INTRODUCTION

 

Vous serez certainement intéressé(e) par ce sujet pratique et récurrent. L’enjeu de la solution pour les bailleurs : ne pas régler l’indemnité d’éviction dont ils estiment le montant trop élevé, tout en acceptant de régler les frais d’instance (conséquence et non condition de validité du droit de repentir).

 

L’origine de mon attrait pour les baux commerciaux

C’est au travers d’un dossier de congé sans renouvellement portant refus d’indemnité d’éviction, que j’ai fait mes premières armes sur le terrain des baux commerciaux : 5ème chambre du TGI DE CRETEIL, 10/02/1997 Sté BOEHNLEN c/ MME MABILLE RG 3622/95.

 

Après avoir combattu pour obtenir le versement de l’indemnité d’éviction, il me fallut faire également abolir le repentir signifié par la bailleresse, dans un contexte où le déménagement des locataires n’était pas totalement terminé.

*

*       *

Le sujet que je souhaite aborder, précisément, vous l’aurez compris, est « le sort du droit de repentir du bailleur, lorsqu’au moment de l’exercice de ce droit, le locataire, qui s’est vu refuser le renouvellement de son bail n’exerce plus dans les lieux, ayant entamé un processus irrémédiable de cessation d’activité, alors qu’il les occupe encore partiellement, tout en n’ayant pas rendu les clefs ».

 

Pour vous permettre de faire votre propre analyse, j’ai passé en revue un nombre significatif de décisions, qui vont tantôt dans le sens du locataire, donc du rejet de la validation du droit de repentir, tantôt dans le sens du bailleur.

Pour parler sans détour, les juges du fond seraient certainement dans la reproduction de « ma » décision de 1998 (cf. infra arrêt de la cour d’appel de Paris, du 6 novembre), tandis que la Cour de cassation – si elle réitérait sa jurisprudence de 2002- « me » retoquerait, aux motifs qu’il y aurait des marchandises non encore enlevées à l’intérieur de la boutique et que les clefs ne seraient pas effectivement, restituées au moment du repentir.

De manière classique, je rappellerai le texte de loi, exposerai les cas dans la partie centrale et irai en conclusion, explorer rapidement les conseils des uns et des autres, aimant rassembler ce qui est épars !

*

*      *

première partie

 

Rappelons dans un premier temps la loi et le régime qu’elle instaure.

L’article L.145-58 du code de commerce dispose :

« Le propriétaire peut, jusqu'à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée, se soustraire au paiement de l'indemnité, à charge par lui de supporter les frais de l'instance et de consentir au renouvellement du bail dont les conditions, en cas de désaccord, sont fixées conformément aux dispositions réglementaires prises à cet effet. Ce droit ne peut être exercé qu'autant que le locataire est encore dans les lieux et n'a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation. »

D’où la question, « à partir de quand n’est-on plus dans les lieux ? » On pourrait aussi et peut-être serait-ce plus juste, se demander « jusqu’à quand le locataire peut-il être considéré encore dans les lieux? ». Et donc, à l’extrême on peut poser la question : jusqu’à quand peut-on être considéré comme locataire puisque précisément, le bailleur décide de re-donner irrévocablement cette qualité au preneur ?

 

Les causes alternatives de la mise en échec au droit de repentir.

 

Dès lors que l’une ou l’autre des situations est avérée, le départ des lieux d’une part et la location ou l’achat d’un bien immobilier pour se réinstaller, d’autre part, la notification du repentir postérieurement à l’une d’entre elles, est tardive.

C’est ce que l’on appelle le caractère alternatif des situations décrites dans cet article L. 145-58 qui est adopté constamment par la Cour de cassation. Le départ et l’achat ou la location d’un bien immobilier par le locataire ne s’additionnent pas pour paralyser le droit de repentir que le bailleur voudrait voir s’appliquer.

 

Quels sont les critères factuels retenus pour voir juger que le locataire n’est plus dans les lieux, permettant de faire échec au droit de repentir ?

Il y a le critère classique du départ des lieux, clair et net, pour s’installer ailleurs ou cesser son activité. Les locaux sont vides de marchandises, quelques meubles peuvent y être restés, les clefs ont été restituées, fut-ce avant la date d’effet du congé. A fortiori le droit de repentir ne peut-il plus être exercé, lorsque stocks et matériel démontable ont été enlevés, qu’il n’existe plus d’activité dans le magasin, que les clefs sont rendues et acceptées par le bailleur, que la locataire a résilié son abonnement d’eau et d’électricité, que le bailleur a repris « pleine possession des lieux », que la locataire a licencié son personnel etc.

Cependant, il existe des situations moins tranchées.

Des marchandises ou du mobilier ont pu ne pas avoir été déménagés, les clefs ne pas avoir été restituées, alors que pour autant, l’activité avait véritablement cessé.

La Cour de Cassation et les juges du fond admettent que le droit de repentir ne peut plus être exercé dès lors que des démarches irréversibles aux fins de faire cesser l’activité commerciale ont abouti, ont été concrétisées.

Bien évidemment, vous l’avez compris, c’est cette notion de « démarches irréversibles » qui est sujette à interrogation. Quelle étendue lui ont donné les juges du fond et la Cour de cassation ?

La définition de la notion de démarches irréversibles n’est pas une question centrale, car nous savons qu’elle sert à pallier, à neutraliser, une présence matérielle, que l’on pourrait qualifier de résiduelle. C’est donc bien l’étendue de ces démarches effectives, ou pourrait-on dire aussi leur « quantité », à partir desquelles la présence matérielle du locataire dans les lieux rend inefficace le droit de repentir du bailleur, qui pose problème.

C’est là où la minutie, les recherches fouillées et la clarté des professionnels, administrateurs de biens, administrateurs judiciaires, avocats, notaires et huissiers, sont requises. La clarté peut consister à dire parfois une vérité qui dérange : « ne prenons pas de risques devant l’incertitude de la solution judiciaire. »

La teneur de nos conseils va évidemment varier en fonction du moment de la rencontre avec le locataire ou le propriétaire. Le droit de repentir a-t-il déjà eu lieu ? Faut-il il piloter l’une des parties au contrat, avant qu’il n’ait lieu ?

Dans les deux cas, il faut connaître ou avoir à portée de main, un maximum de décisions.

« Poursuivons… »

Il est donc admis que l’existence de démarches irréversibles en vue de faire cesser l’activité commerciale exercée dans les lieux, invalident un droit de repentir.

Le locataire doit conserver la preuve de ses démarches.

Il est indispensable en premier lieu pour le locataire de conserver scrupuleusement les preuves matérielles de ses démarches réalisées en vue de son départ et j’ajouterais, les preuves de chaque étape de chaque démarche (par exemple, demande résiliation du contrat électricité, AR de la demande par le fournisseur, convocation à une AG extraordinaire, AG, publication de l’AG etc.). J’ajoute, quel que soit le côté du contrat occupé, qu’il faut prendre soin notamment devant la Cour d’appel d’invoquer TOUS les moyens de fait de façon à ce que, le cas échéant, la Cour de cassation soit juridiquement en mesure de les retenir.

 

Deuxième partie

 

Les solutions « en faveur » du preneur 

 

Parmi les cas où le droit de repentir est jugé nul, il y a, 1°) l’hypothèse où la notion de « démarches irréversibles » est acceptée par les juges, 2°) celle où le repentir est jugé « fautif » et 3°) celle où le repentir est tardif.

---

Le cas d’école

Cour de cass. 3ème civ., 15 mai 2008 n° 07-15.225

Après avoir donné congé avec refus de renouvellement avec offre d’indemnité d’éviction à effet du 31 mai 2004, la bailleresse est revenue sur sa décision le 19 novembre 2004.

Or il est établi, par un PV d’huissier de justice antérieur à cette date, que l’ensemble des stocks et du matériel démontable du fonds de commerce avaient été enlevés, qu’il n’existait plus d’activité à l’intérieur du magasin « dont les deux clefs avaient été remises au gérant » de la bailleresse qui les avait acceptées, que la locataire avait résilié ses contrats d’abonnement d’électricité et d’eau dès le 28 mai 2004 à effet au 3 juin suivant…Il était également établi que la bailleresse avait mis immédiatement ces abonnements à son nom, qu’elle avait repris pleine possession des lieux le 3 juin…que la locataire avait licencié son personnel…

---

L’acceptation des démarches irréversibles + remise des clefs postérieurement au droit de repentir

 

TGI de CRÉTEIL 5èmechambre, 10 février 1997, AFF BOEHNLEN/MABILLE RG 36/2295

Congé avec refus de renouvellement et refus de payer une indemnité d’éviction en date du 8 décembre 1994. Droit de repentir notifié par la bailleresse le 20 juin 1996, offre de renouvellement et proposition d’un nouveau loyer. A cette date la boutique est toujours ouverte et les vitrines garnies. Pourtant, le droit de repentir est jugé tardif car avant cette date :

  • dès le 6 février 1996, la locataire a sollicité l’autorisation du Maire de la commune pour liquider son stock ;
  • le 3 avril 1996, elle a par une AG extraordinaire modifié son objet social, transféré son siège et publié l’AG le 17 mai suivant ;
  • le 15 mai par lettre RAR elle avertit sa bailleresse de son transfert d’activité et de siège ;
  • elle procède à la liquidation de son stock en juin et avait effectué à cet effet des publicités dans la presse locale,
  • avant le 20 juin elle a fait procéder à la résiliation des abonnements de gaz, eau, téléphone et effectué son déménagement

 

ET LE TRIBUNAL DE CONCLURE :

 

« Il apparaît ainsi qu’avant le 20 juin 1996 la société B. (locataire) de manière publique et non équivoque, avait entrepris une série de démarches irréversibles aux fins de cesser l’activité commerciale exercée dans les lieux ; que notamment la liquidation complète du stock concrétise le caractère irréversible de ces actions ;

 

Il en résulte que la présence matérielle de la société [locataire] dans les lieux au 20 juin 1996 n’avait d’autre but que de lui permettre d’achever la liquidation des marchandises et de procéder à la remise en état des lieux, volonté concrétisée par la lettre adressée le 15 mai 1996 à Madame M. [bailleresse]. »

La 16ème Chambre B de la COUR D’APPEL DE PARIS va, le 6 novembre 1998, CONFIRMER le jugement et reprendre les éléments retenus par le tribunal en prenant soin de préciser :

 

  • la présence dans les lieux de la locataire au moment de l’exercice du droit de repentir n’était qu’aux fins de terminer la liquidation de son stock et en l’attente de l’établissement de l’état des lieux demandés, « alors qu’elle avait entrepris -comme l’ont à juste titre retenu les premiers juges -une série de démarches irréversibles aux fins de cesser l’activité commerciale exercée dans les lieux. »
  • la cour a en outre considéré -et cela est selon moi très important- que la bailleresse ne pouvait « se prévaloir de l’absence de remise des clés à la date de notification du repentir alors qu’un rendez-vous avait été demandé à cette fin et qu’elle ne conteste pas sérieusement que, pour pouvoir exercer un repentir, elle n’a pas accepté de fixer un tel rendez-vous ».
  •  

Cour d’appel de Paris, 16ème ch. A, 29 oct. 2008, RG n° 07/08205

Une galerie d’art, prend à bail des locaux dans un ensemble immobilier, au rez-de-chaussée de celui-ci.

Le bail qui devait expirer le 31 mars 2004 est en cours de tacite reconduction, personne ne réagissant à l’arrivée du terme. C’est pourquoi au cours de cette tacite reconduction (ou prorogation) la galerie sollicite le renouvellement de son bail, ce que refuse la bailleresse sans offre d’indemnité d’éviction, pour motif grave et légitime en invoquant le défaut réitéré de paiement du prix du bail à la suite de plusieurs commandements (4 de 1999 à 2003, le bail datant de 1995). En janvier 2005, la bailleresse saisit le TGI pour valider les motifs graves et légitimes.

A la suite du débat tant devant le tribunal qu’entre les parties, la bailleresse notifiait le 9 juin 2005 qu’elle exerçait son droit de repentir et qu’elle offrait le renouvellement du bail moyennant un certain loyer. Un mois plus tard la locataire rendait les clefs à la propriétaire.

En fait la cour d’appel retient qu’à la suite du congé, toutes les œuvres étaient retournées à leurs auteurs respectifs ou programmées pour être retournées et que la propriété du gérant fut réaménagée…tout cela AVANT la notification du droit de repentir (qui elle-même traduisait le renoncement aux motifs graves et légitimes…).

La cour note au surplus que la bailleresse « était parfaitement informée par le courrier [de la locataire] du 2 juin 2005 du calendrier de départ des lieux comme des actes de déménagement révélant la démarche irréversible à cet égard » et que l’ayant écarté en avril 2005 d’une réunion avec les locataires, la bailleresse avait voulu la mettre en difficulté…

---

Pour synthétiser, tout ce qui tend à rendre irréversible la cessation de l’exploitation aux vu et su de la bailleresse est bon à prendre et retenu par les juges du fond. On reconnaîtra évidemment l’utilisation indispensable du lien de causalité entre les faits conduisant à la cessation de l’activité et l’existence du congé avec refus de renouvellement.

Le facteur temps joue un rôle également important, la cour d’appel retenant que les démarches pour quitter les lieux étaient entamées de longue date. Plus le bailleur tarde à faire valoir son droit, alors que le locataire continue ses démarches, moins il a de chances d’être reçu en son repentir.

Et bien entendu la bonne foi d’une partie, en l’espèce en l’espèce celle du bailleur est fortement surveillée par les juges du fond. En l’espèce la Cour a expressément insisté sur la nécessité de la bonne foi de la naissance à la fin du contrat retenant que devant la faiblesse de l’argument de la faute grave, la bailleresse avait fait en sorte de notifier  son repentir à un moment où sa locataire ne pouvait se prévaloir d’un départ effectif des lieux.

---

● La qualification de droit de repentir fautif

Cour de cass. 3ème ch. civ., 10 mars 2010 N° 09-10.793

Cet arrêt est la suite de la décision de la cour d’appel de Paris, du 29 oct. 2008 cité précédemment rejetant le pourvoi contre cette dernière.

Il met l’accent sur la volonté de nuire du bailleur vis-à-vis de sa locataire pour échapper au paiement de l’indemnité d’éviction.

---

Cour de cass. 3ème ch. civ., 15 mai 1990 n° 89-18.132

Corrélativement à la volonté de nuire, il y a au travers de cet arrêt, l’exemple de l’exercice précipité de son droit de repentir par le bailleur qui avait connaissance de la mise en œuvre de son déménagement par la locataire, dont le dirigeant lui avait fait parvenir un projet de protocole prévoyant une date limite pour son départ. La locataire avait prévu de se domicilier dans les locaux d’une société de son groupe ce dont le bailleur était au courant.

Parmi les hypothèses où le droit de repentir peut être mis en échec, il y a celles où l’offre de renouvellement n’est pas, antérieurement au départ du locataire, formulée de manière claire.

---

          ● Droit de repentir et attitude ambiguë des bailleurs

Cour de cass. 3ème civ., 7 fév. 1990 n° 88-13.419

Cour d’appel et Cour de cassation sont sur la même longueur d’ondes : pour les bailleresses, laisser pendante une action en refus de renouvellement pour motifs légitimes, et surtout formuler une demande de révision de loyer « en se réservant expressément [la possibilité] de se prévaloir de la procédure en refus de renouvellement », ne peut être la manifestation claire d’exercer leur droit de repentir, la Cour de cassation ajoutant, « que la remise des clefs, conséquence de l’attitude ambiguë observée par ces [bailleresses], n’était empreinte d’aucune hâte suspecte ».

---

Les solutions « en faveur » du bailleur retenant la validité du droit de repentir

 

Il ne suffit pas pour le locataire d’avoir averti le bailleur de ses intentions de se réinstaller ailleurs pour bloquer le droit de repentir.

 

Cour de cass. 3ème civ., 27 février 1991 GP 1991, 2ème sem. 5 nov. 1991, aff. S.C.I. du 1 av Doublet c. Epoux Lecroisey

Encore faut-il que l’acte par lequel le locataire qui s’est porté acquéreur de locaux soit connu du bailleur et ait date certaine. Les juges du fond doivent également rechercher, dès lors que cela leur est demandé, si l’engagement du locataire était définitif avant l’exercice du droit de repentir. Cette jurisprudence trouve une confirmation dans un arrêt de la troisième Chambre civile du 16 février 2000 publié dans la revue LOYERS et copropriété juillet-août 2000 n° 169 p. 12.

---

Une activité existe encore dans le fonds au moment de l’exercice du droit de repentir + remise tardive de clefs

Cour de cass. 3ème ch. civ., 15 fév. 1995 n° 92-16.237

Les Conseillers d’appel, refusent la validité du droit de repentir à une bailleresse parce que le transfert de l’activité par la preneuse était partiellement réalisé, qu’elle avait commencé à liquider ses marchandises et qu’une permanence pour la réception des clients était prévue avec une date limite…que le repentir étant postérieur à cette date, il n’avait pu avoir d’effet. Pour la Cour ces éléments suffisaient à caractériser l’absence d’activité à la date du repentir.

La cour suprême ne l’entend pas de cette oreille : la remise des clefs par la locataire à l’huissier de justice de la bailleresse presque 5 mois après la notification du droit de repentir, au motif qu’elle avait laissé dans les lieux de la marchandise pour payer les loyers jusqu’à la date d’effet du congé, rend le repentir régulier.

---

          ● Des lieux fermés et des clefs rendues, après l’exercice de son droit par le bailleur.

Cour de cass. 3ème civ., 31 mai 2018 n° 17-14.179

A la suite d’un congé avec refus de renouvellement sans offre d’indemnité d’éviction, pour motif grave et légitime, quelques mois plus tard, un 4 janvier 2013, la bailleresse exerce son droit de repentir. Postérieurement, la locataire ferme les lieux (quelques jours plus tard) et restitue les clefs à la bailleresse (environ deux semaines après le droit de repentir).

La cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir retenu finalement que la locataire n’avait pas été au bout de son projet de déménagement uniquement en tenant informée la bailleresse de celui-ci et qu’au surplus des meubles étaient encore dans le local et les clefs non restituées à la date de l’exercice du droit de repentir de sorte qu’un « processus irréversible de départ des lieux » n’avait pas été engagé.

On pourrait rapprocher l’esprit de cet arrêt avec celui du 27 novembre 2002 ci-dessous.

---

A la date de l’exercice du droit de repentir : licenciement économique des salariés non intervenu [uniquement convocation préalable à un entretien en vue du licenciement]– absence de liquidation des stocks – pas de nouveau bail signé -pas d’achat de murs ==è aucun processus irréversible de départ des lieux.

Cours de cass 3ème civ., 1er octobre 2014 n° 13-17.114 B

---

Opérations de déménagement non terminées + remise des clefs postérieures à l’exercice du droit de repentir.

Cour de cass. 3ème ch. civ., 27 novembre 2002 n° 01-12.308

On peut se poser la question de savoir si cet arrêt n’est pas un arrêt d’espèce, tant la solution me paraît surprenante.

Voici une locataire dont l’activité était la vente d’automobiles. A la suite d’un congé avec refus de renouvellement, elle :

  • résilie le contrat de fourniture d’eau
  • en fait de même pour la fourniture d’air comprimé,
  • pour le nettoyage industriel,
  • pour la protection contre l’incendie,
  • avance son déménagement de manière significative,
  • réalise des « travaux importants » dans un autre local pour s’y installer.

Pourtant la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel, pour violation de la loi, en indiquant implicitement qu’elle aurait dû accueillir la validité du droit de repentir exercé en retenant que la locataire n’avait pas terminé ses « opérations de déménagement et que les clés des locaux loués n’étaient pas restituées ».

Cette solution est sévère et a semblé marquer un revirement par rapport à la jurisprudence antérieure sur les démarches irréversibles. Est-ce parce-que la résiliation de contrats de fournitures et autre abonnements divers, peut être réversible par la souscription de nouveaux contrats ? La solution eût-elle été la même si la bailleresse avait été prévenue par la locataire de ses intentions et que cette dernière avait en même temps, par exemple réalisé de la publicité vis-à-vis de sa clientèle relativement au transfert de son activité en un autre lieu, voir même prévoyant une date d’inauguration pour les nouveaux locaux ? On peut en douter.

---

Clefs remises au bailleur avant son exercice du droit de repentir, mais meubles + matériel laissés sur les lieux en quantité significative (« une grande partie »). Absence de libération effective et complète des locaux.

 

Cour de cass. 3ème ch. civ., 29 nov. 2000 n° 99-14.361

 

Les clefs avaient bien été remises au bailleur qui cependant a exercé ensuite son droit de repentir. La locataire représentée par son liquidateur a tenté en vain de faire juger que le repentir était tardif. Cependant, le fait d’avoir laissé du matériel et des meubles en quantité, lui a valu d’être déboutée par les juges du fond qui ont été approuvés par la Cour de cassation.

---

 

 

  • Non restitution des locaux par la locataire, absence de démonstration par la locataire de sa volonté de quitter ses locaux, absence de connaissance par la bailleresse d’un nouveau bail pour la réinstallation de la locataire, absence de bail ayant date certaine.

 

Cour de Cass. 3ème civ., 23 mai 2002 n° 01-00.980 FS-D

---

Une systématisation de la jurisprudence est-elle possible ?

 

 

L’arrêt de la Troisième chambre civile de la Cour de cassation du 15 décembre 2021 n° 21-11.634 mérite un examen.

Les faits son classiques, une locataire sollicite le renouvellement de son bail, le bailleur lui refuse mais lui offre une indemnité d’éviction. La preneuse l’assigne en paiement de ladite indemnité mais il lui notifie son droit de repentir. Ce n’est que 8 jours plus tard qu’un état des lieux sera réalisé et les clefs restituées.

La cour d’appel (qui infirme le jugement de première instance) déclare valable l’exercice du droit de repentir.

La preneuse se pourvoit en cassation et invoque lors de la notification du droit de repentir, avoir « déjà engagé un processus irréversible de départ des lieux, rendant impossible la continuation de l’exploitation du fonds dans les lieux ».

Pour la Cour d’appel : il ne peut y avoir de processus irréversible de départ des lieux si le bailleur n’est pas préalablement informé des intentions et des actes de la preneuse, quand bien même, le jour même de la notification du droit de repentir, le magasin est vide de mobilier et matériel, qu’un mois avant cette notification le CE s’était réuni et voté la fermeture du magasin, que dans les jours qui ont suivi les procédures de licenciement étaient engagées, que le déménagement était mis en œuvre et que les contrats avec les fournisseurs étaient résiliés…

La Cour de cassation, partant du principe juridique bien connu, selon lequel, « il ne faut pas ajouter à la loi des conditions qu’elle ne contient pas » va casser l’arrêt des Conseiller(e)s en disant que l’engagement seul du processus suffit à faire obstacle à l’exercice du droit de repentir par le bailleur. Cela suppose d’ailleurs que la Cour de cassation a très bien accepté d’assimiler les éléments du processus sus-décrits, au départ des lieux.

Autrement dit, cet arrêt ne remet nullement en cause les critères « classiques » visés pour les juges du fond pour caractériser la notion de processus irréversible de départ des lieux : il l’entérine et précise ses contours. Pas besoin d’avertir le bailleur de ses intentions…

Pour autant, si le bailleur est averti par le locataire de ses intentions, je pense fermement que c’est un plus pour le dossier du locataire, à partir du moment où l’irréversibilité de la cessation d’activité dans les lieux est simultanément quasi-acquise par la réunion d’un ensemble de démarches concrètes et démontrables. Mais, se contenter d’avertir simplement de ses intentions non concrétisées, peut permettre au bailleur de notifier efficacement son droit de repentir.

 

Troisième partie

 

 

Que peut-on lire en plus, chez quelques auteurs, sur la caractérisation du processus de départ irréversible ?

 

Guide des baux commerciaux 22/23 éd. Lexis Nexis, sous la direction de Joël Monéger.

 

« Engage sa responsabilité l’avocat qui conseille au preneur de notifier au bailleur la date à laquelle il compte quitter les lieux, puisque cette information sur les intentions du preneur a conduit le bailleur à lui signifier son droit de repentir avant son départ. »

 

 

Traité des baux commerciaux de Monsieur Jean-Pierre BLATTER, 6ème édition, nov. 2017, LE MONITEUR

 

Sur la hâte du locataire à quitter les lieux pour faire échec au droit de repentir : l’abus du droit.

M. BLATTER cite en plus ( § 1474 de son manuel, Cass. Com. 9 mai 1955, bull. civ III ; Cass. com. 2 nov. 1964 bull. civ. III).

 

L’auteur considère comme emblématique l’arrêt cité du 10 mars 2010, sus-cité. Il souligne que lorsque les démarches pour le processus irréversible sont effectuées, « le bailleur surtout s’il en est informé, ne peut plus exercer son droit de repentir ». On ne peut que souscrire à cette analyse.

 

 

Le statut des baux commerciaux, de MM. Jehan-Denis BARBIER et Charles-Edouard BRAULT, éd. LJDJ 2020, coll. EXPERTS

 

Sur la hâte anormale du locataire pour faire échec au droit de repentir, les auteurs citent notamment Cass. 3e civ., 15 mai 1991 N° 89-18132, GP 1991, 2, p 612.

 

Les auteurs consacrent un paragraphe spécial à la remise des clefs, tardive et irrégulière :

Cass. 3ème civ. 14 mars 1990, rev. Loyers 1990 p 337, Cass. 3e civ. 15 fév. 1995 n° 92-18769 GP 1995, 2, p385.

 

 

Par M. Laurent RUET, in Les baux commerciaux, Juin 2020, Lextenso

 

Pour lui « en clair il suffit que le locataire ait laissé dans les lieux la moindre machine pour que le bailleur puisse se prévaloir du droit de repentir tant que le délai de quinze jours n’a pas expiré, alors que le locataire a de fait, déjà déménagé. » De citer à l’appui de son analyse : Cass. 3e civ. 7 oct. 1998, Quot. Jur. 1998 n°90 p 3 et l’arrêt cité supra, du 27 novembre 2002 n° 01-12308.

J’ajoute que finalement cette jurisprudence est d’autant plus compréhensible, que les clefs n’ont pas encore été restituées au moment du repentir dans l’espèce de 2002.

 

En conclusion : sauf à découvrir des principes constants, tout est à analyser au cas par cas pour caractériser le périmètre des démarches irréversibles.

La question reste à suivre…

 

 

ANNEXES

 

Voici des critères permettant d’analyser la situation et de caractériser les démarches irréversibles assimilées au départ des lieux, validés par la jurisprudence.

 

Voici donc une ébauche de liste non exhaustive de vérifications à pointer…ou de démarches à effectuer.

 

Ecrire en RAR □ Conserver les AR □

 

Liquider le stock □

  • avoir contacté l’administration compétente pour obtenir l’autorisation □
  • une fois l’autorisation obtenue faire une publicité dans un journal local □
  • être en train de réaliser la liquidation □

 

Avoir résilié les abonnements :

 

de fourniture d’énergie □

d’eau □

d’électricité □

de téléphone □

 

 

En cas spécifique de transfert d’activité d’une société : tenue d’une AG pour valider le transfert du siège et la publier dans un journal d’annonces légales □

 

Avoir déménagé le matériel et les meubles qui étaient nécessaires à l’exercice de l’activité où être en train de réaliser ce déménagement, présence résiduelle de meubles ou de matériel au moment du repentir □

 

Présence ayant seulement pour but de remettre en état les lieux □

 

Avoir averti la bailleresse du processus irréversible de départ des lieux avec le cas échéant, demande de rendez-vous pour l’état des lieux et la remise des clefs □

 

Le bailleur a-t-il accepté le rendez-vous pour la remise des clefs avant de manifester son repentir ? oui □ non □

 

Avoir averti la bailleresse que la réalisation juridique du transfert d’activité est en cours, et que d’autres démarches sont soit achevées ou sur le point de l’être □

 

Avoir publié ou signé par acte authentique, un bail, un acte d’acquisition, ou une promesse de bail ou de vente (synallagmatique ou unilatérale) □ L’engagement du client est définitif □ Avoir transmis au bailleur copie de l’acte publié □ Les actes signés ont-ils date certaine ? OUI □ Non □

Ont-ils été visés dans es écritures transmises à l’adversaire et au tribunal ? Oui □ Non □

 

Avoir fait dresser un PV par huissier, relatant la situation matérielle des lieux □

 

   *

*      *

 

Autres arrêts, utiles, rappelant les principes élémentaires de l’exercice du droit de repentir et de sa mise en échec.

 

« La location commerciale ou l’acquisition d’un immeuble pour une réinstallation commerciale ne fait échec au droit de repentir que si la location ou l’acquisition ont date certaine avant la notification du droit de repentir » 3ème civ.,29 juin 1976 N° 74-13.639 publié au bulletin.

 

Il se déduit d’un arrêt de la Cour de cassation, que lorsqu’un acte n’a pas date certaine, que le juges du fond doivent rechercher si la locataire n’a pas démontré que les bailleurs connaissaient la substance de l’acte qui permet la réinstallation de ladite locataire, au travers des pièces versées au cours des instances et invoquées dans les conclusions : Cass. 3ème civ., 6 janvier 1972 n° 71-10.889.

 

JURISPRUDENCE CITÉE DANS CET ARTICLE

(LA LISTE DES ARRETS DE LA COUR DE CASSATION CITÉS DANS LE PRÉSENT ARTICLE SONT TOUS DE LA 3e CHAMBRE SAUF PRÉCISION).

1967

11 octobre Cass. com       n° 66-13.450

 

 

1971

 

7 janvier                           n° 69-20.314

 

 

1972

 

6 janvier                            n° 71-10.889

 

 

1976

 

29 juin                              n° 74-13.639 B

 

 

1979

 

17 janvier                          n° 77-12.115

 

 

1981

 

24 mars                            n° 80-11.213

 

 

1990

 

07 février                          n° 88-13.419

15 mai                              n° 89-18.132

 

 

1995

 

15 février                          n° 92-16.237

 

 

 

1996

 

14 novembre                     n° 95-10.644

 

 

1997

 

TGI DE CRETEIL 5ème ch.

10 février BOEHNLEN/MABILLE

 

 

1998

 

Cour d’appel de PARIS

16è ch. B

6 novembre  Mabille /CONTROL’MODELS

 

 

2000

 

CA PARIS 16è ch. A

20 novembre           Merciano/Sté Fourmi

 

29 novembre                     n° 99-14.361

 

 

2002

 

23 mai                              n° 01-00.980 FS-D

27 nov.                             n° 01-12.308

 

 

2006

 

CA PARIS 16e ch. A

15 mars                            RG 04/21240

 

 

2008

 

15 mai                              n° 07-15.225

 

CA PARIS 16è ch. sec. A

29 octobre SCI VENDOM TRIDOR/GALERIE ENRICO

 

 

 

 

2010

 

10 mars                            n° 09-10.793

 

 

2014

 

1er octobre                        n° 13-17.114

 

 

2018

 

31 mai                              n° 17-14.179

 

 

2021

 

15 décembre                     n° 21-11.634

 

 

 

 

 

Document élaboré le 06/05/2023

par Me Éric DESLANDES,

Avocat au Barreau de Paris –

8 rue des Saints Pères 75007

Tél. 06 83 89 91 40

deslandesavocat@orange.fr

Cass. 3e civ., 1er oct. 2014 n° 13-17.114, FS-P+B.

Cour de cass. 3ème ch. civ., 24 mars 1981 n° 80-11.213 + Cass. 3ème civ., 14 nov. 1996 n° 95-10.644.

Cour de cass. 3ème ch. civ., 07 janvier 1971 n° 69-20.314.

Cass. com. 11 oct. 1967, n° 66-13.450 + Cass. 3ème civ., 7 janv. 1971 n° 69-12.314 + Cass. 3e civ.,17 janvier 1979 n° 77-12.115 ;

Cass. 3ème civ., 15 mai 2008, n° 07-15.225 ;

Cass. 3e civ., 15 mai 1991 n° 89-18.132 + [« ma » jurisprudence] CA PARIS, 16ème ch. sect. B, 6 nov. 1998 Mabille/ Sté Control’Models + CA PARIS 16ème Ch. Sect. A 20 nov. 2000, Merciano/Sté Fourmi immoblière + CA PARIS 16ème ch. sec. A, 29 oct. 2008 SCI Vendome Tridor c/ SARL Galerie Enrico Navarra).

Cour d’appel de Paris, 16ème ch. A, 15 mars 2006 RG n° 04/21240.

Pour une espèce où la Cour de cassation a relevé que la locataire n’avait pas invoqué devant la Cour d’appel l’enregistrement des actes relatifs à la cession de son fonds de commerce : Cass. 3ème civ., 14 nov. 1996 n° 95-10.644.

Cour d’appel de Montpellier, 15 décembre 2020 RG n° 17/02671.