ABUS DE FAIBLESSE


L'abus de faiblesse est un délit prévu par les articles 223-15-2 et suivants du Code pénal.

L'article 223-15-2 du Code pénal définit et réprime l’infraction ainsi :

"Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».

L’article 223-15-3 réprime quant à lui des mêmes peines :

«le fait de placer ou de maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement et ayant pour effet de causer une altération grave de sa santé physique ou mentale ou de conduire cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.»,

«le fait d'abuser frauduleusement de l'état de sujétion psychologique ou physique d'une personne résultant de l'exercice des pressions ou des techniques mentionnées au premier alinéa du présent I pour la conduire à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.»

☛ ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS


A. Infraction prévue à l’article 223-15-2

- Éléments matériels : L'infraction suppose la réunion des éléments suivants :

  • L'existence d'un état dépendance chez la victime. Cet état peut être lié à son âge, à sa santé (maladie, infirmité, déficience psychique, dépression), ou à un état particulier tel que la grossesse, ou à sa situation psychologique ou physique. La victime doit alors avoir été placée dans un état de sujétion psychologique et/ou physique par l’auteur par des manœuvres, techniques, pressions ayant altéré son jugement.


Cet état doit être apparent ou connu de l'auteur des faits et s’apprécie au moment auquel a été commis l’acte gravement préjudiciable.

  • Un acte ou une abstention entraînant un préjudice grave. Cet acte peut être matériel, juridique, ou même physique (dans le cas de relations sexuelles par exemple).


Élément moral : L'infraction suppose également l'intention frauduleuse de l'auteur. Il doit avoir agi avec conscience de l’état de faiblesse de la victime et avoir eu la volonté de créer ou d'abuser de cette situation à son avantage en amenant la victime à commettre cet acte.

A. Infraction prévue à l’article 223-15-3

- Éléments matériels : L'infraction suppose la réunion des éléments suivants :

  • L’exercice des manœuvres, techniques, pressions graves ou réitérées ayant altéré le jugement de la victime.
  • Ces manœuvres doivent entraîner une altération grave de sa santé physique ou mentale ou un acte, une abstention entraînant un préjudice grave.
  • Un abus éventuel de cet état de sujétion psychologique en conduisant la victime à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables


Élément moral : L'infraction suppose l'intention frauduleuse de l'auteur. Il doit avoir agi avec l’intention de créer cet état de sujétion psychologique et la conscience que cet état a entraîné une altération grave de la santé physique de la victime ou une abstention entraînant un grave préjudice.

☛ PEINES


Sans circonstances aggravantes

Le délit d'abus de faiblesse est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende.


Avec circonstances aggravantes

Le délit d'abus de faiblesse prévu par l’article 223-15-2 peut être aggravé lorsque l'infraction est commise par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne ou par le biais d'un support numérique ou électronique.

La peine est alors portée à cinq ans d'emprisonnement et à 750 000 euros d'amende.

Le délit prévu à l’article 223-15-53 est réprimé de 5 ans d’emprisonnement et de 750 000 € d’amende lorsque l’infraction est commise :

1° Sur un mineur
2° sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur
3° par le dirigeant de fait ou de droit d'un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités
4° par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne ou par le biais d'un support numérique ou électronique.

Les peines sont portées à 7 ans d’emprisonnement et à un million d’euros d’amende si les faits sont commis dans au moins deux des circonstances mentionnées ci-dessus ou en bande organisée par les membres d'un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités.


Les peines complémentaires

Le délit d'abus de faiblesse peut entraîner le prononcé des peines complémentaires suivantes pour les personnes physiques :

 L'interdiction des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues par l'article 131-26 ;
2° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27, d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, pour une durée de cinq ans au plus, ainsi que l'activité de prestataire de formation professionnelle continue au sens de l'article L. 6313-1 du code du travail, pour la même durée ;
3° La fermeture, pour une durée de cinq ans au plus, des établissements ou de l'un ou de plusieurs des établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ;
 La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution ;
 L'interdiction de séjour, suivant les modalités prévues par l'article 131-31 ;
6° L'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d'émettre des chèques autres que ceux qui permettent le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés ; 7° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée, dans les conditions prévues par l'article 131-35.

Pour les personnes morales, les peines complémentaires suivantes peuvent être prononcées :

1° La dissolution, lorsque la personne morale a été créée ou, lorsqu'il s'agit d'un crime ou d'un délit puni en ce qui concerne les personnes physiques d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à trois ans, détournée de son objet pour commettre les faits incriminés ;
2° L'interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d'exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales ;
3° Le placement, pour une durée de cinq ans au plus, sous surveillance judiciaire ;
4° La fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements ou de l'un ou de plusieurs des établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ;
 L'exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus ;
6° L'interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, de procéder à une offre au public de titres financiers ou de faire admettre ses titres financiers aux négociations sur un marché réglementé ;
7° L'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d'émettre des chèques autres que ceux qui permettent le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés ou d'utiliser des cartes de paiement ;
8° La peine de confiscation, dans les conditions et selon les modalités prévues à l'article 131-21 ;
9° L'affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique ;
10° La confiscation de l'animal ayant été utilisé pour commettre l'infraction ou à l'encontre duquel l'infraction a été commise ;
11° L'interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, de détenir un animal ;
12° L'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus de percevoir toute aide publique attribuée par l'Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements ou leurs groupements ainsi que toute aide financière versée par une personne privée chargée d'une mission de service public. La peine complémentaire de confiscation est également encourue de plein droit pour les crimes et pour les délits punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à un an, à l'exception des délits de presse.

 

☛ PROCEDURE


La procédure débute généralement par une plainte de la victime ou de proches de la victime, menant à une enquête.

Suite à cette enquête, le Procureur peut décider de poursuivre l’auteur des faits par le biais d’une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou de convocation devant le tribunal correctionnel.

Les faits nécessitant une instruction plus longue et approfondie (dans le cas de dérives sectaires par exemple, touchant de multiples victimes), le dossier est plutôt orienté devant le juge d’instruction.

 

☛ JURISPRUDENCE


Voici quelques exemples de décisions de la Cour de cassation relatives au délit d'abus de faiblesse :


- Cass. crim., 11 juillet 2017, n°17-80.421 : la Cour a confirmé la condamnation d'un homme qui avait abusé de la situation de faiblesse d'une femme âgée pour lui faire signer plusieurs chèques en sa faveur. La cour relève qu’il n’est pas nécessaire que la preuve de l’altération des facultés mentales de la victime soit rapportée.


- Cass. crim., 20 janvier 2021, n°19-86.172 : la Cour a jugé que l’abus de faiblesse n’est pas caractérisé par l’importance du patrimoine de la personne dont la particulière vulnérabilité est apparente ou connue.

 

☛ APPLICATIONS


Ces infractions sont retenues dans divers cas, le plus courant étant d’abuser du handicap ou de la particulière vulnérabilité d’une personne âgée ou malade en touchant à ses biens ou ses finances, mais sont aussi particulièrement adaptées à la poursuite d’infractions susceptibles d’être reprochées à des personnes pratiquant dans le domaine de l’occulte ou de la religion (voyants, magnétiseurs, hypnotiseurs…) ou du développement personnel, et dirigeants de groupements ou associations qualifiés de sectes, étant précisé que l’utilisation d'un service de communication au public en ligne ou par le biais d'un support numérique ou électronique, telle que les réseaux sociaux, est une circonstance aggravante.

Ainsi ont été condamnés :

  • Des voyants
  • Des magnétiseurs
  • Des hypnotiseurs
  • Des thérapeutes énergéticiens ou thérapeutes divers
  • Des témoins de jéhovah
  • Des masseurs énergéticiens
  • Des guérisseurs

 

☛ APPLICATIONS AUX DERIVES SECTAIRES


Dans le cas particulier de dérive sectaire, définie par la MIVILUDES (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) « comme la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou la société »l’infraction d’abus de faiblesse est presque toujours retenue.

Plusieurs critères sont dressés par la MIVILUDES pour identifier une dérive sectaire, cette liste n’étant pas limitative (Comment identifier une dérive sectaire ? | Miviludes) :
 

  • La déstabilisation mentale et la sujétion psychologique ou physique conduisant à des actions ou abstentions gravement préjudiciables aux personnes et plus généralement à la perte d’esprit critique et d’autonomie ;
  • La rupture avec l’environnement d’origine (proches, famille) ;
  • Le changement radical de comportement ;
  • Le refus de l’autre et le dénigrement du monde extérieur : l’absence totale d’accès aux médias ou moyens de communication ;
  • Les conditions de vie particulièrement éprouvantes ou déstabilisantes ;
  • Les méthodes de recrutement trompeuses ;
  • L’embrigadement des enfants ;
  • L’existence d’un groupe organisé sur un mode autoritaire, opaque et cloisonné, avec présence d’un dirigeant de type leader charismatique ou praticien référent exclusif ;
  • De grandes difficultés voire une impossibilité pour un membre de quitter ledit groupe ;
  • Les atteintes à l’intégrité physique des personnes en état de faiblesse et d’ignorance, et plus généralement la commission d’actes criminels ou délictueux sur des individus, majeurs ou mineurs ;
  • La contestation des institutions et les troubles à l’ordre public ; la menace d’atteinte à l’ordre public ;
  • L’importance des démêlés judiciaires ;
  • Le caractère exorbitant des exigences financières ; la violation des règlements ou de la loi (travail illégal, formation professionnelle déviante…) et/ ou l’opacité de la gestion financière ;
  • Les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics ;
  • L’offre de soins et de médicaments douteux et exclusive du recours à des pratiques conventionnelles ;
  • Le changement inquiétant des habitudes alimentaires ;
  • La violation des principes fondateurs de la République.

La notion d’emprise doit être caractérisée pour retenir l’infraction et se construit peu à peu à travers la jurisprudence. Ainsi en est-il dans un arrêt du 10.02.2016 n°13-84.585 ayant retenu :

- « Des procédés de séduction destinés à permettre au prévenu d'être admis comme ami et consultant exclusif de la famille, consistant en des pouvoirs de persuasion à partir de faits objectifs, ou en des méthodes destinées à convaincre les membres de la famille de l'existence de dangers fictifs que lui seul pouvait écarter ;
- l’exclusion des personnes qui, dans l'entourage familial ou proche, n'adhéraient pas à son discours et risquaient ainsi d'influencer ceux qui étaient acquis à sa cause ; puis une isolation du noyau familial, par l'instauration d'une sorte de huis clos volontaire pour maintenir les victimes en état de sujétion psychologique par l'altération de leur jugement ;
- le maintien sur la durée de cet état de sujétion psychologique en jouant sur les rancoeurs et les jalousies qui avaient cours au sein de la famille et dont il avait su préalablement s'informer, et en instaurant des différences de traitements de manière à s'attacher les uns et rejeter les autres, par l'élaboration d'un système évolutif de brimades et de gratifications - les techniques de persuasion à partir de faits réels ayant incité les victimes à s'en remettre au prévenu pour tout ce qui concernait la gestion de leur patrimoine,
- l'utilisation d'une personnalité charismatique pour altérer le jugement des victimes de manière à les placer en état de sujétion psychologique, de par sa force de persuasion, mais aussi de par sa capacité d'écoute certaine qui donnait l'impression à son interlocuteur qu'il avait à coeur de vouloir tout mettre en oeuvre pour résoudre ses difficultés »

 

☛ LE RÔLE DE L'AVOCAT


Côté victime, l’avocat accompagne son client dans les démarches de plainte et l’assiste au long de l’enquête ou l’instruction, ainsi qu’à l’audience. Il l’aide à se constituer partie civile et à solliciter une indemnisation intégrale de son préjudice.

Côté auteur, l’avocat accompagne son client tout au long de l’enquête et de l’instruction, peut intervenir en garde à vue et l’assister à toutes auditions et confrontations, de même que devant le Juge d’Instruction. Il vérifie la régularité de la procédure et la constitution des infractions reprochées à son client. À l’audience devant la cour d’assises, la cour criminelle départementale ou le tribunal correctionnel, il assure la défense de son client, soit en sollicitant un acquittement ou une relaxe, soit en sollicitant le prononcé d’une peine adaptée et proportionnée à la gravité des faits et à la situation et la personnalité de son client.