J-PH.BARRANDON

Avocat à la Cour

DESS en Fiscalité internationale (HEC-Paris XI)

Intervenant en Fiscalité au sein du Pôle Formation Francis Lefebvre-Dalloz-Élégia

Professeur invité au sein de l’Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, Responsable des Enseignements en Fiscalité au sein du Master 2 « Management de l’Immobilier » 

3, Rue Nicolas Chuquet 75 017 PARIS

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Paris, le 03 Février 2022

 

Loi de Finances 2022 : Editions d’œuvres musicales et nouveaux talents : Premières réflexions fiscales sur les perspectives et limites du nouveau crédit d’impôt.

La Loi de Finances pour 2022 (n° 2021-1900 , publiée au JO du 31/12/2021) comporte une disposition nouvelle sous la forme d’un crédit d’impôt (ci-après CI) en faveur des entreprises d’édition d’œuvres musicales qui sont soumises à l’impôt sur les sociétés (ci-après IS).

 

Ce CI est calculé à partir  des dépenses (c’est ce que l’on appelle dans le jargon fiscal « la base » ou « l’assiette » du CI) engagées destinées à :

.Soutenir la création d’œuvres musicales;

.Contrôler et administrer des œuvres musicales;

.Assurer la publication, l’exploitation et la diffusion commerciale d’œuvres musicales et de développer le répertoire de nouveaux talents.

 

I/ Champ d’application du nouveau crédit d’impôt Entreprises d’Editions d’Oeuvres Musicales :

 

A/ Les entreprises qui vont pouvoir se prévaloir de ce dispositif :

Les bénéficiaires de cette nouvelle mesure fiscale sont, sous certaines conditions, les entreprises d’éditions musicales qui ne sont pas détenues par un éditeur de services de télévision ou de radiodiffusion.

Il s’agit par ailleurs d’un CI en faveur des entreprises d’éditions musicales qui sont soumises à l’IS. Donc les entreprises de ce secteur qui sont à l’impôt sur les revenus (IR) ou qui sont exonérées d’IS ne pourront pas se prévaloir de cette nouvelle mesure fiscale incitative. On attend toutefois des précisions de l’administration et on espère que Bercy fera bénéficier du CI les entreprises exonérées temporairement ou partiellement.

 

B/ La nature des contrats et oeuvres éligibles au CI :

Il s’agit de certaines dépenses dans le cadre d’un contrat d’éditions d’œuvres musicales conclu avec un nouveau talent.

Le contrat d’édition doit réunir plusieurs conditions cumulatives :

-l’entreprise d’édition musicale doit être établie en France ou dans l’Union Européenne, en Norvège ou en Islande voire au Lichtenstein et elle doit effectuer des prestations liées à la création d’oeuvres musicales et à l’édition de ces œuvres.

-L’auteur où le compositeur de l’œuvre doit s’engager à accorder un droit de préférence à l’entreprise pour l’édition de ses œuvres futures.

-Le contrat doit être conclu entre une entreprise d’édition musicale et un nouveau talent. Par nouveau talent on entend un auteur ou compositeur dont les ventes et l’écoute n’ont pas dépassé un certain seuil qui sera défini par décret pour deux albums distincts. C’est là un point de qualification et de définition épineux et pourtant essentiel qui pèsera sur l’attrait ou au contraire sur le peu d’intérêt de ce nouveau dispositif de CI. Il devra donc être précisé par l’administration en concertation avec les professionnels du secteur. A ce sujet, il importe que la mesure soit en phase avec les réalités concrètes de la profession et celles que rencontrent les nouveaux talents. Cet aspect conditionne à notre avis le succès ou l’échec de cette disposition de la Loi de Finances 2022.

S’il s’agit d’œuvres comportant des paroles,  la Loi de Finances 2022 va jusqu’à préciser que les nouveaux talents doivent exprimer la moitié au moins de l’œuvre en langue française ou dans une langue régionale en usage en France….

 

C/ Un crédit d’impôt soumis à un agrément.

Le bénéfice du crédit d’impôt est subordonné à un agrément délivré par le ministère de la culture ou par le Président du Centre National de Musique. L’agrément se décompose en deux temps : un agrément provisoire et un agrément à titre définitif.

L’agrément provisoire est un préalable nécessaire à l’obtention du crédit d’impôt. Il ne peut être accordé que si l’entreprise d’édition musicale qui souhaite bénéficier du dispositif du CI respecte bien l’ensemble de ses obligations légales, fiscales et sociales (donc vis à vis notamment de l’Urssaf, des services fiscaux etc). Relevons que cette formule est rédigée d’une façon fort large et générale et que les candidats au crédit d’impôt devront donc s’assurer qu’ils sont bien à jour de leurs différentes obligations afin de ne pas après coup avoir de cruelles désillusions. L’agrément provisoire atteste que les productions d’œuvres musicales remplissent les conditions d’éligibilité requises.

L’agrément définitif permet d’attester que l’œuvre a effectivement rempli les conditions d’éligibilité au dispositif du crédit d’impôt. Celui-ci devra être obtenu dans un délai de trois ans  à compter de l’agrément provisoire.

Un décret fixera les conditions de délivrance de l’agrément provisoire.

 

II/ Modalités de calcul du crédit d’Impôt.

L’examen des modalités de calcul du nouveau crédit d’impôt, nécessite de passer en revue d’une part les dépenses éligibles (ce que l’on appelle les bases du crédit d’impôt) (A) et d’autre part les taux du crédit d’impôt (B). Il importe en outre de tenir compte de règles de plafonnement du CI (C) qui impactent sur le calcul de la mesure.

 

A/ Les dépenses éligibles au crédit d’impôt des éditeurs d’œuvres musicales :

Parmi les dépenses éligibles engagées dans le cadre d’un contrat d’éditions d’œuvres musicales d’un nouveau talent il y a lieu de distinguer au regard du CI 3 catégories de dépenses, à savoir :

-les dépenses pour le soutien à la création des œuvres musicales,

-les dépenses liées au contrôle et à l’administration des œuvres musicales éditées,

-les dépenses liées à la publication, à l’exploitation et à la diffusion commerciale des œuvres mi- musicales éditées  et au développement du répertoire de l’auteur et du compositeur.

 

Ces dépenses ne peuvent pas servir de base de calcul de plusieurs crédits d’impôts différents.

 

Reprenons chacune de ces  3 catégories de dépenses et analysons de plus près ce à quoi elles renvoient :

 

Les dépenses pour le soutien à la création des œuvres musicales concernent les dépenses suivantes :

.Les frais de personnel permanent de l’entreprise (salaires, charges sociales) participant directement au soutien et à la création des œuvres musicales.

On retient également la rémunération et les charges sociales des dirigeants dans la limite de 50 000€ ; Cette rémunération n’est éligible au CI que pour les petites entreprises (moins de 50 salariés et CA ou total bilan < à 10 millions d’€).

.Les frais du personnel non permanent de l’entreprise engagés pour la création des œuvres musicales : salaires et charges sociales des directeurs artistiques, conseillers artistiques, directeurs musicaux, répétiteurs, collaborateurs artistiques, superviseurs musicaux, musiciens, accompagnateurs discaux, ingénieurs du son, techniciens.

.Les frais et indemnités de déplacement et d’hébergement dans la limite de 270€ par nuitée.

.Les dépenses liées à la formation musicale de l’auteur ou du compositeur.

.Les dépenses liées à l’organisation ou à la participation de l’auteur à des séminaires d’écriture musicale, y compris les frais d’inscription et de déplacement.

.Les dépenses de création et de maquettage : location de studios de répétition ou d’enregistrement, location et transports de matériels et d’instruments.

 

Les dépenses liées au contrôle et à l’administration des œuvres musicales éditées. Il s’agit des postes de dépenses suivantes :

 .Frais de personnel permanent de l’entreprise (salaires et charges sociales) afférents au personnel directement chargé du contrôle et de l’administration des œuvres musicales. Y compris la rémunération des dirigeants pour leur participation directe au contrôle et à l’administration des œuvres musicales (pour les seules les PME et dans la limite de 50 000€/an).

.Frais de déclaration des œuvres musicales.

.Dépenses de veille pour faire barrage à l’exploitation illicite des œuvres musicales.

.Frais de défense des œuvres musicales et des droits d’auteurs et des compositeurs.

 

Les dépenses liées à la publication, à l’exploitation et à la diffusion commerciale des œuvres musicales éditées et au développement du répertoire de l’auteur ou du compositeur.

.Frais de personnel (salaires et charges sociales) permanent de l’entreprise afférents au personnel directement chargé de la publication, de l’exploitation et de la diffusion commerciale des œuvres musicales éditées. Egalement la rémunération et les charges sociales des dirigeants pour la partie de leur rémunération qui correspond à leur participation directe à la publication, à l’exploitation et à la diffusion commerciale des œuvres musicales éditées

.Dépenses de reproduction graphique et d’impression, tant physique que numérique, des œuvres musicales éditées, y compris de relecture et de correction des manuscrits.

.Dépenses de commercialisation des œuvres musicales sur support physique ou numérique.

.Dépenses de prospection commerciale engagée en vue d’assurer l’exportation et la diffusion à l’étranger des œuvres musicales éditées.

.Dépenses engagées pour la participation de l’auteur ou du compositeur à des émissions TV ou radio ou des programmes audiovisuels, ainsi que celles engagées pour la présentation des œuvres musicales lors d’émissions ou programmes.

.Dépenses liées à la captation sonores des œuvres musicales éditées et à la création de maquettes: location de studio d’enregistrement, frais de réalisation ; d’arrangement, de mixage.

.Frais de location ou de transport de matériels et d’instruments.

.Frais d’achat de petit matériel utilisé exclusivement pour la publication, la diffusion ou l’exploitation commerciale de l’œuvre éditée.

.Dotations aux amortissements, en rapport avec des immobilisations utilisées exclusivement dans le cadre de la publication, de la diffusion ou de l’exploitation commerciale de l’œuvre éditée.

.Dépenses liées aux répétitions et aux représentations promotionnelles des œuvres musicales éditées.

 

Pour les salaires et CSS, il conviendra que les éditeurs d’oeuvres musicales établissent le prorata du temps effectif  passé par le personnel permanent à la production de l’œuvre concernée, par rapport au temps total travaillé, avec des feuilles de temps faisant ressortir l’affectation du personnel à l’œuvre.

 

B/  Le taux du crédit d’impôt des éditeurs d’œuvres musicales:

« La mécanique fiscale » d’un crédit d’impôt est fondée sur le produit d’une base (les fameuses dépenses éligibles dont il a été question plus haut) par un taux. On a parlé plus haut de la base (l’assiette) du CI. On s’intéresse ici au taux du crédit d’impôt. Ce taux est de :

.15% des dépenses engagées jusqu’au 31 Décembre 2024, dès lors que ces dépenses rentrent ans dans la détermination du résultat imposable à l’IS.

.30% des dépenses engagées jusqu’au 31 Décembre 2024, pour les entreprises qui sont des micro-entreprises, ou des petites et moyenne entreprises au sens de la réglementation UE (cad moins de 250 salariés et dont soit le CA < 50millions €, soit un total du bilan annuel qui n’excède pas 43 million d’€).

 

A ce stade de notre analyse, le dispositif du CI issu de la LF 2022 nous parait assez complexe car soumis à de multiples conditions alors que l’on parle de nouveaux talents, donc d’artistes à l’avenir incertain voire éphémère ou lent à décoller, et d’un secteur où de nombreux éditeurs sont de petites entreprises. Dans ce contexte, la pratique éclairera sur  l’adéquation (ou pas) du cadre fiscal du CI tel que posé par la LF 2022 avec les entreprises du secteur et les artistes concernés.

 

 

 

 

C/ Tenir compte des mécanismes de plafonnement du CI qui peuvent impacter lors du calcul de cette mesure

L’encadrement du nouveau dispositif résulte en outre de plusieurs mécanismes de plafonnement du crédit d’impôt  en faveur des entreprises d’édition d’œuvres musicales. En effet :

- La LF 2022 comporte un système de plafonnement des dépenses par contrat.

En vertu du présent mécanisme de plafonnement, le montant des dépenses éligibles (qui permettent de déterminer la base) au crédit d’impôt est limité à 300 000€ par contrat.

Donc, compte tenu de cette limitation de l’enveloppe des dépenses prises en compte pour le calcul du CI, le CI maximum par contrat s’élèvera donc par contrat à :

.45 000€ (si taux du CI est de 15%), c’est à dire : 300 000€ x15%.

.90 000€ (si taux du CI est de 30%), c’est à dire : 300 000€ x 30%.

 

-La LF 2022 comporte un système de plafonnement des dépenses de sous-traitance.

Ce mécanisme de plafonnement concerne les dépenses éligibles au CI qui sont confiées à des entreprises sous traitantes liées à l’édition musicale qui sont établies en France, dans un autre Etat de l’UE, en Norvège, Islande Liechtenstein. Ces dépenses sont retenue dans l’assiette du CI pour un montant maximum de 1 600 000€ par exercice.

 

-La LF 2022 comporte un système de plafonnement du crédit d’impôt par entreprise.

Le total des CI, calculés sur la base des dépenses éligibles, ne peut pas excéder 500 000€ par entreprise et par exercice.

Donc cela correspond à des dépenses éligibles 1 660 000 / exercice environ pour un CI au taux de 30%. Et des dépenses éligibles de 830 000€ / exercice environ pour un CI au taux de 15%.

 

III/ Utilisation du Crédit d’impôt et reversement

A/ Utilisation du Crédit d’impôt

Le crédit d’impôt est imputable sur l’IS du au titre de l’exercice au cours duquel les dépenses éligibles sont exposées. L’excédent de CI qui n’a pas pu être imputé sur l’IS au titre de cet exercice est restitué. Il constitue une créance sur l’Etat. Cette créance est inaliénable, non cessible, sauf dans les conditions des cessions Dailly.

 

Reversement du CI.

Si l’œuvre musicale correspondant au CI n’obtient pas l’agrément définitif dans les 3  ans à compter de l’agrément provisoire, l’entreprise est tenue alors de le reverser.

 

 

IV/ Obligations déclaratives et entrées en vigueur.

 

Un décret précisera les obligations déclaratives en matière de CI Entreprise d’Edition d’Oeuvres Musicales.

Ce CI entrera en vigueur au titre des exercices clos à compter du 31.12.2022 pour les dépenses liées à des contrats conclus à compter du 01/01/2022 et engagées jusqu’au 31/12/2024.

 

 

Conclusion

Ce dispositif de crédit d’impôt est une opportunité d’économie d’impôt pour les professionnels du secteur. Il importe toutefois de souligner que sa mise en œuvre est nettement encadrée ce qui la rend délicate. La mesure devra en outre être précisée.

 

Au travers de notre expérience sur le terrain, nous savons bien, d’une manière générale, qu’en matière de fiscalité des CI (le code général des impôts regorge de dispositifs de CI dans de multiples domaines-immobilier, recherche etc-), l’administration est toujours très attentive au respect des conditions et aux obligations déclaratives incontournables qui sous-tendent l’octroi de tout  avantage fiscal sous forme de CI. Aussi, être bien dans les clous et par conséquent se prévaloir sans risque de ce nouveau dispositif de CI pourrait s’avérer être un vrai casse tête pour les entreprises du secteur et leurs jeunes talents.

 

Nous mesurerons mieux dans les prochains mois si ce nouveau dispositif de CI parvient à rencontrer son public et à faire recette. La mise en oeuvre de ce dispositif de ce devra être appréciée au cas par cas, et lorsqu’il s’avèrera applicable à telle ou telle situation, il constituera alors un fruit rouge sur le gâteau. Quoiqu’il en soit, cette mesure n’a rien de magique. Les jeunes talents et leurs éditeurs doivent avant tout compter sur eux-mêmes, sur leur persévérance et leur créativité artistique pour éclore patiemment.