I. Introduction
L'hypothermie contrôlée est un traitement d'une grande importance pour la prévention du handicap consécutif à un manque d'oxygène subi lors d’un accouchement chez l'enfant né à terme ou près du terme.
Ce manque d'oxygène peut avoir pour origine une césarienne (ou forceps / ventouse) en retard en raison d'une erreur médicale lors d'un accouchement.
Il peut s'agir donc d'une négligence ou une faute du gynécologue obstétricien ou de la sage-femme de la maternité.
De ce fait, l'hypothermie thérapeutique est devenue un sujet juridique important pour les avocats et les familles des victimes d'une paralysie cérébrale (infirmité motrice cérébrale).
II. Comment ça fonctionne ?
Il faut bien comprendre que le traitement par hypothermie est efficace en raison du caractère biphasique de l'atteinte cérébrale après un manque d'oxygène lors de l'accouchement et la naissance.
En effet, ce traitement doit son efficacité au fait que le dommage cérébral survient en deux temps : d'une part, une atteinte initiale subie pendant l'événement obstétrical anoxique et, d'autre part, une atteinte retardée qui se produit 6 à 24 heures après la réoxygénation du nouveau-né obtenue lors de la réanimation.
Concrètement, en cas d'un manque profond d'oxygène (anoxie/hypoxie) et d'un bas débit sanguin (ischémie) consécutif à un événement obstétrical sentinel survenu lors du travail d'accouchement, le fœtus peut développer une acidose métabolique dangereuse. Lorsque cette anoxie est intermittente (car associée aux contractions utérines), des ralentissements du rythme cardiaque fœtal apparaissent typiquement et deviendront de plus en plus profonds en cas d'aggravation de l'anoxie. Si ces ralentissements continuent pendant une période suffisamment longue, il peut y avoir une décompensation du fœtus avec évolution des ralentissements vers une bradycardie se prolongeant jusqu'à la naissance. Parfois l'événement sentinel est brutal et l'anoxie est sans interruption (elle n'est pas associée aux contractions utérines) de sorte que la bradycardie se manifeste d'emblée pour continuer jusqu'à la naissance. Dans les deux cas, l'acidose métabolique s'aggrave jusqu'à ce que la réanimation cardio-respiratoire du nouveau-né puisse ramener sa fréquence cardiaque au-dessus de 100 battements par minute à la suite de quoi la première vague de destruction cellulaire du cerveau s'arrêtera.
L'événement sentinel à l'origine de l'anoxie peut être, par exemple, un circulaire du cordon, une procidence du cordon, une hyperactivité utérine due à une dose trop importante de Syntocinon* (oxytocine), une rupture utérine, un hématome rétroplacentaire, une hémorragie materno-fœtale ou une embolie amniotique.
Or, entre cette première vague et la deuxième vague d'atteinte cérébale, il y a une période de 6 heures.
Cette période propice traduit une fenêtre thérapeutique pendant laquelle l'hypothermie peut agir par neuroprotection.
Quant à son mécanisme d'action, la neuroprotection de l'hypothermie est due à une réduction des demandes métaboliques et de l’œdème, une diminution de la libération de substances excitotoxiques nocives (telles que le glutamate), une réduction de la production des radicaux libres (qui sont des oxydants dangereux) ainsi qu'une suppression de l’activation des cytokines (qui produisent l’inflammation).
III. L'indication de l'hypothermie vue par la justice
Dès lors que l'hypothermie est indiquée, l'absence de ce traitement constitue une faute ou une négligence car s'agissant de soins non conformes aux données acquises de la science médicale (Meau-Petit V, Tasseau A, Lebail F, Ayachi A et collègues, Hypothermie contrôlée du nouveau-né à terme après asphyxie périnatale, Archives de Pédiatrie 2010;17:282-289).
Cependant l'hypothermie thérapeutique contrôlée est efficace uniquement pour des encéphalopathies consécutives à un manque d'oxygène subi dans la période périnatale et non pas pour d'autres causes comme cela a été rappelé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 30 mars 2023, n° 21LY02982) :
« Les experts relèvent que l'hypothermie contrôlée à visée neuroprotectrice, dont les requérants reprochent l'absence d'utilisation complète, est le seul traitement actuel des encéphalopathies anoxo-ischémiques. Ils indiquent toutefois que, compte tenu des risques iatrogènes que cette technique comporte, seules des encéphalopathies de grade II ou III y sont éligibles, en cas de signes compatibles avec une atteinte anoxo-ischémique. Mais ils exposent que l'état de l'enfant ne correspondait pas aux conditions strictes d'utilisation de cette procédure, compte tenu, d'une part, de l'effet positif de l'intubation qui a été pratiquée, le score d'Apgar, initialement nul, s'étant élevé à 7, 5 minutes après la naissance et, d'autre part, du pH qui dépassait 7 avant H1. L'utilisation de cette procédure, initialement envisagée en même temps que l'enfant était intubé, a donc pu de façon licite être abandonnée au vu de l'amélioration de l'état de l'enfant, cette décision ayant été prise en concertation avec la maternité de niveau III qui avait été contactée. En tout état de cause, les experts notent que les séquelles, qui sont imputables à une pathologie antérieure, n'auraient pas été modifiées. »
En revanche, lorsqu'elle est indiquée, la mise en hypothermie de l'enfant relève des données acquises de la science médicale.
Dans ce cas, l'absence de mise en hypothermie engage la responsabilité du pédiatre exerçant à titre libéral et/ou de l'établissement de santé dans lequel se trouve la maternité.
En ce sens, le tribunal administratif de Nantes à condamné un centre hospitalier pour l'absence de traitement par hypothermie (TA Nantes, 14 juin 2023, n° 1910861) :
« Il résulte enfin de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise judiciaire mais également du dossier médical de prise en charge à la naissance de l'enfant, que l'état de santé de ce dernier, notamment caractérisé par un score Apgar de 5 à 10 minutes de vie, par une acidose métabolique à la naissance, par la nécessité de l'intuber, par une absence de succion et par un mauvais contact oculaire, alors qu'il était né à plus de 36 semaines d'aménorrhée et à un poids largement supérieur à 1,8 kilo, aurait dû conduire le pédiatre à diagnostiquer une encéphalopathie hypoxique anoxique et à transférer le nouveau-né le plus rapidement possible dans un centre équipé de moyens d'exploration et de surveillance neurologique afin qu'il puisse bénéficier d'un protocole d'hypothermie dans les six heures ayant suivi sa naissance. »
Il en va de même pour le tribunal administratif de Versailles qui condamne un centre hospitalier dans un jugement récent (TA Versailles, 01 juillet 2024, n° 2107939) :
« Enfin, les experts ont souligné que le contexte d'asphyxie périnatale certain sur les anomalies sévères du rythme cardiaque fœtal, l'acidose fœtale majeure, chez un nouveau-né de plus de 36 semaines pesant plus de 1800 g, ayant des signes cliniques d'encéphalopathie modérée, aurait dû conduire à une mise en hypothermie passive, technique qui réduit de manière significative les séquelles cérébrales post-anoxiques. Les experts ont dès lors estimé que l'équipe médical aurait dû, sans attendre la 6ème heure de vie, faire appel au SAMU pour discussion du transfert immédiat en unité de réanimation néonatale pour mise en hypothermie contrôlée. »
Cette décision rappelle aussi que la mise en hypothermie passive (dans l'attente du transfert pour l'hypothermie contrôlée) fait partie aussi des données acquises de la science médicale.
Ainsi, dès lors que l'hypothermie thérapeutique contrôlée est indiquée, l'avocat de la famille d'un enfant handicapé à la suite d'une erreur médicale lors d'un accouchement doit proposer une mission au tribunal qui en tient compte. A défaut d'un chef de la mission sur ce point, l'expertise ne pourra pas adresser la question comme un arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles le rappelle (CAA Versailles, 26 juin 2025, n° 23VE00653) :
« Enfin, le rapport d'expertise ne s'interroge pas sur la prise en charge en néonatalogie et notamment sur l'indication d'une hypothermie thérapeutique contrôlée pour limiter le risque de lésions cérébrales au regard des préconisations applicables à l'époque des faits. »
La mission devrait donc comporter un chef qui demande à l'expert de déterminer si la mise en hypothermie thérapeutique contrôlée était indiquée à l'époque des faits et d'apprécier dans quelle proportion elle aurait permis de réduire les risques de lésions cérébrales subies par la victime.
IV. Délai pour mettre le nouveau-né en hypothermie
L’hypothermie doit débuter le plus tôt possible et en tout cas avant la sixième heure de vie.
En cas de non respect de ce délai, l'avocat doit vérifier qu'une négligence ou une faute n'est pas à l'origine de celui-ci.
Naturellement le service de réanimation néonatale (où l'hypothermie est pratiquée) surveille le nouveau-né pour des convulsions souvent subtiles et difficile à percevoir. La majorité des convulsions dues à anoxo-ischémie pendant l'accouchement surviennent après 6 heures de vie.
V. Responsabilité pour des cas limites ou équivoques
Certains auteurs considèrent que d'un point de vue clinique et médico-légal, l'on devrait opter pour le traitement par hypothermie dans des situations équivoques dès lors qu'il n'y a pas de contre-indication (Muraskas J, Goldsmith JP, Néonatologie aujourd'hui, septembre 2023, 216-219).
Ainsi en l'absence de traitement par hypothermie pour un cas limite, il peut être opportun pour l'avocat de soulever une responsabilité fondée sur une imprudence fautive.
VI. Perte de chance d'amélioration de l'état de santé en raison de l'absence de traitement par hypothermie
Une analyse de l'institut Cochrane de 11 essais randomisés a montré que le traitement par hypothermie réduit le risque de handicap ou de décès de l'enfant par 25%.
Il en résulte qu'en cas de négligence ou de faute privant la victime du traitement par hypothermie contrôlée, la perte de chance devrait être augmentée d'au moins 25%.
Effectivement, ce chiffre sera plus élevé pour l'encéphalopathie de stade 2 (encéphalopathie modérée) car selon les essais randomisés l'hypothermie thérapeutique est plus efficace pour ce sous-groupe. En revanche, il sera moins élevé pour l'encéphalopathie de stade 3 (encéphalopathie sévère) car l'hypothermie est moins efficace dans ce cadre où l'atteinte initiale est plus sévère.
Sur ce point, une analyse de 8 essais randomisés qui a effectué une analyse de sous-groupes selon la sévérité de l'encéphalopathie a montre une réduction du risque de handicap modéré à sévère de 35% pour l'encéphalopathie modérée et celle de 58% pour paralysie cérébrale sévère (infirmité motrice cérébrale sévère).
Donc, en fonction des faits de l'espèce, il pourrait être opportun pour l'avocat de la famille de l'enfant handicapé de demander à l'expert et/ou au juge de personnaliser la perte de chance lorsque l'encéphalopathie est modérée.
A titre d'exemple, en raison de l'absence de mise en hypothermie, un jugement du tribunal administratif de Nantes a augmenté la perte de chance de 60% (retenue par les experts) à 100% autrement dit un lien de causalité direct et certain (TA Nantes, 14 juin 2023, n° 1910861) :
« Il résulte de tout ce qui précède que la responsabilité doit être engagée en raison du lien direct, certain et exclusif entre, d'une part, l'utilisation fautive des ventouses et les retards fautifs de diagnostic et de transfert de l'enfant et, d'autre part, la sévérité de la souffrance de ce dernier, de ses séquelles neurologiques et enfin, de son décès. Il s'ensuit que l'établissement de santé doit être condamné à indemniser l'intégralité des préjudices en découlant. »
VII. Souffrances endurées de la victime directe liées à l'hypothermie
L'avocat de la famille devrait vérifier que les souffrances endurées estimées par l'expert comprennent celles liées au traitement par hypothermie contrôlée dont la durée est de 72 heures.
Il a été jugé ainsi par le tribunal administratif de Rouen qui rappelle que les souffrances endurées de l'enfant atteint d'un handicap lié à une souffrance fœtale doivent inclure celles subies pendant le traitement par hypothermie (TA Rouen, 23 janvier 2025, n° 2103464).
VIII. Préjudice d'angoisse d'attente des victimes indirectes
La chambre mixte de la Cour de cassation a admis l'autonomie du préjudice d'angoisse d'attente des proches de la victime (Cour de cassation, Chambre mixte, 25 mars 2022, pourvoi n° 20-15.624).
Ainsi les souffrances endurées et le préjudice d'angoisse d'attente sont des postes bien distincts.
Le préjudice d'angoisse d'attente s’applique aussi en cas de survie de la victime directe donc pour le cas d'un enfant atteint d'une encéphalopathie anoxo-ischémique conduisant à une paralysie cérébrale (infirmité motrice cérébrale).
Or, ce préjudice est caractérisé pour les parents de l'enfant traité par hypothermie contrôlée car pendant la période de 72 heures du traitement ceux-ci reste dans l'angoisse et l'attente du bilan post-hypothermie sur le pronostic.
Il en est ainsi suivant les résultats de nombreuses études qui ont montré que les 72 heures pendant lesquelles le nouveau-né est mis en hypothermie restent une période particulièrement angoissante pour les parents (Pilon B, Craig AK, Lemmon ME, Goeller A. Semin Fetal Neonatal Med. 2021; 26:101278 - Craig AK, James C, Bainter J, Evans S, Gerwin R. J Matern Fetal Neonatal Med. 2020;33:2889-2896).
IX. Conseils aux parents de l'enfant ayant subi un traitement par hypothermie
Les parents d'un enfant traité par hypothermie devraient consulter un avocat afin de déterminer si une négligence ou une faute du gynécologue-obstétricien ou la sage-femme est à l'origine du manque d'oxygène subi pendant le travail d'accouchement.
A cet égard, les parents devraient demander une copie intégrale du dossier d'accouchement par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à Madame ou Monsieur le Directeur de l'établissement de santé en question.
Les parents devraient aussi demander à l'établissement de santé où l'hypothermie thérapeutique a eu lieu une copie du compte rendu d'hospitalisation et celle du compte rendu de l'IRM cérébrale de contrôle pratiquée après les 72 heures d'hypothermie.
Avec ces éléments, l'avocat pourra dire aux parents si une action en justice est opportune et les renseigner sur leurs droits.
Dimitri PHILOPOULOS
Avocat à la Cour de Paris et Docteur en Médecine
22 avenue de l'Observatoire - 75014 PARIS
https://dimitriphilopoulos.com
Tél : 01.46.72.37.80
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