En 2021, la Cour de cassation avait été amenée à se prononcer sur l’application de la garantie légale d’éviction dans le cadre d’une cession de droits sociaux. Elle avait déjà précisé que l’interdiction pour le cédant de se rétablir devait être proportionnée aux intérêts légitimes à protéger et que les juges doivent rechercher concrètement si, au regard de l’activité de la société dont les actions avaient été cédées et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifie encore au moment des faits reprochés (Cass. com. 10-11-2021 no 21-11.975 FB : BRDA 1/22 inf. 1)

La même affaire est revenue devant elle après arrêt de renvoi de la Cour d’appel de PARIS.

La garantie légale d’éviction, prévue par le Code civil (articles 1626 et 1628), impose au cédant de droits sociaux une obligation de non-concurrence implicite, visant à empêcher tout acte qui nuirait à l’exploitation économique de l’activité cédée par l’acquéreur. Cette interdiction doit être appréciée de manière proportionnée et contextualisée, en fonction des caractéristiques du marché concerné et de l’évolution de l’activité.

Dans son arrêt du 6 novembre 2024, la Cour de cassation, saisie de ce même litige portant sur la création, par des cédants de droits sociaux, d’une société concurrente plusieurs années après la cession pour laquelle l’acquéreur invoquait une violation de la garantie d’éviction, reprochant aux cédants de s’être rétablis dans une activité similaire, est conduite à souligner que l’appréciation concrète des faits par les juges du fond, au regard des spécificités du marché concerné, reste déterminante (Cass. com. 6-11-2024 n° 23-11.008 F-D).

Apport de la décision

La Cour de cassation confirme que l’interdiction de concurrence imposée au cédant doit être délimitée dans le temps et dans l’espace, au regard de l’activité concernée et du marché sur lequel elle s’inscrit. Cette délimitation doit être proportionnée et tenir compte :

  • De la rapidité des évolutions technologiques et économiques sur le marché en question (en l’espèce, le secteur des logiciels informatiques, particulièrement innovant et évolutif) ;
  • Du délai écoulé depuis la cession, ici plusieurs années, rendant la non-concurrence difficilement justifiable au-delà d’une certaine durée.

En validant la décision de la cour d’appel, qui avait considéré que le rétablissement des cédants près de cinq ans après la cession ne constituait pas une violation de la garantie d’éviction, la Cour de cassation réaffirme que la liberté d’entreprendre des cédants doit être conciliée avec les intérêts légitimes de l’acquéreur.

Portée de la décision

  1. Clarification des limites temporelles et économiques de la garantie d’éviction :
    • Cette décision illustre une application concrète du principe de proportionnalité. Les juges doivent évaluer, au cas par cas, si la non-concurrence reste justifiée à la lumière des évolutions du marché et de la durée écoulée depuis la cession.
    • Elle consacre la nécessité d’une approche pragmatique, tenant compte de la dynamique des secteurs innovants où les cycles de produits et de services évoluent rapidement.
  2. Équilibre entre protection de l’acquéreur et liberté d’entreprendre :
    • La Cour réaffirme que la protection des intérêts économiques de l’acquéreur ne doit pas entraîner une restriction excessive des droits des cédants.
    • Cette décision rappelle que l’interdiction de concurrence découlant de la garantie d’éviction n’est pas absolue : elle doit s’adapter aux réalités économiques et être strictement proportionnée aux intérêts légitimes en jeu.