Le Juge des référés, saisi d’une demande de désignation d’un expert judiciaire (article 145 Code de Procédure Civile), avec mission de déterminer les limites de propriétés entre deux propriétés contiguës, est-il compétent ?

Au sens de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

L’article 12 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que le juge « doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée »

En ce sens la demande sous couvert d’un référé in futurum de la désignation d’un expert judicaire ayant pour mission de déterminer les limites de propriétés entre deux parcelles doit être requalifiée en action en bornage.

En effet, le bornage est l’opération qui consiste à déterminer, entre les propriétaires de deux propriétés contiguës, la ligne séparative de ces propriétés, et à marquer cette ligne par des signes extérieurs appelés « bornes ».

Le bornage est soit amiable soit judiciaire.

L’article 646 du code civil qui dispose que « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës » créé une procédure spécifique confiée au tribunal judiciaire. »

La détermination des limites de propriété, de l’emplacement ou l’empiètement d’une clôture ne peut être établie sans bornage.

L’article R211-3-4 du Code de l’organisation judiciaire dispose que « Le tribunal judiciaire connaît des actions en bornage. »

Aucune expertise judiciaire ne peut donc être ordonnée tant qu’un bornage n’a pas été réalisé puisque les parties ne sont pas d’accord sur la délimitation de leur terrain respectif.

La CA Reims, 28 nov. 2007, n° 06/01669 a retenu que :

« Attendu que les parties sont contraires sur la nature du mur séparatif des deux fonds, de sorte que le juge de référés ne saurait, sans méconnaître les limites de ses attributions, ordonner une expertise postulant l’existence d’un mur privatif, ni même trancher cette question préalablement à toute expertise, ce qui ne lui est au demeurant pas demandé ;

Que, partant, la mesure d’instruction ne peut être ordonnée en référé en ce qu’elle tendrait à la recherche d’un éventuel empiétement et du coût des solutions pour y remédier ;

 Que pour le surplus, la demande présentée par Monsieur O P, quelle que soit la qualification qu’il entend lui donner, consiste bien en une fixation, sous couvert d’expertise, des limites respectives des terrains respectifs des parties, autrement dit une action en bornage telle que définie par l’article 646 du code civil, étant rappelé que le juge tient de l’article 12 du Nouveau Code de Procédure Civile, le devoir de donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux ;

Qu’une telle demande ressortissant exclusivement à la compétence du tribunal d’instance, par application des dispositions de l’article R.321-9 du Code de l’Organisation Judiciaire, c’est à bon droit que le premier juge, s’il a, à tort, invoqué les dispositions de l’article 808 du Nouveau Code de Procédure Civile, a en tout état de cause invité le demandeur à mieux se pourvoir, rejeté sa réclamation au titre des frais irrépétibles, et l’a condamné au dépens ; »

Ou encore la Cour d’appel de Bastia, Ch. civile a, 16 décembre 2009, n° 08/00937 :

« En l’espèce, force est de constater que l’action engagée en référé par les époux X aux fins de voir organiser une mesure d’expertise avec la mission rappelée dans l’exposé du litige s’analyse en réalité en une action en bornage, qui ne relève pas de la compétence du tribunal de grande instance.

Dès lors, il convient d’infirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a débouté les époux X de leur demande, et statuant de nouveau, de dire que le tribunal de grande instance statuant en référé est incompétent pour statuer sur leur demande. »

Plus récemment, la Cour d’Appel de Colmar, Chambre 2 a, 16 avril 2021, n° 20/03031 a rappelé que :

« Enfin, ainsi que le relève Mme Y, la SCI XXX qui ne sollicite plus expressément à hauteur de cour que l’expert ait pour mission de ‘ se prononcer sur les limites de propriété des parties’, admet toutefois dans ses conclusions d’appel, en page 6, que le géomètre expert désigné ‘devra nécessairement au préalable relever les limites de propriété pour connaître l’empiétement’. La limite séparative étant contestéela détermination d’un éventuel empiétement suppose nécessairement, au préalable, le rétablissement des limites, de sorte que c’est à bon droit que le premier juge a retenu que la demande relevait d’une action en bornage, laquelle était, à la date de l’assignation, de la compétence exclusive du tribunal d’instance et relève désormais de celle du tribunal judiciaire.

 Dès lors, la cour confirmera l’ordonnance dont appel qui a déclaré le juge des référés incompétent pour connaître d’une telle demande. »

Pour conclure, le juge des référés du tribunal judiciaire n’a pas compétence pour statuer sur une action en bornage, laquelle est de la compétence du tribunal judiciaire.

Localement, le Magistrat des référés de PAU, par ordonnance du 21 juillet 2021 a retenu que " Dans l'assignation en référé devant le Président du Tribunal Judiciaire de PAU, les consorts X sollicitent, dans le premier point de mission d'expertise sollicitée, de "déterminer les limites des différentes propriétés et déterminer l'emplacement ou l'empiètement du mur de clôture réalisé par Monsieur Y".

Une telle demande, de fixation des limites respectives des terrains des parties, doit être analysée comme constituant bien une action en bornage, dans la mesure où la limite séparative des fonds vois sins n'est pas déterminées et est contestée.

[...]

Il est constant que la présente juridiction est incompétente pour connaître d'une telle demande."

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