Commentaire sous Cour de cassation, civ 1ère, 24 mai 2022 n° 22-40.005

Dans un arrêt en date du 24 mai 2022, la Cour de cassation renvoie au Conseil constitutionnel la question sensible de la limitation pour les patients âgés ou malades, de leur capacité à disposer de leurs biens.

Il est question de la conformité à la Constitution de l’article 909 alinéa 1er du Code civil, dont la rédaction actuelle est la suivante : « Les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci. »

L’article comporte toutefois deux exceptions :
– les « dispositions rémunératoires faites à titre particulier, eu égard aux facultés du disposant et aux services rendus »,
– le cas du professionnel de santé qui serait également membre de la famille du disposant, et qui bénéficierait de dispositions universelles en l’absence d’héritier en ligne directe (et sauf le cas d’une disposition au profit d’un de ces héritiers).

Dans l’espèce ayant donné lieu à la question prioritaire de constitutionnalité, soumise à Cour d’appel de Paris, il était question d’une infirmière libérale qui avait été instituée légataire, par testament olographe datant d’octobre 2012, de divers biens mobiliers et immobiliers.

La patiente était décédée en avril 2014. L’infirmière a assigné le frère de la patiente, héritier de cette dernière, en délivrance de son legs.

Le frère de la patiente a contesté la capacité de l’infirmière de recevoir sur le fondement de l’article 909 du Code civil.

L’affaire a été portée devant plusieurs Tribunaux : première instance, puis Cour d’appel de Versailles, puis Cour de cassation. En effet, dans un arrêt du 16 septembre 2020 (numéro 19-15.818, Publié au bulletin), la première chambre civile s’était déjà prononcée dans cette affaire.

La Cour d’appel de Versailles avait relevé que si l’infirmière avait prodigué des soins à la patiente pendant sa dernière maladie, le testament avait été rédigé avant le diagnostic de la maladie dont la patiente est décédée, la biopsie ayant permis de poser le diagnostic étant postérieur au testament. L’arrêt avait également ajouté que la libéralité trouvait sa cause dans les liens affectifs anciens et libres de toute emprise entre les deux femmes.

La Cour de cassation a cassé cet arrêt, en considérant que ce qui comptait, ce n’était pas la date de diagnostic de la maladie, mais l’existence de cette maladie dont est décédé le testateur au jour de la rédaction des dernières volontés.

La Cour d’appel de Versailles aurait donc rajouté une condition à la loi en faisant référence à la date de diagnostic.

C’est sur renvoi après Cassation que la Cour d’appel de Paris a été saisie de cette question prioritaire de constitutionnalité.

La formulation de cette question n’est pas sans rappeler celle ayant donné lieu à la décision du Conseil constitutionnel du 12 mars 2021.

Cette décision a déclaré inconstitutionnelle les dispositions de l’article L. 116-4 du Code de l’action sociale et des familles, qui par renvoi opérés vers le Code du travail, formulait une interdiction de recevoir pour les professionnels assistant les personnes âgées, handicapées ou ayant besoin d’une aide personnelle à leur domicile ou d’une aide à la mobilité, à l’égard des personnes aidées (cas notamment des auxiliaires de vie). Le Conseil constitutionnel avait estimé que l’incapacité totale de recevoir des personnes visées constituaient une limitation de la capacité de la personne âgée, handicapée ou malade à disposer librement de leur patrimoine, cette dernière faculté étant un attribut du droit de propriété.

Ce que le Conseil constitutionnel avait censuré, c’était en réalité la présomption irréfragable de captation du patrimoine par le bénéficiaire, car le texte ne permettait pas au juge d’apprécier l’altération du discernement ou encore la situation de vulnérabilité.

Le Conseil constitutionnel adoptera-t-il la même solution pour les personnels médicaux et paramédicaux (médecins, chirurgiens, infirmiers, pharmaciens) ? Si les dispositions du Code de l’action sociale et des familles étaient indépendantes des dispositions du Code civil, elles poursuivent le même objectif : préserver les personnes vulnérables des tentatives de captation de leur patrimoine. La limitation à la seule dernière maladie permettra-t-elle la conformité de la disposition à la Constitution ? Décision à venir…