étaient en situation de portage salarial alors qu’ils occupaient des postes permanents de l’entreprise, travaillaient exclusivement pour elle, avec son matériel, dans des locaux dédiés et soumis à un lien de subordination avec le gérant.
Le lien de subordination avec le gérant est notamment caractérisé par le nombre de jour défini de travail du salarié pour la « start-up », le contrôle des heures de travail et de sa qualité, le travail en équipe des salariés.
4. L’objectif : le contournement des règles du code du travail relatives au licenciement
En l’occurrence, le salarié ne se rend quasiment compte de rien tant que la relation de travail se passe bien. La « start-up » ayant levé auprès d’investisseurs beaucoup d’argent : elle sait se montrer généreuse.
Mais, lorsqu’une dispute éclate entre le salarié et le gérant et que ce dernier voit sa « mission » s’achever du jour au lendemain après plusieurs années de travail : le salarié comprend enfin l’intérêt de la « start-up » de l’avoir embauché sous le statut de salarié porté.
En effet, l’ensemble des droits protégeant le salarié d’un licenciement arbitraire ne sont pas applicables aux salariés portés.
Le salarié porté se retrouve sans emploi du jour au lendemain sans que la « start-up » n’ait à verser un sou ni à justifier sa décision par un motif légal encadrant le licenciement : le droit du travail français balayé par une combine astucieuse.
5. Le droit rétabli
Dans le cas d'espèce, le Conseil des prud’hommes n’a pas été dupe et a établi que le salarié était bien un salarié de la « start-up » et que cette dernière devait donc être condamnée à payer au salarié les indemnités pour rupture abusive de son contrat de travail ainsi que des indemnités pour travail dissimulé.
L’argument principal de la société consistant à dire que la « start-up » était à la recherche d’un « modèle économique » n’a pas fait mouche. Et heureusement pour les salariés français qui ne souhaitent pas que le « modèle économique » de nos chères « start-up » soit construit sur le dos de leurs droits.
La « start-up » a annoncé qu’elle arrêtait d’exploiter son idée révolutionnaire le jour où le conseil des prud’hommes a prononcé sa décision.
Et si on innovait en respectant les droits des salariés ?
Décision commentée : Conseil des Prud’hommes de Paris, 30 Juin 2022, n°21/01708, décision non définitive appel en cours
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