Introduction
Le nantissement de compte-titres consiste, pour le titulaire d’un compte-titres (le « constituant ») ouvert auprès de l’émetteur des titres ou d’un établissement bancaire, à accorder à cet établissement ou à un tiers (le « créancier »), un droit de rétention et le cas échéant de réalisation sur les titres inscrits en compte, en garantie d’un engagement pris par le constituant ou par un tiers.
Cette garantie régit par l’article L211-20 du Code monétaire et financier est très largement utilisée pour sécuriser les opérations de financement, de « leveraged buy out » ou même celles réalisées par des particuliers.
Son succès vient de sa souplesse et de sa simplicité d’utilisation : la constitution de la garantie est matérialisée par la simple signature sous seing privé par le constituant d’une « déclaration de nantissement de compte de titres financier » [1] et la réalisation de la garantie est effectuée à la seule initiative du créancier, après mise en demeure et dès lors qu’il considère avoir une créance certaine, liquide et exigible.
Simplicité « apparente » du nantissement de compte-titres en effet car l’articulation du texte avec la pratique a illustré certaines difficultés d’interprétations et pièges qu’il convient de signaler ici.
Le premier volet de cette série d’articles consacrée au nantissement porte sur la distinction entre le nantissement du compte-titres et des titres financiers, c’est-à-dire sur la détermination de l’assiette initiale de la garantie.
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1) Nantissement de compte-titres par principe…
…et nantissement des titres financiers identifiés informatiquement à défaut d’un compte spécial
Eternel débat sur le nantissement : porte-t-il sur des titres financiers ou sur le compte-titres en lui-même?
Depuis l’ordonnance 2000-1223 du 16 décembre 2000, la terminologie employée par l’article L211-20 du Code monétaire et financier illustre à priori indiscutablement que la garantie porte sur le compte-titres, c’est-à-dire sur l’intégralité du compte :
« I. - Le nantissement d'un compte-titres est réalisé […]
II. ― Le compte nanti prend la forme d'un compte spécial ouvert au nom du titulaire […] »
Il faut toutefois rappeler que le II de cet article L211-20 du Code monétaire et financier dispose qu’à défaut d’un compte spécial dédié au nantissement, « sont réputés constituer le compte nanti » les titres financiers ainsi que les sommes ayant fait l'objet d'une identification à cet effet par un procédé informatique [2].
En d’autres termes, certains titres voir des espèces identifiés au sein du compte-titres constituent virtuellement et pour les besoins du droit le « compte nanti » objet de la garantie.
Ce procédé permet donc à un titulaire qui souhaite consentir un nantissement d’éviter l’ouverture d’un nouveau compte et les formalités correspondantes [3] : au sein d’un même compte-titres, il peut acquérir, détenir et céder des titres libres de toute restriction mais également détenir des titres nantis affectés en garantie au profit du créancier.
Il faut donc en conclure que si par principe le nantissement porte sur le compte-titres lui-même, il peut à défaut d’un compte dédié porter sur certains titres financiers identifiés, lesquels sont réputés constituer le « compte nanti ».
2) Deux modalités de nantissement différentes…
…mais des mentions obligatoires identiques !
Cette apparente souplesse offerte par la règlementation est en réalité source de confusion et il convient d’attirer l’attention des praticiens, constituants, créanciers et teneur de compte lors de la constitution du nantissement.
En effet, les 5° et 6° de l’article D211-10 du Code monétaire et financier précisent, au titre des mentions obligatoires que doit contenir la déclaration de nantissement :
« 5° Les éléments d'identification [4] du compte spécial prévu au II de l'article L. 211-20 lorsqu'un tel compte existe ; »
Assez logiquement, lorsqu’un compte est spécialement dédié au nantissement, il est nécessaire de faire figurer sur la déclaration la référence de ce compte-titres nanti.
Pourtant, lorsqu’il n’y a pas de compte-spécial mais simplement une identification informatique des titres à nantir, ces derniers sont bien inscrits sur un compte-titres et on rappelle qu’aux termes de l’article L211-4 du Code monétaire et financier, c’est cette inscription en compte qui matérialise la propriété du titulaire sur les titres. Par ailleurs, on voit mal comment en pratique un teneur de compte pourrait enregistrer le nantissement dans son système informatique en l’absence de cette information.
Quelle que soit la modalité de nantissement, il apparait donc indispensable de reporter dans la déclaration de nantissement les références du compte-titres.
« 6° La nature et le nombre des titres financiers inscrits initialement au compte nanti. »
Le 6° susvisé requiert ensuite de reporter dans la déclaration la nature et le nombre des titres financiers inscrits initialement au compte nanti. Cette obligation existe visiblement dans tous les cas, c’est-à-dire logiquement lorsque seuls certains titres font l’objet d’un nantissement par un procédé informatique mais aussi lorsque c’est le compte-titres dans son ensemble qui constitue le compte nanti.
En pratique donc, la liste des titres financiers figurant sur une déclaration de nantissement ne limite pas l’assiette du nantissement à ces seuls titres financiers : il s’agit simplement d’une mention obligatoire de la déclaration !
Cela peut à priori sembler pertinent de faire dans tous les cas une photographie de l’assiette initiale du nantissement lors de la constitution de la garante mais lorsque l’on rappelle que la déclaration est signée du seul constituant, on peut s’interroger sur la portée et valeur réelle de cette énumération obligatoire : seule l’attestation de nantissement remise par le teneur de compte [5] justifie effectivement de l’inventaire des titres et sommes qui constituent l’assiette du nantissement.
En conclusion, que le nantissement porte sur l’intégralité du compte-titres ou seulement sur certains titres identifiés informatiquement, la déclaration devra comporter dans les deux cas les références du compte-titres et la liste des titres financiers inscrits initialement au compte nanti, ce qui entraine les conséquences exposées ci-après.
3) Conséquences pratiques : une distinction difficile et des risques pour les intervenants
Ces mentions de la déclaration, conjuguées à l’absence de mention obligatoire spécifique lorsque le nantissement porte uniquement sur certains titres identifiés, peuvent en pratique rendre très difficile la distinction entre les deux modalités de nantissement, et génèrent donc un risque important.
Lors de la rédaction ou lecture d’une déclaration de nantissement comportant un numéro de compte et une liste de titres, un praticien pourrait de bonne foi considérer l’acte comme limitant la garantie aux seuls titres listés, et donc tromper le constituant ou créancier sur la portée réelle de son engagement, ou tromper le teneur de compte sur l’étendue de la restriction à paramétrer dans son système informatique : ce dernier verrait sa responsabilité engagée vis-à-vis du créancier s’il a à tort limité la rétention aux seuls titres visés dans la déclaration de nantissement, et laissé le constituant vendre d’autres titres inscrit sur le compte.
En conclusion, on préconisera aux rédacteurs d’indiquer expressément dans la déclaration lorsque le nantissement est limité à certains titres, et on invitera les autres intervenants à la plus grande vigilance lors de la lecture et l’analyse de la garantie, afin que l’assiette du nantissement soit parfaitement claire et comprise de tous.
4) Proposition d’évolution du texte en vue de faciliter la distinction
A plus long terme et dans la mesure où le législateur a admis que deux modalités de nantissement étaient possibles et pouvaient cohabiter, il serait pertinent d’aller au terme de cette logique en les distinguant clairement, mettant ainsi un terme à cette confusion et au risque correspondant pour les praticiens.
Pour ce faire, il pourrait suffire par exemple de distinguer les mentions obligatoires de la déclaration lorsque le nantissement porte sur certains titres et sommes identifiées informatiquement. On pourrait proposer à cet égard de compléter le 5° de l’article D211-10 du Code monétaire et financier comme suit :
« 5° Les éléments d'identification du compte spécial prévu au II de l'article L. 211-20 [supprimé] lorsqu'un tel compte existe ; [ajouté] ou, à défaut d’existence d’un compte spécial, les éléments d’identification du compte-titres sur lequel sont inscrits les titres financiers qui sont réputés constituer le compte nanti et la mention « A défaut de compte spécial, le nantissement porte sur les titres financiers et sommes identifiées informatiquement » »
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Version PDF de l'article ci-jointe
[1] Les mentions obligatoires de cette déclaration sont définies par l’article D211-10 du Code monétaire et financier :
« 1° La dénomination " Déclaration de nantissement de compte de titres financiers "
2° La mention que la déclaration est soumise aux dispositions de l'article L. 211-20
3° Le nom ou la dénomination sociale ainsi que l'adresse du constituant et du créancier nanti ou de leur siège social s'il s'agit de personnes morales
4° Le montant de la créance garantie ou, à défaut, les éléments permettant d'assurer l'identification de cette créance
5° Les éléments d'identification du compte spécial prévu au II de l'article L. 211-20 lorsqu'un tel compte existe
6° La nature et le nombre des titres financiers inscrits initialement au compte nanti. »
[2] Nota : procédé usuellement dénommé « topage informatique » au sein des établissements bancaires.
[3] A savoir notamment, la conclusion d’une convention de compte-titres en application de l’article 322-5 du règlement général de l’AMF.
[4] Nota : en pratique, et même si l’identification du compte-titres ne fait pas encore l’objet d’une norme comme l’IBAN pour le compte espèce, il est généralement identifié par les établissements bancaires par une suite de chiffres et caractères.
[5] L211-20 I du Code monétaire et financier :
« […] Le créancier nanti peut obtenir, sur simple demande au teneur de compte, une attestation de nantissement de compte-titres, comportant inventaire des titres financiers et sommes en toute monnaie inscrits en compte nanti à la date de délivrance de cette attestation. »
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