Dans un arrêt récent du 11 janvier 2023 (n°21-23.957), la 1re chambre civile de la Cour de cassation a eu à juger des effets de la prescription extinctive sur les actions entre la caution et le créancier.

Cet arrêt sera l’occasion de revenir sur le mécanisme de la prescription extinctive.

  • La prescription extinctive est définie comme une mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps.

Les faits en litige sont classiques. Une SCI obtient d’une banque deux prêts qui sont garantis par le cautionnement solidaire d’une personne physique. Le défaut de règlement de la SCI donne lieu à un contentieux selon la chronologie suivante :

Le 9 décembre 2009 : la banque met en demeure la caution de régler les sommes dues par le débiteur par une lettre recommandée avec avis de réception revenue non réclamée et une lettre simple.

Le 17 décembre 2010 la procédure de saisie immobilière engagée par la banque contre la SCI donne lieu à un jugement d’adjudication (vente aux enchères).

Le 15 juin 2015, la banque fait délivrer à la caution un commandement de saisie-vente pour obtenir le solde des sommes encore dues par la SCI.

Le 02 décembre 2016, la caution saisit le juge en lui demandant de sanctionner le caractère disproportionné de son engagement et un manquement à l’obligation de mise en garde de l’établissement de crédit. La Banque sollicite, à titre reconventionnel, le paiement des sommes restant dues.

La Cour de cassation a tranché la question de la prescription extinctive de l’action de la caution contre la banque et de l’action en paiement de l’établissement de crédit.

  • Pour juger que l’action de la caution était prescrite, la Cour de cassation a eu à apprécier le point de départ du délai de prescription de son action.

L’article 2224 du code civil prévoit que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

La caution devait agir avant l’expiration d’un délai de 5 ans dont le point de départ est le jour où elle a connu ou aurait dû connaitre le caractère disproportionné de son engagement ou le manquement de la banque à son obligation de mise en garde.

La Cour de cassation avait déjà jugé en 2022 (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 19-24.436) que, pour la caution, ce jour est celui de la mise en demeure de payer les sommes dues par l'emprunteur.

En l’espèce, il s’était écoulé plus de 5 ans entre la mise en demeure de 2009 et l’action engagée par la caution en 2016.

La cour d’appel avait cependant jugé que l’action n’était pas prescrite en retenant que la banque ne pouvait prouver la réception par la caution de la mise en demeure dont l’accusé réception avait été retourné par les services postaux avec la mention « non réclamée ».

La conséquence était que le délai de 5 ans n’avait pas pu commencer à courir en 2009.

La Cour de Cassation infirme cet arrêt et décide, conformément à une décision antérieure rendue en 2021 (1re civile 20.01.2021 ; n°19-20680), dans un cas identique où le destinataire du courrier n’avait pas retiré le pli recommandé, que la réception effective de la mise en demeure n’était pas une condition de sa validité.

La Cour de Cassation considère que la mise en demeure se distingue de la notification contentieuse également envoyée par lettre recommandée dans les cas prévus par le Code de Procédure Civile qui dispose que la réception en personne est alors une condition de validité.

Elle rappelle la définition de la mise en demeure prévue par l’article 1139 du Code Civil (devenu l’article 1344 du Code Civil) comme tout acte portant interpellation suffisante et pouvant résulter d’une simple missive.

Le Cour de Cassation considère que l’envoi de la lettre est suffisant pour répondre aux exigences du texte.

La lettre recommandée n’est donc utilisée que comme preuve de l’envoi et donc de l’existence de la mise en demeure.

Le retour par la poste avec la mention de ce que le destinataire n’avait pas récupéré le pli suffit à apporter cette preuve, surtout lorsque cet envoi a été doublé d’un envoi en lettre simple.

L’action de la caution engagée plus de 5 ans après la mise en demeure est donc prescrite.

  • Pour décider que l’action de la banque n’était pas atteinte par la prescription, la Cour de cassation a eu à apprécier les effets interruptifs de prescription que la loi attache à certains évènements.

Un délai de prescription peut faire l’objet d’interruptions en raison d’évènements qui en arrêtent le cours et font partir un nouveau délai de même durée.

La Cour d’appel avait jugé que l’action de la banque était prescrite depuis 10 décembre 2014, soit 5 ans après l’envoi par la banque de la mise en demeure à la caution, en retenant qu’aucun évènement interruptif de prescription n’était intervenu avant cette date.

La Cour de Cassation casse cette décision en reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir fait application des articles 2241 et 2246 du Code Civil invoqués par la banque.

L’article 2241 prévoit que la demande en justice interrompt la prescription et il résulte de l’article 2246 qu’une demande contre le débiteur principal a le même effet interruptif contre la caution.

La procédure de saisie immobilière engagée par la banque contre la SCI, le débiteur principal, avait pour effet d’interrompre la prescription à l’encontre de la caution.

Il suffit au créancier d’agir en justice contre le débiteur principal pour que l’effet interruptif de son action, qui va durer jusqu’à la fin de l’instance, produise effet contre la caution même si aucune action n’a été engagée à son encontre.

Un nouveau délai de prescription de 5 ans, retenu par la Cour d’Appel, avait couru à compter du jugement d’adjudication du 17 décembre 2010 et n’était pas expiré lors de la signification du commandement de saisie vente du 15 juin 2015.

La Cour de cassation ne pouvait que casser la décision et renvoyer devant une Cour d’Appel invitée à se pencher sur la prescription au regard des causes d’interruptions légales invoquées par le créancier.