La 3ème chambre civile de la Cour de Cassation a publié sur le site internet de la Cour https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/troisieme_chambre_civile_572/334_18_42111.html et https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/troisieme_chambre_civile_572/291_4_41946.html
deux arrêts rendus au mois d’avril et portant sur la réception tacite des travaux.
On sait que la responsabilité décennale des constructeurs garantie les désordres graves apparus après la réception des travaux et que les maitres de l’ouvrage sont protégés contre les risques d’insolvabilité des constructeurs par l’existence d’un système d’assurance obligatoire couvrant cette responsabilité.
La réception est le point de départ des garanties spéciales du constructeur et la condition de la prise en charge des désordres portant atteintes à la solidité ou à la destination de l’ouvrage par les assurances obligatoires de responsabilité ou de dommages.
Il s’agit donc d’une notion importante que l’article 1792-6 du Code civil définit ainsi :
« La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement »
Cet acte prend le plus souvent la forme d’un procès-verbal de réception signé par le maitre de l’ouvrage et le constructeur. Il s’agit de la réception amiable prévue par le texte.
La jurisprudence a cependant admis que l’article 1792-6 n’exclut pas une réception tacite à condition de pouvoir rapporter la preuve d’une manifestation de la volonté non équivoque du maitre de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage.
Les deux arrêts du mois d’avril permettent de mieux cerner cette notion.
Dans l’arrêt n°334 du 18 avril 2019 (18-13.734), la Cour de Cassation précise dans un attendu de principe que la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maitre de l’ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves.
Les faits de la cause étaient les suivants : Les maitres de l’ouvrage avaient fait installer un chauffage par géothermie dans leur maison d’habitation et avaient intégralement réglé les travaux puis, après expertise, avaient assigné le liquidateur de l’entreprise ainsi que son assureur au titre de la responsabilité décennale en réparation des désordres affectant l’installation. La Cour d’appel avait refusé de reconnaitre la réception tacite en relevant que les maitres de l’ouvrage avaient signalé des dysfonctionnements dès la mise en service du chauffage.
Pour la Cour de Cassation cette motivation ne peut suffire à écarter la présomption de réception tacite dès lors que la réception peut être assortie de réserves.
Cette présomption s’inscrit dans une tendance de la jurisprudence de la Cour de Cassation à reconnaitre de plus en plus facilement la réception tacite.
Il convient de surveiller l’évolution de la jurisprudence de la Cour de Cassation sur deux points :
1° les critères qui permettent de faire présumer la réception tacite :
- Le critère de la prise de possession apparait mal adapté en matière de travaux réalisés sur existants dont le maitre de l’ouvrage n’a jamais perdu la possession ; qu’est-ce que la prise de possession pour un nouveau chauffage ? la mise en service ?
- Le paiement intégral du prix ne devrait plus être une condition quand le contrat prévoit le paiement du solde du marché après la levée des réserves ;
2° les preuves qui vont pouvoir être invoquées pour combattre la présomption de réception tacite.
La réception tacite ne manque pas de susciter d’autres difficultés que les juridictions doivent traiter au cas par cas et notamment la date de la réception qui fait courir les délais de garantie, la détermination des réserves émises en cas de réception tacite avec réserves, la difficulté liée à l’exigence du caractère contradictoire du prononcé de la réception.
Le second arrêt de la Cour de Cassation n°291 du 4 avril 2019 (18-12410) ouvre largement la voie à la définition de la réception tacite par le contrat.
Dans le cas qui a donné lieu à cet arrêt, le contrat d’assurance responsabilité décennale de l’entrepreneur comportait une clause définissant la réception tacite de la manière suivante : « Cet accord tacite se constate lorsque par l’absence de réclamation sur une période significative, le maître de l’ouvrage a clairement signifié qu’il considérait les travaux comme conformes au marché. En aucun cas, la simple prise de possession des lieux ne vaut réception en soi, même si ultérieurement la date de cette prise de possession est considérée comme le point de départ des divers délais ».
La Cour de Cassation approuve la Cour d'Appel qui a décidé que cette clause du contrat d’assurance était opposable au maitre de l’ouvrage et pouvait recevoir application pour définir la réception tacite en cas d’action du maitre de l’ouvrage contre l’entreprise et l’assureur.
Il en résulte pour la Cour que la réception tacite ne peut être considérée comme prononcée dans une hypothèse similaire à celle qui a donné lieu à l’arrêt du 18 avril où le maitre de l’ouvrage a signalé dès la mise en service de son installation de chauffage l’existence de dysfonctionnement.
La décision est surprenante sur le plan de la théorie générale des obligations car elle fait dépendre la définition de la réception, qui demeure un acte unilatéral du maitre de l’ouvrage, de dispositions d’un contrat régularisé entre l’entrepreneur et son assureur. Le maitre de l’ouvrage est un tiers au contrat et n’a sans doute même pas connaissance de l’existence de cette clause.
Il faut peut-être s’attendre à une évolution de la jurisprudence sur ce point.
On peut conseiller aux professionnels qui souhaitent contractualiser la définition de la réception tacite de vérifier la définition donnée par leur assureur.
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