L'exception d'inexécution : définitions

Selon le Code civil, "Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave" (Code civil, article 1219).

L'exception d'inexécution est souvent invoquée par le locataire en situation d'impayé, pour faire valoir qu'il n'est pas fautif. Il tente alors de se prévaloir des manquements du bailleur, en particulier quant à ses obligations en matière d'entretien ou de travaux.

 

L'exception d'inexécution en bail commercial : des conditions strictes

Pour refuser légitimement de payer les loyers, le locataire doit démontrer avoir subi une impossibilité totale d'exploiter les locaux loués :

"Attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que, si des infiltrations ayant endommagé à plusieurs reprises les locaux loués avaient été constatées, il résultait des pièces produites que les dommages avaient été minimes, que, lors de chaque sinistre, les bailleurs avaient effectué une déclaration à leur compagnie d'assurance et que les travaux destinés à remédier aux causes des infiltrations avaient été réalisés et ayant retenu qu'il résultait des plans et photographies que les quatre places de parking face à la vitrine existaient toujours sauf que le marquage au sol avait disparu en raison des travaux de voierie effectués par la commune auxquels le preneur avait donné son accord, la cour d'appel a souverainement déduit de ses constatations que le preneur ne pouvait invoquer l'exception d'inexécution dès lors qu'il ne s'était pas trouvé dans l'impossibilité d'utiliser les locaux conformément à la destination du bail ;" (Cour de Cassation, Chambre civile 3, du 25 juin 2003, 01-15.364)

"6. Ayant souverainement retenu, par motifs propres et adoptés, que, nonobstant l'état de vétusté de la façade et de la couverture de l'immeuble constaté par l'expert judiciaire, la locataire avait été en mesure d'exploiter et d'occuper les locaux commerciaux donnés à bail jusqu'au 9 avril 2020, la cour d'appel, qui n'était pas saisie d'une demande de réduction de loyer mais seulement d'une demande de dispense intégrale du paiement des loyers, en a exactement déduit que la locataire ne pouvait se prévaloir de l'exception d'inexécution pour manquement du bailleur à ses obligations d'entretien et de réparation." (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 10 octobre 2024, 22-24.395).

Le locataire, qui a seulement été privé d'utiliser la partie laverie d'un fonds de commerce ayant plusieurs activités, ne peut pas opposer l'exception d'inexécution pour refuser de pyers les loyers :

"ATTENDU QUE, POUR FAIRE DROIT A CETTE OPPOSITION, LA COUR D'APPEL A RETENU QUE LES DESORDRES CAUSES PAR LE CONDUIT D'EVACUATION DES GAZ BRULES SONT DEVENUS TELS QU'ILS ONT INTERDIT A LA SOCIETE LOCATAIRE D'UTILISER LA PARTIE "LAVERIE" DU FONDS DE COMMERCE, SANS QUE LES BAILLEURS, INFORMES DE CES DESORDRES DEPUIS DE LONGUES ANNEES, AIENT PRIS DES DISPOSITIONS POUR Y REMEDIER, ET A ESTIME QUE LA SOCIETE BLANC-BESSIERES ; EU EGARD A L'INTERDEPENDANCE DES OBLIGATIONS RECIPROQUES DES PARTIES RESULTANT DU CONTRAT SYNALLAGMATIQUE DE BAIL ET AU CARACTERE CERTAIN ET DETERMINE DE LA CREANCE DES TRAVAUX DU PRENEUR, AVAIT, A BON DROIT, OPPOSE L'EXCEPTION D'INEXECUTION AU COMMANDEMENT DES BAILLEURS ; ATTENDU QU'EN STATUANT AINSI, SANS CONSTATER QU'IL Y AIT - EU IMPOSSIBILITE TOTALE D'UTILISER LES LIEUX LOUES, LA COUR D'APPEL N'A PAS DONNE DE BASE LEGALE A SA DECISION" (Cour de Cassation, Chambre civile 3, 31 octobre 1978, 77-11.355, Publié au bulletin).

 

Exception d'inexécution en bail commercial : illustrations

Dans une affaire où le locataire d'un restaurant affirmait que la cuisine était hors d'usage et le local inexploitable de ce fait, le juge a écarté l'argument. Il a estimé qu'il appartenait au locataire de prouver l'impossibilité d'exploiter et son imputabilité au bailleur, ce qui n'était pas démontré :

  • Le dégât des eaux évoqué par le locataire avait été réparé par le bailleur, qui l'avait également indemnisé pour sa perte d'exploitation ;
  • Les photographies noir et blanc peu lisibles montrant des traces d'infilitrations paraissaient montrer plutôt un défaut d'entretien imputable au locataire ;
  • Le registre personnel n'est pas probant, puisqu'il ne mentionne pas le licenciement des employés en lien avec un arrêt de l'activité ;
  • Si la perte de chiffre d'affaires par rapport à l'année antérieure est démontrée, il n'est pas démontrée qu'elle soit en lien avec les dégâts.

"En matière de bail professionnel ou commercial, il incombe au preneur, qui oppose au bailleur une exception d’inexécution, de rapporter la preuve de l’impossibilité de jouir des lieux loués et que cette impossibilité est imputable au bailleur.

La SAS RETRO VINTAGE COFFEE SHOP prétend que [G] [Y] et [Z] [X] ont manqué à leur obligation de délivrance de la chose louée en ne procédant pas aux réparations nécessaires suite au dégât des eaux survenu le 2 mars 2023. Elle précise que si les réparations nécessaires ont été effectuées au niveau de la toiture, aucune réparation des locaux n'a été réalisée.

Il ressort des éléments versés aux débats que, à la suite du dégât des eaux survenu en mars 2023, il a été procédé aux travaux de réfection de la toiture durant l'été 2023 et il n'est pas contesté qu'une indemnité de perte d'exploitation a été amiablement versée pour la période des travaux.

La locataire affirme désormais que l'activité de restauration a dû être arrêtée depuis la fin du mois d'avril 2023 et que la cuisine est « absolument hors d'usage ». Elle produit des photographies en noir et blanc peu lisibles qui semblent montrer des traces d'infiltrations sans qu'il en ressorte cependant que la cuisine serait hors d'usage, certaines photos paraissant par ailleurs, sans élément de contexte, montrer un défaut d'entretien. L'extrait du registre du personnel produit ne permet pas davantage d'établir un arrêt total de l'activité de restauration compte tenu d'un turn over régulier sur plusieurs années. Il n'est ainsi pas justifié d'un licenciement des employés en lien avec l'arrêt de l'activité de restauration. De plus, la production d'un document comparant les chiffres d’affaires des années 2022 et 2023 n'est pas de nature à établir un lien de causalité avec les dégâts allégués. Enfin il ressort du rapport d'expertise amiable faisant suite à une première visite du 4 octobre 2023 qu'il n'a pas été observé de dommages récents dans la cuisine du local commercial.

La preuve n'est ainsi pas rapportée de l'impossibilité de jouir des lieux loués et l'exception d'inexécution sera rejetée." (Tribunal judiciaire d'Évreux, 6 novembre 2024, n°24/00165).

 

Dans une autre affaire où le locataire d'un restaurant invoquait la non-conformité du conduit d'extraction dénoncée par l'administration, le juge a écarté l'exception d'inexécution au motif que les impayés étaient antérieurs à la révélation de cette non-conformité :

"Le preneur ne saurait se prévaloir d'une exception de non exécution relative à un manquement du bailleur à son obligation de délivrance, alors que la non conformité du conduit d'extraction de fumées n'a été révélée que par courrier des services municipaux du 28 février 2024 imposant des travaux sous deux mois, sans même justifier avoir fait une réclamation au bailleur à ce sujet et alors que les loyers sont partiellement impayés depuis 2020." (Tribunal judiciaire de Nantes, 10 octobre 2024, n°24/00624)

 

Dans une dernière affaire, il a été jugé que l'effondrement du plafond à la suite d'un dégât des eaux ne justifiait pas l'exception d'inexécution, puisqu'il résultait du constat d'huissier que le locataire déclarait avoir été empêché d'exploiter une partie du local seulement :

"Aux termes du bail commercial signé le 29 septembre 2022, les locaux loués à usage de commerce portent sur un magasin à usage de commerce, un dégagement avec WC, un laboratoire et un bureau, une pièce de garde avec WC constituant un logement de fonction et sont d'une contenance de 187 m2.

Et il apparaît des propres déclarations de la société Al Madina retranscrites dans le procès-verbal de constat par la commissaire de justice mandatée par lui-même qu'il n'y a pas eu d'impossibilité de jouissance de l'ensemble des lieux loués puisque Monsieur [M] a exposé avoir été empêché d'exploiter '' (') une partie du local pendant plusieurs mois.''

Il s'ensuit avec l'évidence requise en référé, nonobstant les désagréments subis par la locataire, que le bailleur a fait procéder dans le courant du mois de décembre 2022 à des travaux pour remédier aux fuites d'eau provenant de l'appartement situé au-dessus du local loué, lequel local n'a pas été de l'aveu même de la société Al Madina totalement inexploitable et n'était donc pas impropre à l'usage auquel il était destiné de sorte que l'appelante ne justifie pas de l'existence d'une contestation sérieuse devant le juge des référés pour prétendre se soustraire à son obligation de payer ses loyers et charges. Il en résulte que l'exécution par la société Al Madina de son obligation de payer les loyers n'est pas sérieusement contestable." (Cour d'appel de Rouen, 3 octobre 2024, n° 24/00346).

En revanche, l'exception d'inexécution est justifiée dès lors que le locataire démontre et la résiliation du bail refusée par le juge, en raison de la production d'un rapport d'expertise, démontrant que la salle du restaurant était inexploitable à la suite d'un effondrement du plafond, le bailleur n'ayant pas remédié aux problèmes structurels de l'immeuble (Cour d'appel de Paris, 3 octobre 2024, n° 24/01459).

 

Le cabinet est à votre écoute pour vous accompagner et vous proposer des solutions sécurisées en fonction de votre situation :

  • Vous accompagner dans la négociation, la rédaction, et la conclusion de vos baux ou convention d'occupation du domaine public en sécurisant vos intérêts ;
  • Vous assister dans la résolution de litiges entre propriétaires bailleurs et preneurs ;
  • Vous accompagner en cas d'impayés, d'exception ou d'inexécution ou de difficultés liées à des travaux à faire sur le local.

Goulven Le Ny, avocat au Barreau de Nantes

goulven.leny@avocat.fr - 06 59 96 93 12 - glenyavocat.bzh