INTRODUCTION

L’ordonnance dite « MACRON » du 22 septembre 2017 plafonne les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en fonction de l’effectif de l’entreprise et de l’ancienneté du salarié.

De prime abord, les dispositions légales nouvelles semblent en parfaite contradiction avec la règle générale du droit dite de « la réparation intégrale du préjudice ».

Selon cette règle, que l’on retrouve dans tout type de contentieux, tout préjudice prouvé doit être réparé dans son ensemble, peu important l’intensité de la faute à l’origine de ce préjudice ou des circonstances dans lesquelles il est survenu.

Ainsi, une faute de conduite d’un véhicule, même minime, peut aboutir à une indemnisation de plusieurs centaines de milliers d’euros si l’accident provoqué entraine une mutilation permanente.

Dans les mêmes conditions, une infime erreur dans la réalisation de travaux sur une douche dans un appartement peut donner lieu au versement de dommages-intérêts conséquents si tout l’immeuble a été inondé du fait de cette erreur.

Il en est toujours allé de même en droit du travail : le licenciement sans cause réelle et sérieuse qui cause un préjudice important - dépression, plusieurs années de chômage - aboutira à une indemnisation proportionnée, peu important l’ancienneté ou la taille de l’entreprise.

La spécificité du droit du travail était l’existence d’un plancher minimum d’indemnité à hauteur de six mois de salaire en cas d’ancienneté de plus de deux ans et d’effectif dans l’entreprise supérieur à 10 salariés.

L’idée de cet article L. 1235-3 du code du travail était de dissuader les entreprises d’une certaine taille de licencier des salariés dont l’ancienneté tendait à laisser présumer qu’ils avaient fait leurs preuves.

Le régime juridique des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse était donc très protecteur puisqu’il ajoutait aux règles générales du droit de la réparation un plancher d’indemnité sous certaines conditions.

Or, les plafonds de l’ordonnance du 22 septembre 2017 suppriment de facto le plancher et anéantissent, en droit du travail, la règle quasiment intangible de la réparation intégrale - ce qui semble difficilement soutenable.

En effet, imagine-t-on un instant que les dommages-intérêts versés aux grands accidentés de la route soient plafonnés au motif que des assureurs se plaignent d’avoir à régler de trop importantes sommes d’argent aux victimes ?

Autrement dit, la transposition du plafonnement à une autre matière que le droit du licenciement permet de prendre la mesure de l’injustice générée par l’ordonnance du 22 septembre 2017.

Outre les dangers pour le droit de la réparation en général, les plafonds vont aboutir à une multiplication des licenciements (l’employeur n’a plus grand chose à perdre), à une diminution des saisines des Conseils de prud’hommes (la salarié n’a plus grand chose à gagner) et à une baisse des possibilités de ruptures conventionnelles ou de transaction devant le bureau de conciliation.

Forts de ce constat, plusieurs alternatives ont été imaginées pour contourner le plafond.

1. Le harcèlement moral

Une tendance s’est dégagée ces derniers mois consistant à solliciter des dommages-intérêts sur le fondement du harcèlement moral.

Cette tendance semble extrêmement contestable pour trois raisons :

- La preuve du harcèlement est ardue et les chances d’obtenir des dommages-intérêts complémentaires faibles,

- La notion de harcèlement moral est indépendante de celle du licenciement, sauf dans quelques cas extrêmes où le licenciement constitue l’un des agissements répétés visés par les textes,

- La multiplication des prétentions infondées feront perdre aux demandes au titre du harcèlement moral beaucoup de crédibilité.

Ainsi, le recours à la notion de harcèlement moral ne semble absolument pas opportun, sachant par ailleurs qu’il risque de porter préjudice aux réelles victimes qui seront de moins en moins audibles.

2. L’exécution déloyale du contrat

Ces demandes au titre de l’exécution déloyale étaient fondées sur l’article L. 1222-1 du code du travail.

La difficulté est qu’elles n’ont pas a priori vocation à indemniser les conséquences d’un licenciement.

Elles visent au contraire à indemniser toutes les fautes de l’employeur antérieures à la date de la lettre de rupture.

Exemple :

Un salarié a été licencié pour faute grave dans une entreprise de plus de 10 salariés et disposait de plus de deux ans d’ancienneté.

Suite à la procédure judiciaire, le Conseil considère que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamne l’employeur, selon la législation ancienne, à payer au salarié :

- Préavis, indemnité de licenciement,

- Le plancher de l’indemnité L. 1235-3,

- Des dommages-intérêts complémentaires du fait d’une importante dépression et de l’absence de perspective de retour à l’emploi,

- Des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat au motif que l’employeur donnait des instructions contradictoires à son salarié pour le pousser à la faute et qu’il l’a mis à pied pour l’empêcher de réunir les preuves de la qualité de son travail.

Sous l’égide de la nouvelle législation, l’indemnisation sera la suivante :

- Préavis, indemnité de licenciement,

- Le plafond de l’indemnité,

- Des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat au motif que l’employeur donnait des instructions contradictoires à son salarié pour le pousser à la faute et qu’il l’a mis à pied pour l’empêcher de réunir les preuves de la qualité de son travail.

Les dommages-intérêts pour exécution déloyale ne peuvent couvrir les pertes engendrées du fait de l’ordonnance du 22 septembre 2017 puisqu’ils procèdent non de la rupture du contrat en elle-même mais de la manière dont ce contrat a été exécuté avant ladite rupture.

Une fois encore, la méthode consistant à tenter de compenser les pertes par l’exécution déloyale semble, juridiquement, peu satisfaisante.

Les conseils de prud’hommes pourraient être tentés de sanctionner plus sévèrement l’exécution déloyale pour compenser la perte due au plafonnement mais dans ce cas, le salarié qui n’a pas subi d’exécution déloyale ne pourra bénéficier de cette compensation d’opportunité.

3. Le recours au Conseil constitutionnel

a. La pratique du recours devant le Conseil constitutionnel

Le recours au Conseil constitutionnel est souvent apparu comme l’ultime moyen de faire céder le législateur.

Toutefois, depuis quelques mois, il est reproché au Conseil, à tort ou à raison, la qualité de ses décisions ou à tout le moins le manque d’audace de ses positions.

Le Conseil peut être saisi de deux manières :

- Le contrôle a priori également appelé « politique » : Le Conseil est saisi par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs (article 61 de la Constitution). En général, c’est l’opposition qui saisit le Conseil pour faire barrage à la majorité (d’où l’emploi des termes « saisine politique »). Ces recours ne sont pas toujours parfaitement bien rédigés puisque faits dans l’urgence, parfois sur la base de motivations plus politiques que juridiques.

- Le contrôle a posteriori dit « Question prioritaire de constitutionnalité » : Une partie peut demander, lors de tout procès, à ce que la question de la constitutionnalité de la loi applicable au litige soit renvoyée à l’examen du Conseil constitutionnel. La Cour de cassation sert de filtre puis renvoie la question au Conseil.

Seules ces deux possibilités de recours existent : il est dès lors impossible pour une partie d’invoquer la Constitution et le bloc de constitutionnalité devant les Juridictions de droit commun avec pour conséquence que les Juridictions ordinaires ne peuvent statuer sur le fondement de la Constitution.

b. Les décisions du Conseil en lien avec le plafonnement

Pour ce qui est des plafonds, le Conseil constitutionnel a été saisi par des parlementaires de l’opposition - contrôle politique.

La saisine a abouti à une décision du 21 mars 2018 (références QPC n° 2018-761, 21 mars 2018) qui a considéré que le plafonnement était conforme à la Constitution.

Cette décision n’est pas étonnante à deux égards :

- Le principe de réparation intégrale, évoqué plus haut, n’a jamais été consacré à l’échelon constitutionnel.

- Le recours des parlementaires aurait mérité d’être davantage étayé, bien qu’il contienne d’intéressantes références.

Bien que peu surprenante, elle manque cependant de motivation tant son argumentation peut parfois être lapidaire.

A cela s’ajoute le fait que le Conseil semble faire fi de sa jurisprudence rendue antérieurement (références 2016-582 QPC du 13 octobre 2016), lorsque les planchers de l’article L. 1235-3 du code du travail avaient été attaqués :

« En visant à dissuader les employeurs de procéder à des licenciements sans cause réelle et sérieuse, les dispositions contestées mettent en œuvre le droit de chacun d'obtenir un emploi découlant du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ».

Au regard de ce qui précède, il est possible qu’une QPC puisse aboutir notamment sur la base suivante  : le barème pourrait porter atteinte au droit de chacun d’obtenir (et donc de conserver) un (son) emploi.

Ce point n’est naturellement pas du ressort du Conseil de prud’hommes et un justiciable devra formuler une QPC.

Ainsi, la seule possibilité ouverte pour faire valoir ses droits devant les juridictions ordinaire semble être le recours aux textes internationaux sur lesquels la Conseil constitutionnel n’exerce aucun contrôle.

4. Les normes internationales

a. Supériorité des traités

Si les Juridictions ordinaires ne peuvent appliquer les textes constitutionnels du fait de la compétence exclusive du Conseil, elles ont en revanche, en vertu de l’article 55 de la Constitution et de la jurisprudence afférente (Arrêt Jacques VABRE entre autres), l’obligation de faire prévaloir les traités sur la loi.

Deux conditions sont cependant nécessaires :

- Les traités doivent avoir été ratifiés par la France et publiés, - Les traités doivent être d’application directe.

b. Traités en droit du licenciement

En droit international, il existe deux traités essentiels :

- La Charte Sociale Européenne du 18 octobre 1961, - La Convention 158 de l’OIT.

Aux termes de l’article 24 de la première :

« Le droit des travailleurs, licenciés sans motif valable, à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

Selon l’article 10 de la seconde :

« Si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

Ces deux textes consacrent, à l’échelon européen et international, le principe, en matière licenciement, de réparation intégrale du préjudice.

 

c. Respect de la première condition : Ces traités ont-ils été ratifiés par la France ?

La CSE et la convention 158 de l’OIT ont été ratifiées par la France.

d. Respect de la seconde condition : Ces traités sont-ils d’application directe ?

La question est moins évidente ici.

Pour certains traités, comme la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, la question de l’applicabilité est tranchée de longue date.

Pour d’autres, le doute subsiste comme c’est le cas pour la CSE et la convention 158 de l’OIT.

Il ressort de la jurisprudence actuelle que les juridictions évoquent au cas par cas l’applicabilité directe des articles de ces normes internationales.

Concernant la CSE, la jurisprudence de la Cour de cassation et le Conseil d’Etat est plutôt abondante et plusieurs de ses articles sont reconnus comme étant d’application directe.

Il en va ainsi de l’article 24 précité puisque les deux juridictions ont considéré qu’il était d’application directe (références Cass., Soc., 12 janvier 2011, n° 09-41904 et CE, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 10 février 2014, n° 358992).

Concernant la convention 158 de l’OIT, il semblerait qu’il n’existe pas d’arrêt de la Cour de cassation publié au bulletin consacrant l’applicabilité directe de l’article 10.

Toutefois, de nombreuses décisions de la Haute juridiction considèrent certains articles de la Convention 158 OIT comme étant d’application directe.

Certains arrêts vont même plus loin en faisant une très large référence à la Convention selon la formulation suivante (références Cass. Soc. 10 mai 2012, n° 10-28.512) :

« Vu les principes posés par la convention n° 158  de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur le licenciement adoptée à Genève le 22 juin 1982 et entrée en vigueur en France le 16 mars 1990 et la dérogation prévue en son article 2 paragraphe 2 b)

(…)

la cour d'appel a violé la Convention  internationale susvisé ».

Il est donc vraisemblable, à la lecture du visa précité, que l’article 10 de la Convention 158 OIT puisse être également invoqué devant les juridictions sociales puisque vraisemblablement d’application directe.

Ainsi, rien n’empêche une partie d’invoquer cette règle puis un Conseil de prud’hommes de retenir l’application directe de ce texte, à charge pour la Cour de cassation de valider ou d’infirmer cette analyse.

En synthèse donc, l’article 24 de la CSE semble incontestablement d’application directe et l’article10 de la Convention 158 OIT parait elle aussi applicable mais avec quelques incertitudes.

e. Conséquences de l’application de l’article 24 de la CSE

L’article 24 évoque une indemnité adéquate ou une réparation appropriée ce qui, par définition, exclut toute idée de plafonnement des indemnités mais valide au contraire la notion de réparation intégrale.

Dès lors, l’article 24 va dans le sens de la jurisprudence (antérieure au plafonnement) des conseil de prud’hommes et  des cours d’appel qui, pour indemniser un salarié licencié, se réfèrent à son ancienneté, son âge, sa situation de famille, ses charges, ses perspectives de retour à l’emploi, la durée du chômage à la date de l’audience et enfin les conséquences morales sur l’individu.

Dans une décision du 8 septembre 2016 « Finnish Society of Social Rights c. FINLANDE », le Comité européen des droits sociaux a complètement validé cette interprétation en considérant que le plafonnement des indemnités en Finlande était contraire à l’article 24.

Il est intéressant d’ailleurs de noter que le plafonnement finlandais était bien plus favorable que le plafonnement français.

Dans ces conditions, il semble clair que l’application de l’article 24 de la CSE (et peut-être l’application de l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT) conduit à écarter le plafonnement de l’ordonnance du 22 septembre 2017 pour lui substituer un mode de réparation intégrale.

CONCLUSION

Le plafonnement des indemnités prud’homales, au-delà de l’injustice et des difficultés qu’il créé, constitue une dérogation choquante et injustifiée au principe de réparation intégrale, outre qu’il limite le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

Ces injustices, difficultés, dérogations et limitations seraient justifiées, selon les défenseurs du plafonnement, par l’impératif de simplification du droit du travail.

ll convient simplement de rappeler qu’à la naissance du code civil en 1804, le contrat de travail tel que nous le connaissons n’existait pas et qu’il constituait ce que l’on appelait un contrat de louage de service (références Henri LECLERC « La parole et l’action » FAYARD).

Nul ne saurait arguer qu’à cette date, l’ancêtre du droit du travail était complexe.

Pourtant, le contrat de louage de service, régi par l’article 1780 du code civil dans sa version promulguée le 17 mars 1804 énonçait :

« Néanmoins, la résiliation du contrat (de louage de service) par la volonté d'un seul des contractants peut donner lieu à des dommages-intérêts.

Pour la fixation de l'indemnité à allouer, le cas échéant, il est tenu compte des usages, de la nature des services engagés, du temps écoulé, des retenues opérées et des versements effectués en vue d'une pension de retraite, et, en général, de toutes les circonstances qui peuvent justifier l'existence et déterminer l'étendue du préjudice causé ».

Ainsi, à une époque où le code du travail n’existait pas, le code civil de 1804 protégeait mieux les indemnités des travailleurs que le code du travail du 21ème siècle.

Cette réalité doit être murement méditée.