Le constructeur peut appeler en garantie son assureur décennal, y compris si le désordre résulte d'une faute contractuelle dès lors qu'il rend l'ouvrage impropre à sa destination. Tel est l'enseignement de l'arrêt de la 3e Chambre civile en date du 04 avril 2024 (pourvoi n° 22-12.132).




I. LES FAITS

Une personne fait rénover un immeuble qu'il divise et vend par lots en l'état futur d'achèvement.

Elle souscrit un contrat d'assurance constructeur non réalisateur auprès de la société Acte IARD.

La réception est prononcée. Après une expertise judiciaire, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble, et une société copropriétaire assignent la venderesse et son assureur en réparation de divers désordres.

La venderesse est condamnée à payer plusieurs dizaines de milliers d'euros en réparation par arrêt de la Cour d'appel de BASTIA en date du 15 décembre 2021 (RG n° 20/00103).

Pour un désordre, relatif à une absence de descentes pluviales, la venderesse est condamnée seule, sans pouvoir être garanti par son assureur décennale.

La venderesse se pourvoit en cassation et obtient gain de cause, la Cour retenant que les désordres, consécutifs à l'absence d'évacuation des eaux pluviales, compromettant la destination et la solidité de l'immeuble, ils doivent être pris en charge par l'assureur décennal.




II. CONSTATATIONS DE L'EXPERT JUDICIAIRE SUR L'ABSENCE DE DESCENTES D'EAUX PLUVIALES 

Pour comprendre l'arrêt, on reprendra les termes des juges d'appel.

Ainsi, l'expert judiciaire a relevé une absence de descentes pluviales sur les façades donnant sur une cour intérieure, un renvoi des eaux pluviales sur une descente mitoyenne, un défaut de collecte des eaux pluviales côté cour intérieure, des rejets sur les façades, des gouttières déversant sur des terrasses privatives, un rejet des trop-pleins sur les terrasses inférieures ou les façades avec une stagnation d'eau sur les terrasses privatives de la Ssociété copropriétaire.

L'expert a constaté que ce désordre résultait de la construction de l'ouvrage selon le principe que le rejet des eaux pluviales collectées en toiture devait se faire sur des terrasses privatives, avec pour conséquence que les eaux pluviales stagnent et rendent les terrasses totalement insalubres et inutilisables jusqu'à évaporation, illustrant son écrit par cette formule « cela équivaut à ouvrir un robinet d'eau déversant sur les terrasses des appartements ».

Les juges d'appel ont donc conclu que si ces désordres compromettent la destination et la solidité de l'ouvrage, ils résultent cependant d'une absence d'évacuation des eaux pluviales et non d'une malfaçon : à ce titre, ils ne peuvent relever de la garantie décennale et engagent donc la responsabilité du constructeur qui, en omettant ces évacuation des eaux pluviales, a commis une faute dans la conception de l'ouvrage, dont il doit assumer les conséquences.





III. QUE RETENIR DE CET ARRÊT ?

Une carence dans la réalisation de l'ouvrage l'ayant rendu impropre à sa destination engage d'office la responsabilité décennale de son constructeur et permet d'appeler en garantie l'assureur.

En l'espèce, les juges d'appel ont cru l'inverse. 

Recherchant l'origine des désordres (tenant à une carence du constructeur dans la réalisation de l'ouvrage), les juges ont considéré que ceux-ci relevaient de la responsabilité de droit commun, à savoir la responsabilité contractuelle du maître d'oeuvre.

Plus simplement parlant, le désordre ayant une origine de nature contractuelle (une faute de conception de l'ouvrage), sa réparation ne pouvait être prise en charge par l'assureur décennale.

Or, le raisonnement était faux, car les conséquences du désordre liées à l'absence d'évacuation des eaux pluviales étant de nature décennale (impropriété à destination), l'assureur devait le garantir de sa faute.

La solution aurait été identique si la personne qui avait demandé à jouir de l'assurance décennale avait été le maître d'ouvrage ou le tiers au contrat.

En effet, le 16 novembre 2022 (n° 21-23.505), la Cour de cassation a retenu que la responsabilité de droit commun pouvait être engagée en réparation des dommages résultant d’un défaut de conformité contractuelle, mais également des dommages couverts par la garantie décennale pour les tiers au contrat et maître d'ouvrage.

Finalement, la position de la Cour de cassation dans l'arrêt commenté n'est pas désavantageuse pour le maître d'ouvrage du point de vue des délais pour agir. En effet les délais d'action entre l'action en responsabilité civile décennale et l'action en responsabilité de droit commun :

Faute de réception, subsiste la responsabilité contractuelle de droit commun qui se prescrit par cinq ans à compter de la manifestation du dommage (Cass. civ. 3, 16 septembre 2021, n° 20-12.372).




Me Grégory ROULAND - avocat au Barreau de PARIS

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