A SAVOIR : un compte joint n’est pas un compte commun.

  • Compte joint : la signature d’un seul co-titulaire est suffisante pour toute opération sur le compte.
  • Compte commun : la signature de tous les co-titulaires du compte est nécessaire pour toute opération sur le compte.

La cour de cassation s’est prononcée le 8 mars 2017 (Cass Com n°15-15350) sur la solidarité entre les époux co-titulaires d’un compte-joint :

  • Question : le conjoint qui n’a pas signé la convention de compte initiale peut-il être considéré comme co-titulaire du compte ?
  • Réponse : non.
  • Explications : quand bien même un compte joint est intitulé au nom de Monsieur ou Madame X, seul celui qui a signé la convention d’ouverture de compte est responsable du découvert.

Conseil : avant de combler le découvert créé par le co-titulaire du compte-joint, vérifiez la convention d’ouverture de compte.

Ces éléments vous seront utiles notamment en cas de séparation après un concubinage. Il arrive que la Banque refuse la désolidarisation de l’un ou l’autre des ex-concubins sur le compte, notamment en raison du prélèvement des mensualités d’un crédit immobilier. La Banque veut s’assurer qu’elle pourra, en cas d’impayé de crédit, se retourner contre l’un ou l’autre des co-titulaires du compte (solidarité passive).

Dans ce cas, vérifiez que vous êtes bien co-titulaire responsable. A défaut, la Banque ne pourra pas vous poursuivre et si elle le fait, vous pourrez contester les poursuites engagées.

 

Par Maître Emeline Bastianelli,

Avocat associée du cabinet Thelys Avocats

Tel: 04.84.25.88.18

Ci-dessous, commentaire complet de l’arrêt de la Cour de Cassation.

Cour de cassation Chambre commerciale du 8 mars 2017, n° 15-15350

En l’espèce, M X a signé une convention permettant à sa banque, la Société Générale, d’ouvrir un compte. Cependant, le solde de celui-ci étant devenu débiteur, la banque a assigné M X ainsi que son épouse en paiement. Cette dernière a relevé l’irrecevabilité de cette demande à son égard en soutenant qu’elle n’était pas liée contractuellement avec la banque.

 

 

La Cour d’appel l’a tout de même condamnée à payer une certaine somme en estimant que la modification de l’intitulé des relevés bancaires aux noms des deux époux depuis plusieurs années, constituait un changement de compte personnel vers un compte-joint. Dès lors, la demande de la banque est dirigée envers Mme X en tant que co-titulaire du compte, responsable solidaire et non en qualité de codébitrice.

 

La question se pose donc de savoir si un conjoint peut être désigné en tant que co-titulaire d’un compte sans en avoir signé la convention.  

 

La Cour de cassation a cassé et annulé cette décision en affirmant que la Cour d’appel n’avait pas tiré les conséquences légales de l’article 1134 du Code Civil puisque Mme X n’avait pas signé de convention de compte-joint.

 

Pour mieux percevoir la portée de cet arrêt, il est essentiel de comprendre ce qu’est réellement un compte-joint afin d’ensuite établir l’importance de la double signature de sa convention.

 

I- Les principes essentiels d’un compte-joint :

 

La définition et le fonctionnement d’un compte-joint sont très importants pour pouvoir appréhender le principe de solidarité instauré entre les co-titulaires de celui-ci.

 

A- Définition générale d’un compte-joint :

 

Le compte-joint se définit comme un compte bancaire établi pour deux personnes ou plus, liées ou non par un lien de parenté.  Aujourd’hui, il est généralement utilisé par les couples, qu’ils soient mariés ou non car cela facilite la gestion des dépenses du ménage tout en leur permettant d’épargner ensemble.

 

Pour qu’un compte-joint soit ouvert, une convention de compte doit être signée. En effet, celle-ci  représente le contrat signé entre les titulaires du compte et la banque.

 

Dès lors, l’intitulé du compte sera aux noms des deux époux qui figureront chacun sur tous les documents bancaires liés au compte.

 

Le compte-joint s’avère très pratique puisqu’il permet d’utiliser n’importe quel moyen de paiement. Cependant, il est important de faire une distinction selon la formule choisie par les époux. En effet, la banque peut proposer que le compte-joint soit établi sous l’appellation de « M et Mme » ou de « M ou Mme ». Cette différence est très importante puisque dans le premier cas, les signatures de chaque co-titulaire du compte sont nécessaires. Cette alternative se rapproche davantage du fonctionnement des comptes communs qui eux aussi, requièrent la signature de tous pour chaque opération.

Au contraire, la formulation « M ou Mme » sous-entend que les parties ne sont pas liées.

 

En l’espèce, il a été constaté que les relevés bancaires étaient adressés sous l’appellation de « M ou Mme Eric X ». Dès lors, en partant de ce principe, M X était libre d’effectuer toute opération sans l’accord de sa femme.

 

Le compte-joint amène ainsi chacun des époux à gérer celui-ci comme un compte personnel dans lequel une relation de confiance doit être établie en raison notamment de leur responsabilité solidaire.

 

B- Le principe de solidarité entre les époux et la banque :

 

Lorsqu’un compte-joint est établi, la solidarité entre les co-titulaires est totale puisqu’on retrouve une solidarité active mais aussi une solidarité passive.

 

La première concerne le fait que chaque co-titulaire est créancier de l’intégralité du solde disponible sur le compte et peut en disposer librement sous sa signature alors que la solidarité passive se caractérise par la possibilité du banquier de demander à n’importe quel co-titulaire, l’intégralité des sommes dues.  Ainsi, si  le solde du compte est négatif, tous seront considérés comme des débiteurs même si cet état du compte ne provient pas d’eux.

 

En l’espèce, la banque a réclamé à Mme X une certaine somme en raison du solde débiteur engendré par M. X, en considérant que celle-ci était co-titulaire du compte et donc solidaire de son mari.

 

L’article 1310 du Code Civil (ancien article 1202), dispose que « la solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas ». Dès lors, on peut se poser la question pour cet arrêt de savoir à quel texte légal ou conventionnel s’est référée la banque pour établir la solidarité de Mme X envers son mari.

 

Elle affirme que le changement du compte personnel de M X vers un compte-joint a été établi par le changement de l’intitulé et du fonctionnement de ce compte : « l’intitulé et le fonctionnement du compte ont changé puisque les relevés bancaires ont été établis à « M ou Mme Eric X », appellation révélatrice d’un compte-joint ». Ainsi, elle considère que la présence des deux noms sur les relevés bancaires permet de faire basculer un compte personnel à un compte-joint, ce à partir de quoi elle fait peser la responsabilité solidaire de l’épouse envers son mari.

 

Ces arguments furent admis par la Cour d’appel mais ensuite cassés et annulés par la Cour de cassation qui considère que les conditions pour qu’un compte-joint soit valable ne sont pas remplies.

 

II- La double signature en tant que condition pour l’établissement d’un compte-joint, un principe maintenu par la Cour de cassation :

 

Pour qu’un compte-joint puisse être établi, la Cour de cassation rappelle qu’il est obligatoire que les deux époux signent la convention d’ouverture de compte, principe déjà posé par la jurisprudence antérieure.

 

A- La double signature requise pour l’établissement d’un compte-joint :

 

L’article 1103 du Code civil (ancien article 1134) dispose que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».

 

En l’espèce, la banque a considéré que le changement d’un compte personnel à un compte-joint était possible sous motif que l’envoi de courriers concernant celui-ci était adressé durant des mois, voire plusieurs années, à « M et Mme X » sans qu’aucun d’entre eux ne le conteste.

 

Nonobstant, la  Cour de cassation casse et annule cette décision en affirmant qu’un compte-joint ne se présume pas, tout comme la solidarité. Elle énonce que la banque ne peut pas transformer un compte personnel en un compte-joint, dès lors que celui-ci n’aurait été à l’origine ouvert que par l’un des deux.

 

Ainsi, un époux, même marié sous le régime de la communauté, n’est pas présumé co-titulaire du compte bancaire ouvert par l’autre et n’est donc pas solidaire des découverts.

 

La Cour de cassation rappelle le principe selon lequel les époux ne sont co-titulaires d’un compte qu’à condition que la convention d’ouverture du compte ait été établie aux deux noms et signée par les deux. Dès lors, les arguments avancés par la banque selon lesquels l’envoi de courriers concernant le compte aux noms des deux ne laissent pas présumer qu’il s’agit d’un compte-joint. Ces dispositions ne remplacent pas les formalités exigées pour l’ouverture d’un compte-joint qui se caractérisent par la double signature. C’est sur ce principe que la Cour de cassation atteste que toute demande en comblement d’un découvert adressée à Mme X pour un compte ouvert par son mari est irrecevable.

 

B- Un arrêt s’inscrivant dans une jurisprudence déjà établie :

 

Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence déjà établie et n’apparait donc que comme un rappel. En effet, la Cour de cassation avait déjà énoncé l’obligation d’une convention d’ouverture de compte pour la validité d’un compte-joint dans un arrêt du 16 juin 1992 (n° 90-18209).

 

En l’espèce, une défunte avait fait virer d’un compte-livret une certaine somme d’argent sur un compte chèque joint. La fille d’une précédente union de son mari décédé, avait cependant demandé la restitution d’une somme en tant que montant de sa part en communauté au motif que le compte-livret était un compte personnel de son père. Elle avait aussi assigné la banque en lui reprochant d’avoir laissé fonctionner ce compte sous la signature d’une autre que celle de son père. La banque a soutenu qu’aucune faute ne pouvait lui être imputée dès lors que le compte-livret était joint au compte chèque ouvert au nom des deux époux et qu’il bénéficiait du même statut.

 

La Cour de cassation a cassé et annulé la décision de la Cour d’appel rendue en faveur de la banque, d’une part, car la Cour d’appel n’avait pas recherché si les époux avaient conclu ou non une convention de compte-joint pour le compte-livret mais aussi car, en jugeant que la preuve que le compte-livret était un compte personnel de son père n’avait pas été apportée par la requérante, la Cour d’appel a inversé la charge de la preuve.

 

On constate donc ici à nouveau l’importance capitale de la convention de compte-joint pour que celui-ci soit établi. Le fait qu’un compte soit lié à un autre compte-joint ne signifie pas qu’il en est un aussi. La Cour de cassation affirme déjà dans cet arrêt qu’un compte-joint ne se présume pas. Celui-ci doit obligatoirement faire l’objet d’une convention d’ouverture de compte signée par les deux titulaires  et l’arrêt du 8 mars 2017 confirme à nouveau ce principe.

 

 

En conclusion, l’ouverture d’un compte-joint pour un couple ne peut se faire sans la signature de la convention de compte par les deux époux. Cette double signature apparait donc comme une obligation à laquelle les parties ou la banque ne peuvent déroger, peu importe l’intitulé ou le fonctionnement du compte. Aucun fait ne permet de considérer un compte d’origine personnel comme un compte-joint, ce dernier ne se présumant pas.