La répartition des compétences entre le maire et le conseil municipal en matière de préemption n’est pas toujours, comme dans beaucoup de domaines, facile à déterminer. Le Conseil d’Etat ayant, ces dernières années, clarifié certaines questions, il apparaît utile de faire le point sur cette répartition des compétences.

En effet, en matière de préemption, comme souvent, le principe apparaît simple mais plus difficile à mettre en œuvre en pratique.

Plus précisément, en application des articles L. 2122-22 et L. 2122-23 du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal est en principe compétent pour exercer le droit de préemption qu’il détient au nom de la commune ou celui qui lui a été délégué par une autre autorité.

Mais le conseil municipal peut déléguer ce droit de préemption au maire pour la durée de son mandat. Il peut également mettre fin à tout moment à cette délégation.

Ce principe est simple mais le Conseil d’Etat a apporté différentes précisions sur des hypothèses particulières qui se présentent, en réalité, assez souvent en pratique :

 

Une fois délégué au maire, le droit de préemption lui appartient et le conseil municipal est incompétent pour l’exercer

 

Dans une décision n° 462648 du 1er mars 2023, le Conseil d’Etat a jugé que le conseil municipal, s’il avait délégué au maire sa compétence en matière de préemption ne pouvait pas, par la suite, décider d’exercer ce droit en préemptant un bien.

Cette précision ne coulait pas de source dans la mesure où l’article L. 2122-23 du code général des collectivités territoriales précise bien que le conseil municipal peut mettre fin à la délégation consentie au maire en matière de préemption à tout moment.

De plus c’est le conseil municipal qui est donc, en droit, le détenteur « légitime » du droit de préemption.

Ces raisons avaient d’ailleurs poussé la cour administrative de Douai, dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat, à considérer que même après une délégation, le conseil municipal pouvait se ressaisir de ce droit et exercer lui-même le droit de préemption.

Cependant, elles n’ont pas convaincu le Conseil d’Etat qui a considéré, avec une certaine rigueur, que le conseil municipal ne pouvait pas se ressaisir du droit de préemption, sauf à prendre une nouvelle délibération abrogeant de « manière explicite » la délégation accordée au maire en matière de préemption.

En effet, pour le Conseil d’Etat, l’abrogation de cette délibération doit être explicite et ne peut pas résulter du seul fait que le conseil municipal a décidé de se saisir d’un dossier.

Dès lors, si le conseil municipal décide de préempter un bien sans avoir abrogé expressément la délégation accordée au maire, alors sa délibération est illégale et doit être annulée en cas de recours.

Cette précision est donc d’importance.

Cependant, il faut souligner les limites pratiques de cette solution sur le droit de préemption exercé.

En effet, comme en pratique, après délibération du conseil municipal, c’est ensuite le maire qui exerce le droit de préemption, il n’en demeure pas moins que la décision de préemption demeurera, comme cela a été le cas dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat.

 

La délégation accordée au maire vaut pour l’exercice des droits de préemption confiés postérieurement à la commune

 

Une autre question, assez courante en réalité, se pose lorsque la commune reçoit, au cours du mandat du maire, la délégation d’un droit de préemption par une autre autorité.

En effet, la commune peut recevoir compétence pour exercer le droit de préemption d’autres collectivités comme un EPCI sur le fondement des articles L. 211-2 du code de l’urbanisme ou L. 213-3 du même code.

Si la commune reçoit cette délégation après que le maire se soit vu confier la compétence du conseil municipal en matière de préemption, se pose la question suivante :

La délégation consentie au maire vaut-elle uniquement pour les droits de préemptions que détenait la commune au moment de la délibération de délégation ou également pour les droits de préemption qu’elle pourrait acquérir ultérieurement ?

Par une décision n° 429584 du 28 janvier 2021, le Conseil d’Etat a considéré que le maire avait bien compétence, que le droit de préemption en question ait été confié antérieurement ou postérieurement à la délégation qu’il avait reçue du conseil municipal.

Ainsi, il n’est pas nécessaire la commune (autrement dit le conseil municipal) soit déjà titulaire du droit de préemption confié par une autre autorité pour pouvoir déléguer son « droit » au maire. Dès lors, le conseil municipal n’a pas besoin de prendre de nouvelle délibération pour déléguer au maire le nouveau droit de préemption qu’il a reçu. Cette position a été confirmée depuis lors CE. CHR. 1er mars 2023, n° 462648, mentionnée aux tables).

Néanmoins, il faut souligner une limite à ce principe posé par le Conseil d’Etat.

En effet, dans l’affaire qu’avait à juger la haute juridiction, la délégation accordée au maire par le conseil municipal était assez large puisque le conseil municipal avait confié au maire le droit « d'exercer au nom de la commune les droits de préemption définis par le code de l'urbanisme, que la commune en soit titulaire ou délégataire ».

Le conseil municipal avait donc utilisé une formule générale et n’avait pas fait l’inventaire des droits de préemption qu’il confiait au maire.

S’il l’avait fait, en dressant une liste des droits de préemption qu’il détenait à la date de la délibération, la décision du Conseil d’Etat aurait très probablement été différente puisque, dans cette hypothèse, seuls les droits de préemption expressément confiés au maire auraient relevé de sa compétence.

 

Par conséquent, il ne s’agit pas d’un principe absolu mais d’un principe qui dépend de la rédaction de la délibération de délégation du droit de préemption au maire.