COMMENTAIRE SUR LA DECISION DE SANCTION AMF  / LBP DU 21 JUIN 2016  

 

Public concerné 

Investisseurs – banques – prestataires de services d’investissements (« PSI »)

 

Conséquence pour les investisseurs sur les fonds Progressio

Les investisseurs qui auraient perdu le bénéfice de la garantie en capital à l’occasion d’une cession sur les fonds Progressio, sans en avoir été avisé par la banque, pourraient s’appuyer sur cette sanction AMF pour formuler une réclamation auprès de leur établissement bancaire.

 

Lien vers la décision AMF

http://www.amf-france.org/technique/multimedia?docId=workspace://SpacesStore/8b25cc26-98e6-4a29-8778-0427bda31684_fr_1.0_rendition

 

Présentation de la décision

La décision de sanction AMF du 21 juin 2016 prononcée à l’encontre de la Banque Postale (ci-après « LBP ») est fondée sur un manquement de LBP à ses obligations professionnelles à l’occasion des cessions[1] effectuées par ses clients sur des titres financiers, à savoir des parts des fonds communs de placement Progressio et Progressio 2006 (ci-après « FCP »).

Ces FCP avaient été commercialisés par la banque en 2005/2006 et arrivaient à échéance en 2014/2015, avec une garantie de LBP sur le capital net investi.

Fin 2011, l’AMF avait attiré l'attention de LBP sur l'évolution très défavorable de la valeur liquidative des FCP (-15% à -30%) et sur la problématique commerciale qui en découlait, les porteurs étant exposés à une perte certaine en cas de rachat par anticipation alors que les fonds étaient garantis en capital à l’échéance.

En réponse, LBP avait mis en place une procédure interne imposant à ses conseillers une information spécifique[2] lorsqu’un client envisageait le rachat anticipé de ses parts.

Après un contrôle effectué par l’AMF sur la gestion des demandes de rachat de parts de FCP et un échange avec LBP, l’AMF lui a adressé une notification de grief sur les trois points suivants :

  1. l’insuffisance des informations communiquées lors d'une demande de cession de parts 
  2. le caractère inapproprié du conseil délivré par LBP de céder les parts de ces FCP avant la date d'activation de la garantie
  3. un manquement à l’obligation de conservation des enregistrements permettant de retracer les services d'investissement fournis aux clients

L’AMF a considéré qu’un manquement de LBP était caractérisé sur chacun de ces points et a prononcé une sanction de 1,5 M d’euros.

Cette décision est riche d’enseignements sur l’interprétation de la règlementation faite par l’AMF et sur les écueils à éviter pour les banques à l’occasion de cessions de parts de FCP : revenons sur le premier grief du défaut d’information lors des cessions de parts.

 

Commentaires de la decision

Préalablement à l’acquisition des parts de FCP, la banque (ou PSI) doit remettre au souscripteur un document d’information clé pour l’investisseur (le « DICI », qui a remplacé le « prospectus simplifié »). Ce document d’information normalisé est réputé contenir les informations requises du PSI en termes d’information du client notamment sur la garantie si elle existe et sur les risques de l’instrument financier considéré.

En l’espèce, la banque considérait :

  1. que les porteurs, dans la mesure où ils avaient reçu l’information règlementaire requise lors de l’acquisition d’origine, étaient informés du risque de perte en capital dès lors qu’ils cédaient leurs parts avant l’échéance prévue ; et
  2. que le service fournit était un service de réception transmission d’ordre non soumis à l’article L533-12 II du Code monétaire et financier posant une obligation générale d’information des clients.

L’AMF rejette ces deux arguments en considérant que la banque avait lors de la demande de rachat fourni un service d’investissement distinct de celui offert lors de la commercialisation du fonds et était donc tenue d’une obligation d’information permettant au client de comprendre les risques et donc de prendre une décision d’investissement en connaissance de cause ; l’article L533-12 II susvisé s’appliquant indistinctement de la qualification du service d’investissement fournit.

L’AMF considère donc le rachat des parts, à savoir une opération de désinvestissement, comme une « décision d’investissement » à part entière.

En synthèse, le fait que le client ait reçu lors de la souscription initiale toutes les informations requises sur le fonctionnement du produit, les modalités de la garantie et la perte de celle-ci en cas de cession avant échéance n’est plus suffisant lors de la cession.

En pratique, le régulateur retient en l’espèce trois éléments pour considérer qu’une information était nécessaire préalablement aux rachats :

  • le public visé par ces FCP était des personnes physiques non spécialistes en matière d’investissement ;
  • plus de 5 ans s’étaient écoulés depuis l’acquisition initiale et la délivrance de l’information règlementaire sur ces FCP ;
  • au moment des demandes de rachat, le risque de perte en capital était matérialisé.

On peut comprendre la sanction dans le cas d’espèce : LBP, distributeur du produit et garant, averti par l’AMF face à une situation exceptionnelle de chute des marchés, n’a pas respecté la procédure interne qu’elle s’était engagée à mettre en place pour sensibiliser les clients sur la perte de garantie en cas de cession avant échéance. Or, ces cessions réalisées avant l’échéance diminuaient d’autant la facture pour… le garant LBP[3] : on voit donc pointer la notion de conflit d’intérêt et de comportement déloyal de la banque derrière la sanction AMF.

En revanche, sur le principe, la logique adoptée par le régulateur peut inquiéter les professionnels : en fonction de circonstances d’espèces mais indifféremment du service fournit, l’AMF considère la banque comme redevable d’une obligation d’information particulière à l’égard du client qui souhaite céder ses parts. Information particulière car elle est liée à la situation du client (quand les parts ont été souscrites ?) mais aussi à la situation du produit (est-ce qu’un risque visé dans le DICI s’est réalisé ?).

On devine les difficultés que cette interprétation pourrait poser en pratique puisque cela reviendrait à imposer à la banque de réaliser une analyse précise de ces deux situations avant chaque cession et ce tout au long de la vie d'un produit, tout au moins lorsque le client est non professionnel.

Si cette analyse pourrait être envisageable dans une situation de conseil en investissement dans lequel la situation du client et ses objectifs sont étudiés, on voit mal comment dans une simple situation de récepteur-transmetteur d’ordres, la banque serait en capacité de faire une analyse et une appréciation au jour le jour sur l’ensemble des risques visés dans le DICI, afin d’ajuster l’information qu’elle devrait délivrer aux cédants potentiels….

On rappelle en effet qu’il existe plusieurs milliers d'organismes de placement collectif différents et que la banque qui reçoit l’ordre de rachat n’est pas nécessairement celle qui a commercialisé le produit.

En pratique, la seule mesure relativement simple qui pourrait être mise en œuvre par les banques suite à cette décision, si elle n’est pas déjà mise en œuvre, serait de remettre aux clients le DICI de manière systématique avant toute cession, et surtout de prévoir une mention attestant de cette remise dans ses documents ou sites internet de prise d’ordre.

 

A titre informatif concernant les deux autres manquements relevés par l’AMF :

  • le premier concerne le caractère inapproprié du conseil délivré par LBP à certains clients de céder leurs parts de ces FCP avant la date d'activation de la garantie. On a un peu de mal en effet à comprendre comment céder un produit en moins-value et perdre le bénéfice d’une garantie en capital serait pertinent. Au-delà, cela illustre probablement une mauvaise qualification par LBP du service d’investissement offert à ses clients, et l’inadéquation de ses documents de prise d’ordres qui suggéraient visiblement que la banque fournissait un conseil en investissement, avec donc des obligations renforcées par rapport au service de réception-transmission d’ordres.
  • le second concerne une lacune de LBP sur l’enregistrement du service fournit au client, aggravé probablement par le problème de qualification du service susvisé.

 


[1] Pour les organismes de placement collectifs (ou « OPC »), en l’absence de cotation sur le marché, la cession des parts  ou actions par l’investisseur se fait auprès de l’OPC lui-même, avec annulation des titres financiers correspondants : on parle alors de « rachat ».

[2] La procédure interne de LBP prévoyait notamment que le conseiller devait aviser le client sur les points suivant :

  • le mettre en garde sur la perte de la garantie ;
  • l’inciter à conserver ses parts jusqu'à l'échéance ;
  • trouver dans la mesure du possible une solution alternative lui permettant de renoncer à sa demande de rachat ;
  • lui communiquer le niveau de la baisse de valorisation prévisible, déterminée sur la base de la dernière valeur liquidative connue rapportée à la valeur liquidative garantie ;
  • et lui indiquer que le rachat serait soumis au prélèvement d'une commission de rachat.

 

[3] D’après un article du Figaro du 8 juin 2016, la garantie en capital donnée par LBP lui a coûté 110 millions d’euros.