L'outil juridique constitué par les espaces stratégiques agricoles (ESA) est très certainement le plus connu du Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDuC).
Et pour cause, les ESA ont vocation à régir des espaces qui concentrent des enjeux majeurs sur l'île (production agricole, lutte contre l'artificialisation des sols, spéculation foncière...).
En outre, la création des ESA et leur stabilisation juridique sont le fruit d'une histoire procédurale particulièrement mouvementée.
Le principe des ESA (et sa cartographie) a été approuvé avec le PADDuC le 2 octobre 2015.
Toutefois, en raison d'une erreur de reprographie lors de l'enquête publique, la carte des espaces stratégiques agricoles a été annulée par le tribunal administratif de Bastia le 1er février 2018.
L'Assemblée de Corse a donc été contrainte, par une délibération en date du 5 novembre 2020, d'approuver une nouvelle carte délimitant les espaces stratégiques agricoles.
Cette nouvelle délibération a d'abord été annulée par le tribunal administratif de Bastia le 29 avril 2022 en raison d'erreurs d’appréciation sur certaines zones.
Finalement, la cour administrative d'appel de Marseille, dans un arrêt du 3 juillet 2023, a rétabli la carte des espaces stratégiques agricoles (en retenant toutefois certaines erreurs dans l'identification de certains ESA).
Les pourvois devant le Conseil d'Etat n'ayant pas été admis, la procédure contentieuse est désormais terminée et la carte des espaces stratégiques agricoles est désormais fixée.
Il est toutefois nécessaire de rappeler que malgré les deux décisions défavorables du tribunal administratif de Bastia, les ESA n'ont jamais été remis en cause dans leur principe.
C'est-à-dire que l'outil juridique consistant à préserver les terres agricoles en Corse et les modalités d'identification de ces espaces par le PADDuC ont toujours été validés par le juge administratif.
Les débats portaient essentiellement sur la cartographie qui a attiré toute l'attention médiatique des acteurs de l'urbanisme en Corse.
Malgré cette focalisation sur la carte des ESA, sa simple consultation n'est pas suffisante pour identifier les règles applicables.
En effet, en raison de son échelle (1/50000), il est impossible de déterminer précisément les parcelles concernées et de nombreux maires ont pu se plaindre des espaces retenus lors de l'élaboration du PADDuC (certains espaces concernent des zones urbanisés).
Cette cartographie, par nature imprécise, est en outre couplée à une affectation pour chaque commune d'une superficie d'ESA sur leur territoire.
Ces différents éléments ont semé le trouble chez certains maires qui se demandaient si, pour respecter le PADDuC, ils n'étaient pas contraints de raser les constructions existantes sur leur commune.
Ce n'est manifestement pas l'état du droit puisque, de l'aveu même du Président de l'Agence d’Aménagement durable, d’Urbanisme et d’Energie de la Corse, de nombreux espaces stratégiques agricoles ont été consommés depuis 2015 alors même qu'ils avaient été identifiés par le PADDuC.
En cause notamment, l'instabilité juridique liée aux annulations successives de la carte des espaces stratégiques agricoles.
Cela démontre, si besoin en était, qu'il est nécessaire, pour tous les acteurs, de maîtriser le droit applicable aux ESA et de savoir appréhender cet outil juridique.
Avant de présenter ce régime juridique, il est nécessaire de revenir aux sources cette réglementation.
Il faut rappeler que l'un des objectifs du PADDuC est de protéger les espaces agricoles et sylvicoles.
Il s'agit d'un enjeu essentiel sur un territoire qui souffre de la spéculation immobilière et des difficultés à mettre en œuvre des politiques d'aménagement ambitieuses.
Au-delà de ces questions, il y a également une réelle volonté de gagner en indépendance alimentaire.
La volonté des auteurs du Padduc était doubler la production agricole et sylvicole à trente ans en corrigeant les évolutions observées de l’occupation du sol (artificialisation, pression foncière et sous-mobilisation).
C'est la raison pour laquelle les espaces agricoles qui présentent une forte potentialité sont classés en ESA au sein du PADDuC.
Le Schéma d'Aménagement précise, pour chaque commune, la surface d’espaces stratégiques agricoles retenue.
Il suffit de se reporter au tableau inséré dans ce document pour connaitre, à titre indicatif, les surfaces d’espaces stratégiques agricoles par commune.
La surface totale d’espaces stratégiques agricoles sur l'ensemble du territoire insulaire est aujourd'hui de 101 844 ha.
La Corse présente une superficie totale de 870 000 ha.
Il est donc nécessaire de maîtriser les règles applicables à des espaces qui représentent 11,7% du territoire insulaire.
L'ambition de cette fiche est de présenter :
- Les principes généraux des espaces stratégiques agricoles.
- Les modalités de transcription des espaces stratégiques agricoles au sein des documents d'urbanisme.
- Les critères d'identification des espaces stratégiques agricoles.
- Les règles opposables au sein des espaces stratégiques agricoles.
1. Les principes généraux des espaces stratégiques agricoles
Les espaces stratégiques agricoles sont régis par les dispositions du II de l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales.
Il ressort de cet article que :
" Le plan d'aménagement et de développement durable de Corse peut, compte tenu du caractère stratégique au regard des enjeux de préservation ou de développement présentés par certains espaces géographiques limités, définir leur périmètre, fixer leur vocation et comporter des dispositions relatives à l'occupation du sol propres auxdits espaces, assorties, le cas échéant, de documents cartographiques dont l'objet et l'échelle sont déterminés par délibération de l'Assemblée de Corse.
En l'absence de schéma de cohérence territoriale, de plan local d'urbanisme, de schéma de secteur, de carte communale ou de document en tenant lieu, les dispositions du plan relatives à ces espaces sont opposables aux tiers dans le cadre des procédures de déclaration et de demande d'autorisation prévues au code de l'urbanisme."
Plusieurs observations doivent être formulées à la lecture de ces dispositions.
De première part, le législateur considère que certains espaces géographiques limités présentent un caractère stratégique au regard des enjeux de préservation ou de développement.
En raison de ce caractère stratégique, il offre trois possibilité aux auteurs du PADDuC.
D'abord, les auteurs du PADDuC sont compétents pour définir le périmètre de ces espaces, c'est-à-dire pour déterminer la zone géographique concernée par les enjeux stratégiques évoqués.
Ensuite, il est loisible aux auteurs du PADDuC de fixer la vocation de ces espaces stratégiques.
Cela signifie que les documents du PADDuC doivent assigner une destination précise et un rôle spécifique à ces espaces, spécifiquement en matière agricole.
Enfin, et surtout, les auteurs du PADDuC peuvent intégrer des dispositions relatives à l'occupation du sol propres aux espaces stratégiques agricoles.
Le PADDuC va donc déterminer des règles spécifiques sur ces espaces qui vont avoir un effet contraignants sur les politiques d'aménagement (au sein des documents d'urbanisme) et sur les autorisations d'urbanisme (pour les pétitionnaires notamment).
De deuxième part, les auteurs du PADDuC disposent également de la possibilité d'assortir ces espaces stratégiques de documents cartographiques.
L'objet et l'échelle de ces documents cartographiques sont déterminés par délibération de l'Assemblée de Corse.
Nous l'avons vu, la cartographie des espaces stratégiques agricoles a fait l'objet d'un contentieux particulièrement riche.
L'on notera que l'Assemblée de Corse a fait le choix d'établir une carte à l'échelle de 1/50000 (1cm sur la carte représente 500 mètres) qui identifie, par aplats de couleur jaune sans contour, les espaces stratégiques agricoles.
En raison de la fonction du PADDuC, qui est un document régional, la cartographie n'a pas vocation à identifier pour chaque parcelle sa situation au sein d'un espace stratégique agricole.
Ce n'est qu'à l'occasion de l'élaboration des documents d'urbanisme que l'inclusion ou l'exclusion d'une parcelle au sein des espaces stratégiques agricoles sera possible.
Il faut noter que l'échelle retenue pour la carte des ESA a un effet utile puisqu'elle permet de donner une certaine marge d'appréciation aux communes pour identifier précisément les ESA en tenant compte des critères d'identification.
De troisième part, et bien que cela ne ressorte pas du texte, il faut rappeler que le PADDuC, et donc les ESA, ne s'imposent aux plans locaux d'urbanisme et aux documents d'urbanisme qu'en termes de compatibilité.
Certes, les objectifs fixés par le PADDuC peuvent être en partie exprimés sous forme quantitative, ce qui est notamment le cas pour les surfaces d'ESA par commune.
Néanmoins, il appartient aux auteurs d'un plan local d'urbanisme, qui déterminent les partis d'aménagement à retenir en prenant en compte la situation existante et les perspectives d'avenir, d'assurer, non leur conformité aux énonciations du Padduc mais leur compatibilité avec les orientations générales et les objectifs qu'il définit.
Pour apprécier la compatibilité d'un plan local d'urbanisme avec le PADDUC, une grille d'analyse est très classiquement fournie par la jurisprudence.
Il convient de rechercher, dans le cadre d'une analyse globale conduisant à se placer à l'échelle de l'ensemble du territoire couvert en prenant en compte l'ensemble des prescriptions du document supérieur, si le plan ne contrarie pas les objectifs qu'il impose, compte tenu des orientations adoptées et de leur degré de précision, sans rechercher l'adéquation du plan à chaque disposition ou objectif particulier.
En d'autres termes, dans le cadre d'un rapport de compatibilité, une conformité stricte avec la cartographie du PADDuC et les indications en termes de surface des ESA par commune n'est pas attendue.
Une marge d'appréciation est possible si les objectifs du PADDuC ne sont pas contrariés.
De quatrième et dernière part, le code général des collectivités territoriales précise qu'en l'absence de schéma de cohérence territoriale, de plan local d'urbanisme, de schéma de secteur, de carte communale ou de document en tenant lieu, les dispositions du plan relatives aux espaces stratégiques agricoles sont directement opposables aux tiers dans le cadre des procédures de déclaration et de demande d'autorisation prévues au code de l'urbanisme.
En d'autres termes, les orientations réglementaires du PADDuC concernant les ESA sont directement opposables aux autorisations d'urbanisme en l'absence de document d'urbanisme sur le territoire communal.
Cet état du droit a son importance dans la mesure où de nombreuses communes en Corse ne disposent pas de documents d'urbanisme.
Toutefois, cette situation peut également avoir des effets pervers lorsque de vieux documents d'urbanisme n'ont pas été mis en compatibilité avec le Padduc et maintiennent, dans leurs zones urbaines, des parcelles classées en ESA.
2. Les modalités de transcription des espaces stratégiques agricoles au sein des documents d'urbanisme
- Les objectifs du document d’objectif agricole et sylvicole prioritairement de dimension intercommunale ou micro-régionale
Il est nécessaire d'apprécier comment les communes doivent transcrire les espaces stratégiques agricoles au sein de leur plan local d'urbanisme.
En sus du respect du rapport de compatibilité, le PADDuC impose une grille d'analyse spécifique.
En effet, la compatibilité des documents d'urbanisme avec le PADDuC devra s'apprécier en
contrepartie de la réalisation d’une démarche pour l’agriculture au travers de la réalisation d’initiatives prévues par un document d’objectif agricole et sylvicole prioritairement de dimension intercommunale ou micro-régionale qui intègre le continuum plaine-montagne.
Le PADDuC impose donc, à une échelle supra-communale, la réalisation d'un document d’objectif agricole et sylvicole qui intègre le continuum plaine-montagne.
La réalisation du document d'objectif agricole et sylvicole doit répondre à trois objectifs.
D'abord, le document permettra d'étudier et de quantifier l’ensemble des opportunités dont dispose les territoires sur le plan agricole et forestier.
Le document doit traduire ces opportunités dans un plan d’action qui a vocation à mobiliser les acteurs du territoire et ses ressources.
Il s'agit du volet "développement".
Ensuite, le PADDuC identifie parfaitement les difficultés juridiques et opérationnelles des terres agricoles en Corse.
Il est donc précisé que les initiatives qui en découlent doivent permettre de pallier les difficultés foncières liées à l’indivision, au morcellement parcellaire, aux absences de titre ou encore aux faiblesses en termes d’aménagement et d’équipement.
Il s'agit du volet "mobilisation foncière".
Enfin, la réalisation du document d’objectif agricole et sylvicole doit aussi permettre la transcription dans les territoires des orientations du PADDuC relatives à la protection des espaces agricoles.
A ce titre, le document doit quantifier les indicateurs relatifs à la consommation des espaces agricoles (dont les espaces stratégiques définis par le PADDuC) et envisager l’évolution de ceux-ci au regard des hypothèses du plan d’action.
Il s'agit du volet "protection/compensation".
En synthèse donc :
- La mise en compatibilité des documents d’urbanisme avec le PADDUC est réalisée sur la base d’un document d’objectif agricole et sylvicole prioritairement de dimension intercommunale ou micro-régionale.
- Le document doit prévoit la mise en œuvre effective d’un processus de compensation, de mobilisation et de viabilisation des zones agricoles.
- Ce projet doit être mis en œuvre de façon effective, donc opérationnelle.
- La protection des terres agricoles et pastorales doit s’accompagner d’initiatives réelles et efficientes en matière de mobilisation et d’aménagement du foncier rural et forestier.
- La méthodologie d'élaboration du document d’objectif agricole et sylvicole prioritairement de dimension intercommunale ou micro-régionale
En plus de son contenu, la réalisation du document d'objectif agricole et sylvicole est encadrée par une méthodologie précise donnée par le PADDuC.
Cette méthodologie prévoit plusieurs étapes.
D'une première part, la réalisation d’un diagnostic comprenant la cartographie des espaces agricoles à une échelle opérationnelle.
Il est précisé que ce diagnostic doit permettre :
- D’apporter tous les éléments pour poser la question du type d’agriculture voulue par le territoire et de son type de relation avec la vie du territoire ;
- Une prise en compte fidèle des activités agricoles en place : potentialités et caractéristiques de l’activité agricole sur la commune. Il doit aussi intégrer les projets agricoles connus, en fonction de la qualité des terrains agricoles (potentiel agronomique, fonctionnalités), des projets de développement des agriculteurs et des candidats à l’installation ;
- De réaliser la cartographie intercommunale ou communale des terres agricoles selon l’importance de leur enjeu en spécifiant les espaces stratégiques ;
- D’apprécier l’impact de l’urbanisation passée et future sur les espaces agricoles. Le DOCOBAS s’intéresse à l’historique de consommation des espaces et aux évolutions récentes des fronts urbains.
De deuxième part, la définition d’un projet comprenant :
- Une orientation agricole pour le territoire, et validée par celui-ci ;
- La définition d’un périmètre de projet à mobiliser pour l’agriculture ;
- Un plan d’action visant à maîtriser et mobiliser le foncier agricole et à compenser les pertes de foncier agricole, qui pourrait s’articuler autour :
des outils de maîtrise du foncier : l’Office foncier de Corse, outil déterminant de la mise
en œuvre des politiques, la SAFER, le Conservatoire de l’Espace Littoral et des Rivages
Lacustres …
des outils de mobilisation du foncier : droit de préemption, Association Foncière Pastorale, Coopérative Forestière, Association Syndicale Libre, la mise en valeur des terres incultes ou manifestement sous-exploitées pour exploiter l’ensemble des potentiels productifs agricoles, sylvicoles et pastoraux de l’île, il faut notamment agir sur le regroupement des propriétaires et amplifier les démarches foncières territoriales …
des outils d’aménagement : aménagement foncier agricole et forestier, désenclavement et desserte des espaces productifs par des infrastructures routières, équipement d’irrigation agricole …
des outils de protection renforcée : mise en place de Zones Agricoles Protégées (ZAP), Périmètre de Protection et de Mise en valeur des Espaces Agricoles et Naturels Périurbains (PAEN ou PPEANP), classement au titre de la protection des monuments naturels …
De troisième part, ce processus doit justifier l’ouverture ou le maintien des zones à bâtir et le plan d’actions doit permettre de compenser si il y a eu perte de foncier agricole et doit définir un projet de compensation avec des propositions spécifiques visant à :
- Rééquilibrer les usages du territoire (dimensionnement du projet) ;
- Mettre en œuvre une protection renforcée lorsque des niveaux d’alerte sont atteints (dynamique d’artificialisation critique, dysfonctionnement du marché agricole, …) ;
- Aménager (aménagements fonciers et physiques).
Au regard de ces différents éléments, il appartient aux documents locaux d’urbanisme de localiser les ESA (SCoT) ou de les délimiter (PLUi, PLU, cartes communales) chacun à leur échelle.
- Le respect des principes du droit de l'urbanisme
Naturellement, la traduction du PADDuC dans les documents d'urbanisme doit respecter les principes essentiels du droit de l'urbanisme.
Dès lors, les auteurs des documents d'urbanisme doivent s'assurer de respecter différents principes.
- Le principe de solidarité résultant de l’objectif quantitatif fixé au niveau du territoire régional, à savoir, garantir la préservation d’au moins 101 844 hectares et décliné commune par commune ;
- Le principe d'équilibre de l'article L. 121-1 du code de l'urbanisme.
De ce fait, pour la mise en œuvre des autres orientations du PADDuC, les documents d'urbanisme localisent ou délimitent les espaces stratégiques agricoles en tenant compte :
- de la ventilation par commune des surfaces d’Espaces Stratégiques Agricoles ;
- des emprises destinées à accueillir l’implantation d’installations structurantes d’intérêt public collectif contribuant à un développement durable et à la transition écologique et énergétique de la Corse et les installations d’extraction des ressources naturelles locales (gravières, carrières) ;
- des emprises manifestement artificialisées à la date d’approbation du PADDUC ;
- des secteurs constructibles des documents d’urbanisme (secteurs U, AU simples et AU stricts des PLU, secteurs constructibles des cartes communales, secteurs U et NA des POS) en vigueur à la date d’approbation du PADDUC
- des besoins justifiés d’urbanisation et d’équipements, dans une limite strictement compatible avec la quantification par commune des surfaces d’Espaces Stratégiques Agricoles.
Il est bien évidemment précisé que :
"Lorsque les documents locaux d’urbanisme localisent (SCOT) ou délimitent (PLU, carte communale) les ESA, en mettant en œuvre les dispositions ci-dessus énoncées, soustrayant ainsi à des fins non agricoles les ESA tels que localisés dans la carte n° 9, ils doivent pour autant impérativement respecter l’objectif global de préservation d’au moins 105 000 ha d’ESA, et sa déclinaison commune par commune telle que précisée dans le livret III.
Pour respecter cet objectif quantitatif, ils doivent identifier les terres répondant aux critères qualitatifs caractérisant les ESA et les classer à ce titre, en zone à vocation agricole stricte."
3. Les critères d'identification des espaces stratégiques agricoles
- Les critères d'identification
Les Orientations Réglementaires du PADDuC indiquent les modalités d'identification des espaces stratégiques agricoles.
Il est indiqué que les espaces stratégiques ont été identifiés selon les critères
alternatifs suivants :
- Leur caractère cultivable (pente inférieure ou égale à 15%dans les conditions et pour les catégories d'espaces énoncées au chapitre II.B.2 p.144 du livret Orientations Réglementaires) et leur potentiel agronomique ;
- ou leur caractère cultivable (pente inférieure ou égale à 15% dans les conditions et pour les catégories d'espaces énoncées au chapitre II.B.2 p.144 du livret Orientations Réglementaires) et leur équipement par les infrastructures d’irrigation ou leur projet d’équipement structurant d’irrigation.
Plusieurs éléments d'identification ressortent des Orientations Réglementaires du PADDuC.
D'abord, le caractère cultivable résulte d'une pente inférieure ou égale à 15%.
L'appréciation de ce critère a été affinée par la jurisprudence.
Initialement, le juge administratif retenait tout simplement qu'une pente moyenne supérieure à 15% permettait d'écarter les contraintes des espaces stratégiques agricoles.
La juridiction administrative a ainsi pu juger que :
"En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que les parcelles en cause présentent une pente moyenne supérieure à 15 %. Dès lors, les requérants sont fondés à soutenir que le classement de leurs parcelles en zone non constructible du plan local d'urbanisme est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation." (Tribunal administratif de Bastia, 6 décembre 2022, n° 2100399)
Ou encore que :
"Il ressort des pièces du dossier et du site officiel Géoportail accessible au juge comme aux parties que le terrain devant accueillir la division parcellaire projetée présente une pente supérieure à 15 %. Dans ces conditions, c'est à bon droit que la SARL (...) soutient qu'en se fondant sur les prescriptions du PADDUC relatives aux espaces stratégiques agricoles, le préfet de la Corse-du-Sud a commis une erreur d'appréciation." (Tribunal administratif de Bastia,18 novembre 2022, n° 2100479).
Toutefois, dans des décisions plus récentes, les juges ont précisé l'appréciation du critère de la pente.
Ainsi, selon le juge, " Il résulte de ces prescriptions que le critère de la pente inférieure ou égale à 15 % ne doit être compris que comme devant s'appliquer de manière relative pour les espaces améliorables à forte potentialité (classés P1 et P2 dans l'étude pour un zonage agro-sylvo-pastoral SODETEG) et les espaces cultivables au travers un masque sur le Niolu et à la lisière de la plaine orientale." (Tribunal administratif de Bastia, 15 février 2024, n° 2200722 ; Tribunal administratif de Bastia, 26 octobre 2023, n° 2200220 ; Tribunal administratif de Bastia, 1 février 2024, n° 2200540).
Ainsi, le critère de la pente inférieure ou égale à 15% peut être relativisé dans deux cas :
- Pour les espaces améliorables à forte potentialité (classés P1 et P2 dans l'étude pour un zonage agro-sylvo-pastoral SODETEG) ;
- Pour les espaces cultivables au travers un masque sur le Niolu et à la lisière de la plaine orientale.
Ensuite, le Padduc retient également un critère d'identification relatif au potentiel agronomique des sols.
De nombreuses études ont été réalisées et sont recensées par la Padduc.
Il est donc possible de s'y référer pour apprécier la potentialité agricole d'un terrain, en plus de tout élément utile.
Cela étant, le critère de la potentialité agricole d'un site doit faire l'objet d'une attention toute particulière.
Ainsi, une commune qui se borne à soutenir que le terrain est inscrit au registre parcellaire graphique en tant que surfaces pastorales avec ressources fourragères n'apporte pas de précision suffisante relative au potentiel agronomique de ces terres au regard des catégories d'espaces identifiées par le livret IV du PADDUC (Tribunal administratif de Bastia,
1 février 2024, Commune de Cargese, n° 2200540).
Il faut également noter que le tribunal administratif de Bastia considère que la présence de constructions sur le terrain ne saurait lui ôter sa potentialité agricole (Tribunal administratif de Bastia, 26 octobre 2023, n° 2200220).
Enfin, il convient de tenir compte, pour déterminer les espaces stratégiques agricoles, de leur équipement par les infrastructures d’irrigation ou leur projet d’équipement structurant d’irrigation.
- Les exemples jurisprudentiels
Depuis l'approbation du PADDuC, le tribunal administratif de Bastia a été saisi à plusieurs reprises de contentieux portant sur les ESA.
Il en ressort une jurisprudence certes peu conséquente mais particulièrement instructive pour comprendre la logique juridique qui anime les ESA.
Ainsi, à l'occasion d'un recours contre un PLU, le requérant devra donner au juge des éléments suffisants pour lui permettre de déterminer si, à l'échelle du territoire communal, l'objectif de préservation des espaces stratégiques agricoles a été respecté (Tribunal administratif de Bastia, 26 octobre 2023, Commune de Luri, n° 2100676 ;Tribunal administratif de Bastia, 26 octobre 2023, Commune de Luri, n° 2100677).
Un plan local d'urbanisme n'est pas incompatible avec le PADDuC en ne s'écartant, pour les ESA, que de 1% de l'objectif de protection énoncé par le PADDuC, en l'occurence 9,18 ha de terres relevant des ESA classées en zone constructible (Tribunal administratif de Bastia, 29 septembre 2022, Commune d'Oletta, n° 2100007).
En revanche, en permettant que plus de 14 % de la surface totale des espaces stratégiques agricoles de la commune soient ouverts à l'urbanisation, le plan local d'urbanisme s'écarte de façon trop importante de l'objectif fixé par le PADDuC (Tribunal administratif de Bastia,
17 février 2022, Commune de Bonifacio, n° 2000902).
De même, s'écarte de façon importante de l'objectif fixé par le PADDUC, le PLU dans lequel la consommation d'espaces agricoles n'apparaît pas justifiée par la satisfaction des autres objectifs fixés par le PADDUC et qu'il a été choisi de ne pas classer en espace stratégique agricole au moins 50 hectares de terrains remplissant les critères d'éligibilité pour les ouvrir à l'urbanisation tandis que, sur les 402 hectares de terrains classés en espace stratégique agricole délimités par le plan, il est constant que, au regard des données relatives à la nature et à la potentialité des sols, que près de 89 hectares de terres ne correspondent pas aux critères d'éligibilité (Tribunal administratif de Bastia, 10 octobre 2019, Commune de Propriano, n° 1800989).
Enfin, il est possible, à l'occasion d'un litige portant sur une autorisation d'urbanisme, d'exciper de l'incompatibilité du PLU avec le Padduc, en soutenant que le zonage de la parcelle au sein ou en dehors des espaces stratégiques agricoles du Padduc est illégale (Voir sur le principe : Tribunal administratif de Bastia, 16 mars 2017, n° 1600558)
Il est donc possible pour un requérant, qui s'est vu refuser son projet, de contester l'implantation de son projet au sein des espaces stratégiques agricoles.
Le tribunal administratif de Bastia rappelle que pour faire valoir que le terrain devant accueillir le projet ne répond pas aux critères permettant d'identifier un ESA, il est nécessaire d'apporter des éléments de nature à remettre en cause la légalité d'un tel classement (Tribunal administratif de Bastia, 15 février 2024, n° 2200722).
4. Les règles opposables au sein des espaces stratégiques agricoles
Les Orientations Réglementaires du PADDuC fixe des règles spécifiques au sein des ESA qui, il est nécessaire de le rappeler, sont directement opposables aux autorisations d'urbanisme dans les communes dépourvues de document d'urbanisme.
Les Espaces Stratégiques Agricoles sont préservés par le PADDuC.
Dès lors, à ce titre :
- Ils doivent être maintenus dans leur ensemble pour assurer une continuité fonctionnelle. À cette fin, la continuité des voies de communication nécessaires à la circulation des engins agricoles et des troupeaux est à maintenir et à rétablir chaque fois que cela est possible.
- L’absence d’exploitation ou l’existence d’une friche ne saurait justifier l’extension de l’urbanisation.
- Ils sont spécifiquement identifiés dans les documents d’urbanisme locaux en zone A affectée d’un indice ;
- Lorsqu’ils sont le support d’une exploitation forestière ou d’une activité de loisirs en forêt, ils sont classés en zone naturelle et forestière.
Le PADDuC précise que les espaces stratégiques agricoles sont régis par un principe général d’inconstructibilité.
Dans ces espaces, peuvent seuls être autorisés :
- Les constructions et installations strictement nécessaires tant en superficie qu’en volume, au fonctionnement et au développement d’une exploitation agricole ou pastorale significative.
- Les constructions à usage de logement liées et nécessaires à l’exploitation agricole, dans la mesure où celle-ci requiert une présence permanente toute l’année en considération de la nature de l’activité et de la charge générée. En outre, afin de réduire la consommation d’espaces agricoles et dans le respect de leurs fonctionnalités, les bâtiments afférents à une même exploitation doivent être regroupés. Dans les Espaces Proches du Rivage, ces bâtiments doivent en outre être intégrés au paysage.
- La réfection et l'extension des bâtiments d’habitation existants à la date d'approbation du PADDuC, conformément à la réglementation en vigueur.
- Le changement de destination des bâtiments désignés par le règlement du document local d’urbanisme, en zone agricole, dès lors que ce changement de destination ne compromet pas l’activité agricole du site ; le changement de destination est soumis en zone A à l’avis conforme de la CTPENAF.
- Les constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs ou à des services publics, y compris les Installations de Stockage de Déchets Non Dangereux, conformément à la règlementation en vigueur et à la triple condition : qu'elles ne soient pas incompatibles avec l'exercice d'une exploitation agricole ou pastorale, qu'elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, et sous réserve de justifier qu’aucun autre emplacement ou aucune autre solution technique n’est envisageable à un coût économique ou environnemental acceptable.
- Les travaux et aménagements nécessaires à la protection contre les risques (incendies et feux de forêt, inondation,…).
L'on ne peut donc que conseiller aux acteurs de l'urbanisme en Corse de se référer aux règles spécifiques du PADDuC lorsqu'ils rencontrent la problématique des espaces stratégiques agricoles.
Un audit des règles applicables au terrain est évidemment plus que nécessaire.
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