La fixation par le poursuivant de la date d'audience d'orientation en matière de saisie immobilière face à une prorogation des délais de comparution est source d’interrogation depuis l’entrée en vigueur de la réforme de cette procédure  issue de l'ordonnance n° 2006-461 du 21 avril 2006 et du décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006 (voir sur ce sujet, Frédéric Alléaume, La fixation par le poursuivant de la date d'audience d'orientation en matière de saisie immobilière face à une prorogation des délais de comparution, Fiche pratique, Procédures n° 5, Mai 2008, Pratique n° 5).

 

A ce jour, la cour de cassation ne s’était jamais prononcé sur le sujet, c’est désormais chose faite (Civ.2, 21 février 2019, n° 17-27847).

Les faits de l’espèce sont les suivants : un créancier, après avoir fait délivrer le 12 novembre 2015 à la partie saisie, domiciliée à l’étranger un commandement de payer valant saisie immobilière, lui fait ensuite signifier l’assignation à l’audience d’orientation par acte du 22 janvier 2016.

Cette audience est fixée au 1er avril 2016.

Par jugement du 20 janvier 2017, le juge de l’exécution a ordonné la caducité du commandement de payer valant saisie immobilière en retenant que le délai prévu à l’article R. 322-4 du code des procédures civiles d’exécution, éventuellement prolongé en application de l’article 643 du code de procédure civile, était prescrit à peine de caducité du commandement de payer valant saisie, en application de l’article R. 311-11 du code des procédures civiles d’exécution.

La cour d’appel a infirmé ce jugement en estimant que si l’assignation délivrée le 22 janvier 2016, soit moins de trois mois avant l’audience d’orientation du 1er avril 2016, était irrégulière, cette irrégularité n’avait pas privé cette société de la possibilité de faire valoir ses droits.

La partie saisie forme un pourvoi, reprochant à la cour d’appel d’avoir considéré que la sanction de la caducité était soumise à la démonstration d’un grief.

L’article R.322-24 du code des procédures civiles d’exécution dispose en effet que :

« Dans les deux mois qui suivent la publication au fichier immobilier du commandement de payer valant saisie, le créancier poursuivant assigne le débiteur saisi à comparaître devant le juge de l'exécution à une audience d'orientation.  L'assignation est délivrée dans un délai compris entre un et trois mois avant la date de l'audience ».

Cependant, en présence d’un défendeur domicilié à l’étranger, l’article 643 du code de procédure civile dispose que :

« Lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, les délais de comparution, d'appel, d'opposition, de tierce opposition dans l'hypothèse prévue à l'article 586 alinéa 3, de recours en révision et de pourvoi en cassation sont augmentés de : 

1. Un mois pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises ; 

2. Deux mois pour celles qui demeurent à l'étranger »

L’adjonction de ces deux articles est un véritable casse-tête pour les praticiens de la saisie immobilière, car comment faire pour concilier le délai maximum de trois mois prescrit par l’article R.322-24 du code des procédures civiles d’exécution, dont le non respect est sanctionné par la caducité (R.311-11 du même code) et son augmentation pour respecter le délai de distance.

Le recours systématique à l’article 646 du code de procédure civile préconisé par certain (Frédéric Alléaume, op.cit.) n’est pas satisfaisant dans une période d’engorgement des tribunaux, même s’il est un outil précieux, bien que difficilement applicable en pratique, car il faudra obtenir une décision (ordonnance, jugement ?) entre la délivrance du commandement et celle de l’assignation, avec pour seule flexibilité pour le poursuivant que le retard dans la publication du commandement (deux mois de sa signification).

Dans l’arrêt commenté, la deuxième chambre de la cour de cassation nous délivre la solution par une subtile pirouette en jugeant ce qui suit :

« Mais attendu que le délai minimal d’un mois, augmenté le cas échéant des délais de distance prévus à l’article 643 du code de procédure civile, précédant l’audience d’orientation, dans lequel l’assignation à comparaître à cette audience doit être délivrée au débiteur saisi en application de l’article R. 322-4 du code des procédures civiles d’exécution n’est pas au nombre des délais qui, aux termes de l’article R. 311-11 du même code, sont prescrits à peine de caducité du commandement de payer valant saisie immobilière ».

En effet, l’article R.311-11 dispose :

« Les délais prévus par les articles R. 321-1, R. 321-6R. 322-6, R. 322-10 et R. 322-31 ainsi que les délais de deux et trois mois prévus par l'article R. 322-4 sont prescrits à peine de caducité du commandement de payer valant saisie.  Toute partie intéressée peut demander au juge de l'exécution de déclarer la caducité et d'ordonner, en tant que de besoin, qu'il en soit fait mention en marge de la copie du commandement publié au fichier immobilier.

Il n'est pas fait droit à la demande si le créancier poursuivant justifie d'un motif légitime. 

La déclaration de la caducité peut également être rapportée si le créancier poursuivant fait connaître au greffe du juge de l'exécution, dans un délai de quinze jours à compter du prononcé de celle-ci, le motif légitime qu'il n'aurait pas été en mesure d'invoquer en temps utile ».

Effectivement, une lecture précise de ce texte permet de constater que seuls les délais de deux mois pour procéder à la publication du commandement et celui de trois mois pour fixer la date de l’adjudication, sont prescrits à peine de caducité…mais pas celui d’un mois pour fixer l’adjudication.

En conclusions, elle retient que si le créancier poursuivant une partie saisie domiciliée à l’étranger fixe l’audience d’orientation moins de trois mois après la signification de l’assignation, alors qu’avec le délai de l’article 643 du code de procédure civile elle aurait du être fixée au-delà (1 mois + 2 mois), il n’encourt pas la caducité, puisque l’article R.311-11 ne sanctionne que le non respect du délai de trois mois !

C’est audacieux, encore fallait-il y penser.

Enfin, par cette décision, la cour de cassation répond également à ceux qui affirmaient que les dispositions de l’article 643 du code de procédure civile n’étaient pas applicables à la matière.

Qui a dit que les décisions de la cour de cassation manquaient de finesse ?