Par un arrêt du 15 février 2024 publié au Bulletin, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a décidé qu'en matière d'assurance obligatoire de responsabilité civile médicale, l'assignation en référé constitue la réclamation à laquelle est subordonnée la garantie de l'assureur.

I. Faits et procédure

Une jeune victime est née en état de mort apparente à la suite d'un retard fautif dans la prise en charge de l'accouchement de sa mère par le gynécologue-obstétricien exerçant à titre libéral au sein d'une clinique. 

La victime a présenté dans un premier temps une encéphalopathie anoxo-ischémique qui a évolué vers une infirmité motrice cérébrale (paralysie cérébrale).

Par une assignation en référé, les parents et représentants légaux de la victime mineure ont demandé une expertise médicale. 

Le rapport des experts a constaté des manquements fautifs commis par le médecin obstétricien lors du travail d'accouchement.

Il en était ainsi car malgré des anomalies du rythme cardiaque fœtal la décision d'extraction du fœtus a été prise tardivement.

Le tribunal judiciaire a condamné in solidum le gynécologue-obstétricien et son assureur à indemniser le préjudice subi par la victime dans la limite d'un plafond de garantie stipulé dans le contrat responsabilité civile professionnelle de celui-ci.

La Cour d'Appel a infirmé le jugement en ce qu'il a décidé que l'assureur devait sa garantie dans la limite du plafond contractuellement fixé à trois millions d'euros et a jugé qu'il devait sa garantie à hauteur du plafond de huit millions d'euros.

L'assureur a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt.

II. Solution de la Cour de cassation

L'arrêt de la Haute juridiction est rendu au visa de l'article L. 1142-2 du code de la santé publique (qui prévoit l'assurance responsabilité civile obligatoire pour les professionnels de santé exerçant à titre libéral éventuellement assortie d'un plafond de garantie) et l'article R. 1142-4 du même code (qui fixe le montant minimum du plafond par sinistre et par année d'assurance).

Mais c'est surtout le visa de l'article L. 251-2 du code des assurances qui retient l'attention car ses alinéas 1 à 3 disposent : 

« Constitue un sinistre, pour les risques mentionnés à l'article L. 1142-2 du code de la santé publique, tout dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers, engageant la responsabilité de l'assuré, résultant d'un fait dommageable ou d'un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique, imputable aux activités de l'assuré garanties par le contrat, et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations.

Constitue une réclamation toute demande en réparation amiable ou contentieuse formée par la victime d'un dommage ou ses ayants droit, et adressée à l'assuré ou à son assureur.

Tout contrat d'assurance conclu en application de l'article L. 1142-2 du même code garantit l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres pour lesquels la première réclamation est formée pendant la période de validité du contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs du sinistre, dès lors que le fait dommageable est survenu dans le cadre des activités de l'assuré garanties au moment de la première réclamation. »

En l'espèce, après avoir énoncé que les contrats d'assurance garantissant la responsabilité civile médicale sont obligatoirement souscrits en base réclamation, le second juge a décidé que l'assureur doit sa garantie à hauteur d'un plafond de huit millions d'euros car l'assignation en référé n'est pas une réclamation au sens de l'article L. 251-2 du code des assurances dès lors qu'elle ne tendait pas à la réparation d'un dommage mais à la détermination des responsables des séquelles de l'enfant et à l'évaluation de ses préjudices.

Or, pour la Cour de cassation, le second juge n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les textes visés.

C'est pourquoi dans son arrêt rendu le 15 février 2024, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel et énonce qu'en matière d'assurance obligatoire de responsabilité civile médicale, l'assignation en référé délivrée à l'assuré par le tiers lésé, en vue de la désignation d'un expert aux fins de déterminer les responsables des dommages dont le tiers lésé se prétendait victime et d'évaluer les préjudices, constitue la réclamation à laquelle est subordonnée la garantie de l'assureur.

III. Remarques

Dans le passé, les questions relatives à la durée de la garantie et au plafond de garantie ont fait l'objet d'une jurisprudence abondante et complexe qui est traitée en détail dans des ouvrages classiques (voir par exemple, Lambert-Faivre Y et Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, Dalloz, 9ème édition).

C'est la loi du 1er août 2003 qui a consacré le retour de la clause réclamation (loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière).

En raison de cette base réclamation de la garantie, la détermination de la date de la première réclamation de la victime est naturellement importante et donne lieu à des contestations.

Devant le juge du fond, l'assureur et la victime s'opposent sur le point de savoir si l'assignation en référé expertise constitue la première réclamation afin de pouvoir bénéficier du plafond de garantie le plus favorable (CA Paris, P2-C2, 14 février 2019, RG 17/07863).

En effet, suivant l'article R. 1142-4 du code de la santé publique (modifié par le décret n° 2011-2030 du 29 décembre 2011), ces plafonds minimums ont été augmentés depuis le 1er janvier 2012 de 3 M€ à 8 M€ par sinistre et de 10 M€ à 15 M€ par année d'assurance.

En cas d'expiration du délai de validité de la couverture d'assurance responsabilité civile médicale, le Fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé exerçant à titre libéral (FAPDS) peut prendre le relais dès lors que la première réclamation est postérieure au 1er janvier 2012. En revanche, en cas d'épuisement du plafond de garantie, le FAPDS intervient lorsque le contrat est conclu, renouvelé ou modifié à compter du 1er janvier 2012 (article 146, IV, de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012).

Selon une jurisprudence dominante des juges du fond, l'assignation en référé expertise constitue la date de la première réclamation de la victime (TGI Paris, 27 février 2017, RG 14/09583 ; Cour d'appel de Douai, 19 mai 2022, RG n° 20/04703 ; Cour d'appel de Toulouse, chambre 3, 24 janvier 2024, RG 23/00238).

La Cour de cassation a logiquement suivi cette voie car l'assignation en référé expertise a pour objet d'organiser une mesure d'instruction afin d'établir des responsabilités et permettre une réparation amiable ou contentieuse des préjudices subis au sens de l'article L. 251-2 du code des assurances.

IV. Deux autres points soulevés dans l'arrêt

En vertu du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit, la Cour de cassation rappelle sans surprise que le juge du fond doit déduire des heures de présence active de tierce personne que nécessite l'état de santé de la victime celles pendant lesquelles elle est scolarisée.

Enfin, le juge de cassation rappelle que le juge du fond ne saurait, sur un moyen relevé d'office, actualiser le préjudice sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. Afin d'éviter cette difficulté, il est conseillé aux avocats de victimes de demander explicitement l'actualisation du préjudice dans le dispositif de leurs conclusions et d'exposer clairement dans la discussion le calcul de cette actualisation.

Dimitri PHILOPOULOS

Avocat à la Cour de Paris et Docteur en Médecine

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