Le secret professionnel est un épineux sujet qu’il est difficile d’expliquer et de faire comprendre.

En effet, le terme « secret » recèle d’abord, en lui même, une idée de mystère et peut-être de suspicion. Il évoque une forme d’opacité et instille de facto une certaine forme de défiance à son égard.

De même, le fait que l’on parle de « secret professionnel » pourrait laisser croire que ce secret appartient à l’avocat lui-même qui bénéficierait alors d’un privilège corporatiste dérogatoire du droit commun.

Or, le secret professionnel est, en vérité, une garantie du procès équitable et des droits de la défense.

De même, la protection accordée se fait au seul bénéfice du justiciable, au sens large, et non à celui de l’avocat qui jouirait d’une immunité.

Autrement dit, l’avocat n’est naturellement pas au-dessus des lois et l’entretien de ce fantasme selon lequel nous dissimulerions nos propres turpitudes est inepte.

La preuve ? Lorsqu’un avocat est suspecté d’avoir commis ou participé à la commission d’une infraction, il peut faire l’objet d’une perquisition et son secret ne peut venir faire obstacle à la saisie des documents et pièces nécessaires à la manifestation de la vérité - et donc, de sa culpabilité.

De même, l’avocat est de plus en plus contraint par la loi à se livrer à des opérations de conformité, dites « KYC » (know your client/customer), en matière de blanchiment et financement du terrorisme.

Il n’y a donc pas d’immunité de la robe noire.

 

Les débats actuels interrogent cependant sur l’étendue du secret.

L’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 semble particulièrement clair :

« En toutes matière, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations (…), les correspondances échangées entre le client et son avocat (…) les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier, sont couvertes par le secret professionnel ».

Le secret professionnel couvre donc, a priori, l’hypothèse de la défense ET du conseil.

Or, l’interprétation des juridictions, au fil des ans, tend à limiter la portée du secret et, avec elle, la légitime protection du justiciable dans un Etat de droit.

A l’occasion de la décision dite « Paul BISMUTH » la Cour de cassation (Crim. 22 mars 2016, n° 15-83.207) a pu affirmer que les écoutes des conversations entre un client et son avocat étaient possibles dès lors que :

« cet avocat n'assure pas la défense de la personne placée sous surveillance, qui n'est ni mise en examen ou témoin assisté ni même n'a été placée en garde à vue dans la procédure en cause ». Le secret professionnel serait-il donc limité aux seules hypothèses dans lesquelles un client a été placé en garde-à-vue ou mis en examen ? Vincent NIORE, délégué aux perquisitions et vice-bâtonnier élu, était-il visionnaire lorsqu’il indiquait, déjà en 2014, que le secret était « un véritable chef-d’œuvre en péril dont il faudrait broyer les ruines » ?

Difficile d’être affirmatif mais une chose est claire : le principe posé par l’article 66-5 précité semble être loin d’être intangible.

 

Une nécessaire clarification était nécessaire et c’est dans ce contexte que le Garde des Sceaux et ancien avocat, Eric DUPOND-MORETTI a réuni une commission sur le sujet : la commission  dite « MATTEI ».

Bien naturellement, Vincent NIORE, ès qualités de spécialiste des perquisitions et par extension du secret, et le Barreau de PARIS ont participé aux débats et formulé des propositions allant dans le sens d’un secret professionnel étendu et conforme à la lettre de l’article 66-5.

En février 2021, le rapport portant sur « le renforcement de l’équilibre des enquêtes préliminaires et du secret professionnel de l’avocat » a conclu à la nécessité du renforcement du secret et à sa nécessaire affirmation au sein de l’article préliminaire du code de procédure pénale.

En dépit des progrès annoncés, le texte demeurait insatisfaisant en ce qu’il existait toujours une différence de traitement entre le conseil et la défense.

Les craintes se sont confirmées par la suite : Invité sur le plateau de « C à vous » le 5 mars 2021, le Ministre de la Justice indiquait vouloir désormais parler de secret de la défense et non plus de secret professionnel des avocats - par comparaison avec le secret médical et le secret des sources. Cette subtilité terminologique laissait entrevoir la fin de ce qui restait du secret en matière de conseil.

Heureusement, un mois plus tard, la députée Naïma MOUTCHOU, très active au soutien de la défense des droits des justiciables, portait un amendement n° CL479 tendant à voir reconnaitre le secret de la défense ET du conseil. Cet amendement fut adopté par l’Assemblée Nationale.

Comment alors expliquer le spectaculaire et inadmissible revirement opéré par la Commission Mixte Paritaire du 21 octobre dernier ?

L’étude des travaux parlementaires est trop souvent négligée alors qu’elle est tout à fait digne d’intérêt.

Livrons nous à un petit d’exercice archéologie parlementaire :

Le texte tel qu’adopté par l’Assemblée Nationale (article 3) était simple : l’article préliminaire du code de procédure pénale devait renvoyer à l’article 66-5 de la loi de 1971 - et donc au secret en matière de conseil et de défense. Point d’exception envisagée alors.

Le Sénat, invité à son tour à se prononcer sur le texte, s’est opposé à la rédaction proposée par l’Assemblée comme étant trop large.

Il faut lire les raisons de cette méfiance (voir notamment ici : http://www.senat.fr/lessentiel/pjl20-631.pdf).

Consoeurs, Confrères, assurez-vous que le dossier de votre siège est bien arrimé :

« L’extension du secret professionnel de l’avocat à l’activité de conseil en matière pénale inquiète les professionnels chargés de mener les enquêtes en matière économique et financière. D’une manière générale, les rapporteurs regrettent que le projet de loi introduise de nouveaux éléments de complexité et alourdisse encore la tâche des magistrats et des enquêteurs en matière pénale. Alors que la justice a obtenu depuis quelques années de notables augmentations de ses moyens budgétaires et de ses effectifs, une bonne partie des marges de manœuvre ainsi dégagées risque être absorbée par la gestion de cette complexité croissante ».

Oserais-je traduire ainsi : Nous n’avons pas les moyens d’enquêter en matière financière, merci donc de ne pas nous fermer les portes des cabinets afin que nous puissions encore interpeller des suspects.

On retrouve en tout cas dans la formulation de la communication précitée les arguments régulièrement développés par les services de BERCY et le PNF - le fameux cabinet « coffre-fort » des voyous en col blanc.

C’est dans ces conditions que plusieurs amendements tendant à limiter le secret ont été déposés, discutés puis adoptés au Sénat et ce en dépit d’une très belle opposition de certains pensionnaires du Palais du Luxembourg qui mérite d’être retranscrite :

Jean-Baptiste BLANC, Sénateur LR d’abord :

« Quelque 70 000 avocats de France sont vent debout, ce soir, contre cette disposition. Il faut à tout le moins entendre cette colère, me semble-t-il (…). Ce secret s’entend comme un tout : il couvre toutes les matières du droit, dans tous les domaines d’activité de l’avocat, que l’on parle de consultation, de correspondance, d’entretien ou de défense. J’invite vraiment la Haute Assemblée à se pencher sur ce texte, qui est très important et potentiellement grave pour cette profession. Si l’on veut vraiment rétablir la confiance dans la justice, commençons par la rétablir envers les avocats ».

Puis Guy BENARROCHE, Sénateur du groupe écologie :

« Véritable sanctuaire pour l’exercice même de la profession d’avocat, le secret professionnel repose sur la garantie de deux droits fondamentaux : le droit de se confier à un avocat sans crainte que ces confidences soient un jour utilisées contre son consentement et servent de fondement à une incrimination, corollaire du droit de ne pas s’auto-incriminer ; le droit de recueillir les consultations juridiques d’un avocat en toute matière sans crainte de voir un jour ces consultations utilisées contre soi ».

Enfin, Elsa SCHALCK, Sénatrice LR :

« Le secret professionnel est la base de la relation de confiance entre l’avocat et son client. Cette sécurité de l’échange est la condition sine qua non d’un conseil éclairé et de qualité, et donc d’une meilleure application de la règle de droit dans la société ».

Ces propos peuvent être retrouvés

- ici : http://www.senat.fr/seances/s202109/s20210928/s20210928023.html#section3293

- et là en vidéo (7 premières minutes) : https://www.publicsenat.fr/emission/les-matins-du-senat/confiance-dans-la-justice-le-senat-adopte-le-texte-en-le-modifiant

Le rapporteur, Monsieur BONNECARRERE, s’est inscrit en faux, plaidant pour une limitation du secret en certains matières, assénant au passage quelques sophismes qu’il me serait douloureux de reproduire…

Toujours est-il que cette opposition Assemblée/Sénat a abouti à la fameuse CMP « conclusive » qui, en moins d’une heure, a tranché la question du secret et proposé un texte mal rédigé et dangereux (consultable en intégralité ici : http://www.senat.fr/leg/pjl21-084.html

Ainsi, le secret n’est-il plus garanti en matière financière (article 56-1-2 1°). Il y aurait donc un retour à l’ancienne jurisprudence qu’il était précisément question de revoir. De plus, le secret s’efface encore « Lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction » (article 56-1-2 2°).

Ce dernier alinéa, dont il n’avait jamais été question dans les débats parlementaires auparavant, est purement et simplement incompréhensible et laisse la porte ouverte à des interprétations particulièrement restrictives de la portée du secret et ce en toute matière - il est fait référence à « une infraction » et non aux infractions citées dans le 1°.

Il y a donc là une atteinte indéfinie, inédite et intolérable au secret professionnel.

En outre, pratiquement, le Bâtonnier intervenant en perquisition sera pieds et poings liés et ne pourra guère faire valoir de contestations au regard du large spectre induit par la rédaction du futur article 56-1-2 2°. Car ne nous trompons pas, derrière les termes amphigouriques du texte, c'est bien le Bâtonnier, protecteur du secret, qui est attaqué.

Cette méthode est d’autant plus révoltante lorsque l’on sait que Députés et Sénateurs auraient pu maintenir leurs désaccords pour provoquer un nouveau débat et, peut-être, consultater à nouveau nos instances.

Ils n’en ont rien fait et ne peuvent désormais plus modifier, en tant que tel, le texte.

Il va de soi que la profession va devoir se mobiliser...

Deux espoirs demeurent, bien qu’ils peinent à nous emplir d’optimisme.

Il s’agit d’une part, des recours envisageables, notamment constitutionnels.

Il s’agit d’autre part de la faculté pour le gouvernement à recourir à un amendement visant à revenir à l’état initial du texte.

Le Ministre de la Justice ayant affirmé « le secret professionnel des avocats sera restauré », ça devrait aller… Non ?